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TRINITÉ. PHIL0N LE JUIF

Le Logos.
Les puissances ne tiennent d’ailleurs qu’une place secondaire dans la philosophie de Philon. Il en va autrement du Verbe qui reparaît à tout instant et semble jouer un rôle capital parmi les intermédiaires. L’examen de la doctrine philonienne du Logos est d’autant plus important que beaucoup ont cru trouver là le point de départ de l’enseignement de saint Jean. Si la dépendance de l’évangéliste par rapport à Philon pouvait être démontrée, il y aurait là une lumière décisive jetée sur un des problèmes essentiels de l’histoire des dogmes : il faut tout de suite ajouter que la démonstration est loin d’être faite et que l’originalité de saint Jean ne saurait être trop fermement proclamée.

Du moins est-il possible de donner une idée exacte de l’enseignement de Philon sur le Verbe ? Cela même est loin d’être assuré, et les critiques disputent encore sur l’un des points essentiels : le Logos phi Ionien est-il ou n’est-il pas personnel ? La persistance du conflit montre au moins que les expressions du philosophe alexandrin sont loin d’être claires et qu’ici encore, comme tout à l’heure à propos des puissances, on peut trouver des textes capables d’incliner l’esprit en des sens très différents.

Le problème à résoudre est théoriquement assez simple : Comment Dieu entre-t-il en relations avec le monde ? comment le monde entre-t-il en relations avec Dieu ? Par le Logos. Le Logos est l’intermédiaire désigné entre l’infini et le fini. Il permet à l’intelligence de s’élever jusqu’à Dieu ; il est l’intercesseur qui présente à Dieu les hommages du monde ; il est l’instrument de Dieu dans la création du monde.

Sans peine, on pourrait citer ici de nombreux textes. Nous n’en rappellerons qu’un ou deux à titre d’exemples : « Le Père qui a tout engendré, écrit Philon, a donné au Logos ce privilège insigne d’être mitoyen entre la créature et le Créateur et de séparer l’un de l’autre. Car il est auprès de l’incorruptible le suppléant de la nature mortelle toujours prête à défaillir, et il est près des sujets l’ambassadeur du roi. Et il se réjouit de ce privilège et il l’exalte en disant : « Je me « tenais entre le Seigneur et nous. En effet, n’étant ni « sans principe comme Dieu, ni produit comme vous, « mais intermédiaire entre ces deux choses extrêmes, « je suis pour tous deux comme un otage : au Créateur « je donne l’assurance que la race entière ne disparaîtra « ni ne se détruira en bouleversant l’ordre du monde ; « à la créature, je fais espérer que le Dieu miséricordieux ne négligera jamais l’œuvre qui est la sienne. » Quis rer. divin. heres, 205-206, Mangey, t. i, p. 501502. Le rôle médiateur du Logos est nettement mis en relief dans ces lignes. On aimerait pourtant savoir, puisque le Logos n’est ni sans principe, agenetos, ni produit genetos, ce qu’il est réellement, car on a peine à concevoir un troisième terme entre les deux.

Ailleurs, Philon insiste sur le rôle du Logos dans la création : « Pour la production d’un être quelconque bien des principes doivent concourir : la cause proprement dite, la matière, l’instrument, la fin. Si quelqu’un demandait ce qu’il faut pour la construction d’une maison ou d’une cité, on dirait : un ouvrier, des pierres, du bois, des instruments… Et si l’on passe de ces constructions particulières à la grande maison, à la grande cité qu’est le monde, on trouvera que la cause c’est Dieu qui l’a fait ; la matière ce sont les quatre éléments dont il a été composé ; l’instrument est le Logos divin par qui il a été construit ; le but de la construction est la bonté du Démiurge. » De cherubim, 125-127, t. i, p. 162 ; cf. Leg. allegor., iii, 96 ; Quod Deus sit immutabilis, 57 ; De sacrificiis Abel et Caïni, 8, Mangey, t. i, p. 106, 281, 165.

On le voit, dans des textes de ce genre, Philon ne s’exprime pas de manière assez nette pour qu’il soit permis de savoir s’il fait ou non du Logos un être personnel. Ailleurs, il semble plus précis. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, il fait du Logos le fils aîné de Dieu, De agricultura, 51 ; De confus. linguar., 63, 146 ; De fuga, 109 ; De somniis, i, 215, t. i, p. 308, 414, 427, 562, 653 ; et, comme on l’a remarqué, « cette expression est d’autant plus notable qu’elle n’apparaît pas, comme beaucoup d’autres, amenée par un artifice d’exégèse. Philon l’emploie, non parce que le texte qu’il commente la lui impose ou la lui suggère, mais simplement parce qu’elle correspond à sa pensée. » J. Lebreton, 'op. cit., p. 216. Il identifie encore le Logos avec l’ange de Jahvé dont parlent les Livres saints : « Pourquoi donc nous étonner encore, si Dieu apparaît semblable aux anges et parfois même aux hommes, pour secourir ceux qui en ont besoin ? Ainsi quand l’Écriture dit : « Je suis le Dieu qui t’a apparu dans le « lieu de Dieu », pense qu’il a pris en apparence la place d’un ange, sans changer toutefois, pour aider celui qui ne pouvait pas autrement voir le vrai Dieu. De même donc que ceux qui ne peuvent pas voir le soleil lui-même voient son reflet et que ceux qui voient le halo de la lune croient voir la lune elle-même, ainsi de même se perçoit l’image de Dieu par son ange, le Logos, comme Dieu lui-même. » De somniis, i, 238239, Mangey, t. i, p. 655, 656.

Ailleurs, Philon voit dans le grand-prêtre une figure du monde ou du Logos : pour lui, le grand-prêtre idéal, c’est le Logos qui est revêtu du monde, comme le grand-prêtre juif l’est de ses vêtements symboliques, et tout ce que la Loi commande au grand-prêtre ou exige de lui est interprété allégoriquement du Logos : « Son père, sa mère doivent être purs… Son père est Dieu, le père de l’univers ; sa mère est la Sagesse par laquelle tous les êtres sont venus à l’existence. .. Le Logos très vénérable de l’être revêt comme vêtement le monde ; car il se couvre de la terre et de l’eau et de l’air et du feu et de tout ce qui en vient… Il ne doit jamais enlever sa mitre, c’est-à-dire qu’il ne doit jamais déposer son diadème royal, symbole d’une puissance non pas souveraine, mais subordonnée et d’ailleurs admirable. Il ne doit pas déchirer ses vêtements, car il est, comme il a été dit, le lien de l’univers et il en maintient toutes les parties et il les enserre en les empêchant de se dissoudre et de se disjoindre. » De fuga, 109-118, Mangey, t. i, p. 562-563.

Nous retrouvons dans ces dernières expressions les formules stoïciennes que nous avons déjà relevées chez Philon ; et bien souvent on peut encore les signaler : « Nul élément matériel n’est assez fort pour porter le monde, mais le Logos éternel du Dieu éternel est le soutien très ferme et très solide de l’univers. C’est lui qui, tendu du centre aux extrémités et des extrémités au centre, dirige la course infaillible de la nature, maintenant et reliant fortement entre elles toutes les parties : car le père qui l’a engendré en a fait le lien infrangible de l’univers. » De plantatione Noe, 8-9, t. i, p. 330-331. « La terre et l’eau, placées au milieu de l’air et du feu et entourées par le ciel n’ont aucun appui extérieur, mais se tiennent entre elles, attachées l’une à l’autre par le Logos divin, architecte très sage et harmonie très parfaite. » Quæst. in Exod., ii, 90, éd. Aucher, p. 528. « De même que l’or est impénétrable aux flèches et de même qu’il reste infrangible quand il est étendu en membranes très fines, ainsi le Logos s’étend, se répand, atteint tout, en restant plein tout entier dans tous les êtres et en unissant tout le reste dans l’unité d’un même tissu. » Quis rerum dioinar. heres, 217, Mangey, t. i, p. 503.

N’avons-nous pas dans ces formules d’allure toute stoïcienne un principe de solution au problème fondamental que nous posions tout à l’heure ? Le Logos stoïcien n’a assurément rien de transcendant ; son