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TRINITÉ. L’A. T., LE MESSIANISME


tion du monde à l’animisme babylonien ; on l’a aussi rapprochée du pneumatisme stoïcien ; il peut se faire qu’elle soit simplement un retour offensif de la superstition populaire. En toute hypothèse, elle ne saurait nous retenir.

Le rôle de la Parole est assez différent. Les targoums se plaisent à la faire intervenir dans les affaires du monde : ils nous apprennent que la Parole (memra) de Jahvé va et vient, vit, parle, agit ; et, au premier abord, on est tenté de se laisser impressionner par la multitude des passages dans lesquels elle intervient. Mais, à y regarder de près, on ne tarde pas à s’apercevoir que, lorsque des targoumistes écrivent : la Parole de Jahvé, ils se contentent de penser : Jahvé. La formule remplace le nom divin qu’il ne faut pas pro faner en lui attribuant des opérations indignes de sa transcendance. Il faut ajouter d’ailleurs que si la Parole est souvent mentionnée dans les targoums, elle est presque absente du Talmud : est-ce, comme on l’a dit, pour éviter l’emploi d’un mot susceptible de rappeler le dogme chrétien ? N’est-ce pas, plutôt, parce que la périphrase s’était révélée à l’usage aussi vide qu’inutile ?

Il en va de la Chekina, de la Gloire de Jahvé, comme de la Memra. La Chekina est souvent décrite sous des traits matériels ; elle remplit exactement la place de Dieu et jouit de son omniprésence ; elle réside surtout dans le temple, dans la maison et dans l’âme des justes ; elle accompagne les Israélites pendant la marche dans le désert ; elle est encore avec eux lorsqu’ils sont exilés en Babylonie ; elle descend partout où des hommes sont rassemblés pour prier. Elle a par suite tous les caractères d’une personne. Mais il ne faut pas s’y tromper : s’il en est ainsi, c’est parce que le mot Chekina sert à désigner Dieu lui-même et que, lorsqu’on l’écrit, on pense simplement à Jahvé sans vouloir le nommer.

Cette conclusion n’est pas pour nous surprendre. Le monothéisme avait été trop solidement implanté dans le peuple d’Israël par la grande tradition prophétique et, au lendemain de l’exil, les prêtres qui avaient remplacé les prophètes dans la direction religieuse de la nation avaient trop fortement insisté sur ce dogme fondamental, pour qu’il fût permis d’attendre la découverte, dans les livres mêmes de l’Ancien Testament et, à plus forte raison, dans les apocalypses apocryphes, dans les targoums ou dans les talmuds, les indices d’une orientation quelque peu précise dans le sens de la Trinité. Les écrivains chrétiens, et déjà l’auteur de l’épître aux Hébreux, éclairés par les enseignements du Sauveur, ont pu appliquer aux personnes divines les termes de Sagesse, d’Esprit, de Parole que leur avaient légués les livres de l’Ancien Testament, et même reprendre, en un sens élargi, des définitions ou des formules dont les richesses étaient restées inaperçues. Les Juifs eux-mêmes, exclusivement attachés au monothéisme et de plus en plus soucieux de le préserver de toutes les atteintes du dehors, n’ont jamais songé à de semblables exégèses.

III. le messianisme

Il reste cependant permis de se demander si l’on ne trouverait pas, dans une autre direction que celle où nous avons cherché jusqu’à présent, des points d’attache mieux assurés au dogme chrétien de la Trinité. Ne serait-il pas surprenant que Dieu, dont on sait la miséricordieuse condescendance aux besoins de sa créature, n’eût pas préparé les âmes à recevoir la révélation du mystère et les eût brutalement jetées dans l’éblouissement de la pleine lumière ? Si nous nous rappelons que, somme toute, le mystère d’un Dieu unique en trois personnes a été enseigné aux Juifs par celui qu’ils attendaient sous le nom de Messie, il n’est pas illégitime de chercher, dans les prédictions relatives au Messie, non pas des formules claires, mais des appels vers plus de clarté, des pierres d’attente pour un monument à venir.


La paternité de Dieu.

Remarquons tout d’abord que l’Ancien Testament n’ignore pas l’idée de la paternité de Dieu. Jahvé est le père d’Israël : « Tu es notre père, déclare Isaïe ; Abraham ne sait rien de nous et Israël ne nous connaît pas. C’est toi, Jahvé, qui es notre père ; tu t’es nommé en tout temps notre Sauveur. » Is., lxiii, 16. De même un peu plus loin : « Cependant toi, Jahvé, tu es notre père ; nous sommes de l’argile et tu es le potier ; nous sommes tous l’ouvrage de tes mains. O Jahvé ne t’irrite pas à l’excès ; ne te rappelle pas toujours l’iniquité ; vois, regarde ; nous sommes tous ton peuple. » Is., lxiv, 7 sq. Dans la prophétie de Jérémie, c’est Jahvé lui-même qui a pitié de son fils : « Ephraïm est-il pour moi un fils précieux ? Est-ce un enfant de complaisance ? Aussitôt que je prononce son nom, il occupe ma pensée, mes entrailles sont émues ; je lui pardonne. » Jer., xxxi, 20. Et ailleurs encore : « Je m’étais dit : je te mettrai au rang des fils et je te donnerai un pays de choix, une part exquise. .. et je disais : tu m’appelleras mon père. » Jer., iii, 19.

Jahvé est encore le père de tous les justes : quelques passages des psaumes expriment d’une manière admirable cette idée : « Mon père et ma mère m’abandonnent, mais Jahvé me recueillera. » Ps., xxvii, 10. « De même qu’un père a pitié de ses enfants, Jahvé a pitié de ceux qui le craignent, car il sait la boue dont il nous a formés ; il sait que nous ne sommes que de la poussière. » Ps., ciii, 13-14. Et la Sagesse de Salomon développe abondamment la même doctrine : « Il se vante d’avoir Dieu pour père, ricanent les impies à la vue du juste. Voyons si ses discours sont vrais, faisons l’épreuve de ce qui lui arrivera finalement ; car si le juste est fils de Dieu, Dieu prendra sa défense et le sauvera des mains de ses adversaires. » Sap., ii, 16-18. Lorsque l’épreuve est terminée, le dépit éclate dans leurs paroles : « Voilà donc qu’il est compté parmi les fils de Dieu et que son sort est celui des saints. » Sap., v, 5. Si expressives sont ces formules, qu’on a pu les regarder comme de véritables prophéties de la passion du Sauveur : tel n’est pas leur sens littéral. Du moins mettent-elles en un relief saisissant l’idée de la paternité de Dieu à l’égard du juste.

Plus précisément enfin Jahvé est le père du Messie. Il n’est pas exact, comme le disent encore bon nombre d’exégètes libéraux, que le titre Fils de Dieu ait été, pour les Juifs, l’équivalent de Messie et qu’il ait été d’un usage courant. Pourtant, c’est un fait que l’expression a été employée quelquefois, ou, tout au moins que Jahvé donne au Messie le nom de fils. Le psaume n est particulièrement caractéristique. Le psalmiste y met en scène l’avènement futur du Messie qui reçoit toutes les nations en héritage. Les peuples cependant refusent de reconnaître cette investiture divine, et c’est alors que le Messie prend la parole et expose son droit : « Jahvé m’a dit : « Tu es mon Fils ; moi-même « aujourd’hui je t’engendre. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et pour domaine les « extrémités de la terre ; tu les briseras avec un sceptre « de fer, tu les mettras en pièces comme le vase du « potier. » Ps., ii, 7 sq. Il serait difficile de voir ici une allusion précise à la génération éternelle du Verbe ; car le Messie est engendré par Dieu au jour de sa manifestation, bien plutôt qu’au jour de sa naissance en ce monde, et il n’est pas question de sa préexistence. Comme la résurrection de Jésus était la grande manifestation messianique, saint Paul, dans les Actes des apôtres, lui a appliqué notre texte : « La promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie pour nous, leurs enfants, en ressuscitant Jésus, selon ce qui est écrit au psaume deuxième : « Tu es mon Fils ; je t’ai engendré