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TRITHÉISME — TRITHÈME (JEAN)

l’autre, le même rapport qui existe entre la nature humaine abstraite et les divers individus en lesquels elle se multiplie. Cf. art. Trinité, col. 1691. Il faudrait donc parler ici sinon de trithéisme, tout au moins d’une tendance au trithéisme, d’une menace de trithéisme que le sens catholique des docteurs en question a toujours su conjurer. Et le trithéisme qui serait à la limite des spéculations de ces docteurs et contre lequel ils se défendent serait un trithéisme réel.

Tout différent est le trithéisme dont furent accusés par leurs adversaires divers théoriciens du parti monophysite au vie siècle. L’histoire des diverses sectes qui se formèrent alors au sein du monophysisme sévérien a été racontée à l’art. Monophysisme, t. x, col. 2243-2249, que l’on complétera par les art. Condobaudites, t. iii, col. 814, Cononites, ibid., col. 1153-1155, Damien, t. iv, col. 39-40. et ci-dessus, col. 1693. L’article Damien explique comment se termina la querelle entre les « damianites » d’une part, c’est-à-dire les partisans de Damien, patriarche monophysite d’Alexandrie, et les « pétrites » d’autre part, c’est-à-dire les partisans de Pierre de Callinique, patriarche monophysite d’Antioche. La réconciliation se fit dans une conférence qui eut lieu à Alexandrie, en 616, entre Athanase d’Antioche et Anastase d’Alexandrie. On y condamna respectivement le trithéisme, que les Alexandrins prêtaient au feu patriarche Pierre, et le tétradisme, que les Antiochiens attribuaient au feu patriarche Damien. Mais, pour éviter de nouvelles querelles, on évita de mettre en cause les personnes ; l’un et l’autre des patriarches défunts furent qualifiés de saint ou de bienheureux, les écrits mêmes composés de part et d’autre au moment de la querelle ne furent pas examinés contradictoirement. Compléter les renseignements de l’article par J. Maspéro, Histoire des patriarches d’Alexandrie, p. 295-342. Si l’union a pu se rétablir sans trop de peine entre les deux Églises monophysites d’Antioche, représentée comme trithéiste, et d’Alexandrie, qui paraissait très animée contre le trithéisme de Philopon, c’est que, dans le fond, des différences verbales séparaient seules des opinions théologiques en apparence diamétralement opposées. Bien plutôt étaient-ce des querelles de personnes qui dressaient l’une contre l’autre les deux Églises monophysites d’Égypte et de Syrie. Au fait le trithéisme de Philopon, dont Pierre de Callinique avait pu sembler se réclamer, était purement verbal ; pas davantage Damien ne cultivait-il le sabellianisme, encore bien moins se ralliait-il à l’opinion bizarre que l’on a nommée le tétradisme, et qui aurait reconnu comme quatre entités distinctes : l’οὐσία commune de la divinité et les οὐσίαι de chacune des personnes divines participant à ce Dieu commun. On serait ici dans la pure et simple logomachie. Il reste que cette controverse trithéiste à laquelle les chalcédoniens de Constantinople, le pseudo-Léonce et Timothée, semblent donner des proportions énormes — le désir de multiplier les sectes est évident chez Timothée — a contribué à clarifier, jusqu’à un certain point, les diverses notions d’οὐσία, de φύσις, d’ὑπόστασις, de πρόσωπον, mises en œuvre dans les spéculations trinitaires et christologiques.

Le trithéisme qui a été reproché à Roscelin, voir son article, t. xiii, col. 2913 sq. et l’art. Trinité, ci-dessus, col. 1713, est peut-être plus réel que celui de Jean Philopon. Lui aussi pst engendré par l’intrusion dans le domaine théologique de notions philosophiques que l’on n’a pas pris la peine d’amenuiser pour les faire cadrer avec les données du magistère de l’Église. Le nominalisme de Roscelin est, sans conteste, le point de départ de l’enseignement trithéiste qui lui a été reproché. Mais l’on est trop mal renseigné sur les tenants et aboutissants d’une discussion, qui eut son épilogue au concile de Soissons de 1092, pour qu’il soit possible d’établir dans le détail la filiation de la seconde de ces doctrines par rapport à la première. Cf. art. Anselme (Saint), t. i, col. 1336, sur le De fide Trinitatis. Un quart de siècle plus tard, quand la polémique reprend entre Roscelin et Abélard, le premier accuse le second de sabellianisme, tandis que le second reproche à l’autre son trithéisme. Cf. art. Abélard, t. i, col. 39, sur le De unitate et trinitate divina. C’est l’éternelle querelle entre les penseurs chrétiens qui, s’occupant de la sainte Trinité, ont voulu pousser à fond les arguments d’ordre rationnel et n’ont pas eu suffisamment le sens du mystère. Le pis est que, trop souvent, les questions de personne sont venues encore compliquer le problème le plus ardu qu’ait jamais posé la théologie.

É. Amann.

TRITHÈME Jean, savant bénédictin, abbé de Spanheim, au diocèse de Mayence (1462-1519), est un polygraphe qui devrait intéresser les studieux d’histoire ecclésiastique, monastique et théologique, et qui jusqu’ici, il faut bien le dire, a été surtout fréquenté par les curieux de légendes et de sciences occultes. Né le 10 février 1462, au village de Trittenheim près de Trêves, et malmené par ses parents, il fit profession, le 21 novembre 1482, à l’abbaye de Spanheim, dont il devint abbé dès le 9 juillet de l’année suivante. Malgré des soucis constants d’ordre financier, il gouverna ce monastère de la congrégation de Bursfeld durant vingt-trois ans. Rejeté par ses moines, pour des raisons complexes, auxquelles il fait allusion dans ses lettres, cf. Busæus, Opera pia, p. 270-273, il fut presque immédiatement élu abbé de Saint-Jacques de Wurzbourg, où il mourut le 13 décembre 1516, entouré de la vénération publique.

Autodidacte et travailleur infatigable, grand collectionneur de manuscrits latins et grecs, — il en réunit deux mille à Spanheim, ce qui était une rareté pour l’époque, — il donna ses soins à la philosophie, au grec et à l’hébreu, à l’histoire, à l’hagiographie en particulier, à la théologie, dogmatique et morale, à trop de choses certes pour pouvoir exceller en aucune. Aussi les théologiens et historiens de l’Église qui veulent compulser ses nombreux ouvrages doivent le faire avec la plus extrême prudence ; mais ils ne s’y attarderont pas sans profit.

Parmi les cinquante-deux ouvrages dont il établit lui-même la liste en 1513, auxquels il en ajouta huit autres avant de mourir, nous ne pouvons signaler ici que ceux qui ont été le plus souvent réimprimés et étudiés.

Histoire ecclésiastique. — Il faut citer d’abord la Chronique d’Hirsau, qui s’étend de 830 à 1513, en 2 vol. édités en 1559, 1601, 1690 ; cette dernière édition, la seule complète ; publiée à Saint-Gall, sur le conseil de Mabillon, contient des détails importants pour l’histoire de l’Allemagne au xve siècle, mais aussi des récits tout à fait invérifiables par ailleurs sur l’histoire du célèbre monastère de Souabe, qui avait adapté et répandu les observances de Cluny en Bavière, en Autriche, en Saxe et jusqu’en Bohême. Cette richesse même de documents a suscité, en Allemagne, de nombreux examens critiques, depuis ceux de C. Wolff, Stuttgart, 1865, de Paul, Halle, 1867, et de H. Müller, Leipzig, 1871. Les modernes lui sont fort sévères, cf. R. Mittermüller, J. Trithemius, als Geschichtschreiber, dans Histor. pol. Blätter, t. lxii, 1910, surtout à propos de l’utilisation « des annales de Maginfrid », comme on le verra plus loin. On pourrait également lui faire un procès de tendances : celui d’avoir été comme gêné par le rôle de Guillaume d’Hirsau dans la lutte pour la papauté et de s’être montré infidèle à la tradition grégorienne de son propre monastère, empruntant avec complaisance aux pamphlets antigrégoriens.