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    1. TRINITÉ##


TRINITÉ. LES INTERPRÉTATIONS PHILOSOPHIQUES

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la vérité cachée en nous. L’homme doit arriver ainsi à renouveler sa substance (âme et corps) par le corps spirituel et céleste du Christ. Et l’épanouissement de notre nature se fera dans une communion d’amour avec Dieu par Jésus-Christ.

D’autres mystiques en vinrent à concevoir une incarnation progressive du Christ dans l’humanité : la religion devient ainsi la connaissance et le culte de l’Esprit éternel de Dieu qui est aussi le Christ (Lautensack, Isaïe Syiefel, Ezéchiel Metz). Rêveries panthéistes et qui ne méritent pas de retenir l’attention. Elles nous éclairent du moins sur l’idée chère au calviniste Poiret, Économie divine, Amsterdam, 1687, qui attribue au Christ un corps céleste préexistant à l’incarnation, idée partagée par les anglais Goodwin, H. Morus, Ed. Fowler.

Le représentant le plus distingué de la théosophie allemande est Jacques Bôhme. Voir t. ii, col. 924. Il est le premier théosophe à avoir formulé une doctrine assez précise de la Trinité. Pour comprendre son point de vue, il faut se rappeler qu’il rattache au problème trinitaiie celui de la création. Au commencement était l’abîme (non-être) ; c’est de lui que procèdent l’amertume, le feu, la colère. Il n’est pas Dieu et cependant il est le premier principe existant en Dieu le Père. Mais il est dans le Père un autre principe, sentiment éternel qui aspire à se révéler et qui a la volonté d’engendrer. C’est grâce à cette aspiration que le premier principe engendre le Fils, cœur éternel de Dieu, douce lumière qui, grâce à sa puissance intrinsèque, engendre à son tour le Saint-Esprit. Cette explication de la Trinité a pour but d’assurer la possibilité et la réalisation de la création par le triple principe de la volonté en Dieu le Père, de la nature éternelle et indestructible cachée dans le sein de Dieu et à laquelle est donné le nom de Fils, et du Saint-Esprit qui manifeste la majesté du Père. Toute la doctrine de Bohme est fonction de cette conception fondamentale. Voir Dorner, Histoire de la théologie protestante (tr. fr. Paumier), Paris, 1870, p. 518-520.

Une autre forme du mysticisme protestant fut le piétisme, avec Spener († 1705) et surtout ses disciples. Nous n’avons pas à rappeler ici la nature de ce mouvement qui voulait avant tout, comme l’indique son nom, communiquer aux chrétiens une foi vivante et active, cf. Piétisme, t.xii, col. 2084 sq. Mais par làmême, ou restreignait la part, dans la vie chrétienne, des éléments extérieurs, Église visible, livres symboliques, et même, dans une certaine mesure, Écriture sainte. Spener enseigne la communion immédiate de l’ame avec l’infini et sa participation possible à la vie divine elle-même. Le Père que Spener adore est le Dieu vivant et vrai, et non pas un Dieu qui se renferme dans sa solitude pour laisser agir les grâces renfermées dans les sacrements et dans la Parole ; ce Dieu agit directement dans l’âme par le ministère de la Parole et des sacrements, moyens dont le Saint-Esprit se sert pour travailler et transformer les consciences. La Parole est le médiateur sensible et humain entre Dieu et l’homme. La philosophie ne joue qu’un rôle assez effacé dans ces conceptions. Les traités dogmatiques abondent chez les piétistes, mais les appels fréquents à l’action directe du Saint-Esprit n’y remplacent pas le contrôle utile d’une règle supérieure. La Trinité qui semble confinée dans le rôle de Dieu dans l’Ame, avec la Parole et l’Esprit, reste bien dans l’indéterminé et le vague. Les ouvrages exégétiques des piétistes, Francke, Hoffmann, multiplient les sens allé-Roriqm-s, paraboliques, typiques, en sorte u la al’iir objective des affirmations scripturaires disparaît dans une multiplicité d’interprétations, contrai la nature même du dogme.

Après Francke, le piétisme du nord de l’Allemagne (Halle) dégénéra et languit. Dans le Wurtemberg, avec Bengel et en Moravie, avec Zinzendorf et les frères moraves, il manifestait une puissance et une vitalité plus durable.

La théologie de J.-A. Bengel (1687-1752) est moins une étude dogmatique qu’une étude directe de la Bible. Bengel est, en Allemagne le fondateur de la critique du Nouveau Testament. L’école de Bengel se partagea en deux groupes distincts : le premier se consacrant à des travaux historiques, le second se livrant aux spéculations de la pensée chrétienne. C’est dans ce second groupe que se trouve Christophe-Frédéric Œtinger, dont les tendances mystiques rejoignent la théosophie. Par le fait qu’il envisageait le monde comme un ensemble de réalités, Bengel cessa de considérer Dieu comme un être infini, insondable, tout volonté et entendement, pour voir en lui le centre vivant de l’univers, qui pénètre le monde de son Esprit, tout en gardant intactes sa gloire et sa félicité, dont il veut rendre, par Jésus-Chriat, les hommes participants. Œtinger s’empare de ces idées : Dieu n’est pas une unité absolue, mais l’unité des forces divines, forces vivantes, unies entre elles par un lien indissoluble, mais pouvant agir séparément. Les forces infinies de la divinité se reflètent dans la nature ; elles se retrouvent dans l’homme qui est un monde et un Dieu en miniature ; elles créent en lui un sensus commuais bien différent de la conscience chrétienne, parce qu’il n’est que le pressentiment de la vérité divine. Ce sensus convnunis a été possédé par le Christ d’une manière exceptionnelle ; en nous, il nous attire vers le Christ et sert de base à l’action du Saint-Esprit.

Le mysticisme de Zinzendorf (1700-1760) fut, au point de vue du dogme trinitairc, d’une extravagance déconcertante. Il représentait la Trinité comme mari, femme et enfant ; c’est le Saint-Esprit qui est la mère. Il enseigne également la paternité du Fils : lui seul est directement notre Père et c’est à lui seul qu’on s’adresse en récitant le Notre-Père. Le Père de Jésus-Christ est « ce qu’on appelle dans le monde un beau-père ou un grand-père ». Cf. Zinzendorf, ITepl èautoû oder naturel Reflexiones ùber sien selbst, 1749 ; Félix Bovet, Le comte de Zinzendorf, Paris, 1865 ; dans l’Encyclopédie de Lichtenberger, Ch. Pfender, art. Zinzendorf, t.xii, p. 512 ; ici l’art, zinzendorf.

On voit par là combien déficiente est la théologie des mystiques théosophes ou piétistes relativement à la Trinité. Avant de les quitter, il convient de dire quelques mots de la conception plus extravagante encore de Swedenborg. Sur cet auteur, voir t. xiv, col. 2874. Ce théologien aspirait à une communion réelle de Dieu et du monde, qu’il cherchait à réaliser par des spéculations émanatistes et panthéistes. Il proteste donc contre les formules orthodoxes de la Trinité, qui relèguent la divinité dans les abîmes d’une transcendance inaccessible à la pensée et n’établissent aucun contact entre elle et la Trinité révélée dans ses rapports directs avec le monde. Aussi enseigne-t-il non une trinité des personnes, mais une trinité de la personne. Cette trinité se manifeste de différentes manières : l’être universel doit être conçu sous forme de trois cercles concentriques. Dans le cercle intérieur siège le Seigneur sur son trône d’amour, entouré d’esprits supérieurs qui révèlent par leur activité les diverses puissances de l’amour. Le second cercle est celui du Seigneur sous la forme de la vérité divine. Le troisièim I formé par le monde visible et matériel et par l’homme à l’état de nature. Les trois cercles oui une existence simultanée et parallèle. C’est la la représentation d’une évolution de Dieu, progressant de l’être virtuel à l’être complet et réel par le devenir, Parvenu an terme de son évolution, qui est l’homme. Dieu est entré dans sa réalité. Grâce à sa