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ZWINGLIANISME. ZWINGLI ET LA GUERRE


guerre est envisagée comme moyen de légitime défense aux mains de l’autorité, dont elle se sert contre les perturbateurs de l’ordre public : c’est le point de vue luthérien ; mais ici encore Zwingli le dépasse en ouvrant une perspective sur des guerres d’une tout autre portée. Il s’agit de se défendre contre les ennemis du dehors qui mettent en danger les biens que le chrétien doit chérir par-dessus tout : la patrie, la vérité, la religion. Pour les conserver, il doit exposer même sa vie. Refuser son service serait, de sa part, gravement coupable. Zwingli prend ici le contre-pied de la thèse des anabaptistes qui, comme les Quakers de nos jours, prônaient la non-résistance au mal. Il semble que ce radicalisme n’ait pas peu contribué à discréditer aux yeux de Zwingli le pacifisme érasmien, auquel d’ailleurs il ne s’était rallié un instant que par un amour de l’idéal teinté d’opportunisme. Sans doute, la patience recommandée par le Christ est bonne, mais à l’égard de ceux qui veulent bien entendre raison. Pour les autres, la patience, interprétée sans doute comme un signe de faiblesse, « ne fait que pousser leur férocité à bout. Il faut alors, quand la justice publique et la vérité sont menacées, user de sévérité envers les impies » (Sch.-Sch., loc. cit., p. 565). Zwingli adopte ici une attitude agressive, qu’il fonde sur les intérêts supérieurs de la vérité et de la religion. L’histoire des années 1528-1531 se chargera d’illustrer et de commenter cette doctrine.

4° Assurément, pour Zwingli comme pour Luther, la guerre reste un mal ; l’idéal, ce serait que les hommes vivent pacifiquement au sein des cités ou des nations ; de ce point de vue les anabaptistes ont raison. Mais c’est là la justice divine, irréalisable sur terre ; la guerre est œuvre de justice humaine, et il peut arriver qu’elle soit inévitable, que la prudence même conseille la guerre préventive (les velléités de guerre préventive ne manquèrent pas chez Zwingli au lendemain même de la première paix de Rappel, 1529). Elle participe donc au régime de l’autorité et de la propriété, dont on commence par déclarer qu’elles sont un mal, pour affirmer ensuite que, dans l’état présent de l’humanité, ce sont des institutions indispensables et qui concourent à assurer un grand bien : la protection de l’ordre public et de toutes les valeurs qui y sont incluses pour la patrie et la religion. Il semble cependant que, à propos de la guerre moins que dans les deux cas précédents, Zwingli ait ressenti cette tension entre l’idéal sublime proposé aux chrétiens et la réalité brutale de la vie d’ici-bas qui Impose la guerre. Il a accepté celle-ci comme il a accepté l’idée de patrie, et à l’idéal pacifiste-cosmopolite il a substitué un autre idéal qui lui semblait tenir compte à la fois de ces deux valeurs : patrie et vérité évangéliquc, tout en se tenant plus près des faits : la guerre patriotique au service et pour la protection de l’Évangile. Et, si tension encore il y avait entre l’idéal et le réel, il la surmontait en remontant à Dieu, qui se sert de la guerre (ainsi que de l’autorité) comme d’un instrument pour châtier les rebelles. La guerre est alors moins un mal qu’un remède : Ultimum ergo remedium est bellum, quo non raro dominus tanquam virga et baculo negligentiam nostram punit isch.-Sch., ibid., p. 564).

Les Bernois s’étonnaient que Zwingli tentât de « planter la foi avec des hallebardes. Le réformateur eût sans doute répondu que, si celles-ci avaient été mohilisécs, c’était non p ; ir raison d’État, mais en vertu d’une consigne du Tn’s-Ilaut et pour la défense de la foi évangélique. Aussi longtemps qu’il y avait un parti catholique d’opposition dans la Confédération, l’évangélisme pour Zwingli était en état de légitime défense. Bref, Zwingli n’a pas connu les hésitations de Luther : celui-ci s’est du moins demandé

DICT. DE THBOL. CATHOL.

si la guerre était justifiable comme état ou comme activité au regard de la conscience (ob Kriegsleute auch in seligem Stande sein kônnen), et il a toujours considéré la guerre comme un mal nécessaire ou une funeste nécessité. « À l’inverse, Zwingli a mis très vite les scrupules de côté, et il a marié l’Évangile et la guerre pour en faire la guerre évangélique » (W. Kohler, art. cit., p. 681).

5° Est-ce à dire que Zwingli, qui était soucieux d’accomplir la révolution religieuse au dedans, à Zurich même, dans la légalité et sans provoquer le moindre trouble, ait été partisan d’autres méthodes plus brutales, quand il s’agissait de propager la Réforme au dehors ? Non pas. E. Beurle a montré que la politique zwinglienne avait connu une première phase, idéaliste (cf. Der politische Kampf um die religiôse Einheit der Eidgenossenschaꝟ. 1520-1527, Linz, 1920, p. 2627). Zwingli est persuadé que la parole de Dieu se répandra de Zurich dans les autres cités, comme une lumière se communique de proche en proche ; que, à cet effet, deux conditions seulement sont nécessaires : la prédication et la protection officielle. L’attitude de Zwingli est alors à double face : elle est diplomatique en ce qui concerne l’État, missionnaire en ce qui regarde l’Église. Le premier point est connu ; le second a été moins remarqué.

Longtemps Zwingli chercha à seconder l’essor de la Réforme en Suisse en opérant par les voies légales (cf. E. Beurle, op. cit. et W. Œchsli, Die Anfûnge des Glaubenskonfliktes zwischen Zurich und den Eidgenossen 1521 bis 1524, Wintherthur, 1883) : faire que Zurich reprît sa place et son influence au Tagsatzung, obtenir la liberté de la prédication dans les Gemeine Herrschaflen, entr’ouvrir du moins la porte dans les cantons qui s’étaient fermés à l’évangélisme, en les amenant à adoucir leur législation pénale (commutation de la peine de mort décrétée contre les réformés en emprisonnement et confiscation des biens). L’accession de Berne à la Réforme (7 février 1528) (cf. W. Kôhler, Zwingli und Bern, Tiibingen, 1928) invita Zwingli à adopter une autre tactique, la première n’ayant pas donné les résultats attendus (cf. Was Zurich und Bern not ze betrachlen sye im fùn/ortischen handel, 1529, Sch.-Sch., vol. ii, t. iii, p. 101 sq., et Sigmund Widmer, dans Zwingliana, t. viii, fasc. 9, 1948, p. 535-554).

De ce moment, il se crut en mesure de faire pencher la balance en faveur de l’évangélisme, quitte à y mettre son épée. Toute sa politique fut dès lors fondée sur la supériorité numérique et guerrière du parti évangélique : présomption à laquelle les faits devaient infliger un démenti pour lui cruel. Il s’agissait toujours de frayer la voie à l’Évangile. Mais par quelles armes ? Il semble que le réformateur ait renoncé toujours davantage à ce qu’on a appelé les « moyens pauvres », et ait recouru avec une inclination toujours plus marquée aux armes tantôt subtiles de la diplomatie, tantôt lourdes de la guerre. Cependant, un avantage militaire était-il obtenu, ainsi en 1529, il ne songeait qu’à l’exploiter en envoyant les prédicateurs qui prépareraient sur place la consultation populaire et, éclairant les esprits, la feraient tourner à l’avantage de la religion réformée (cf. W. Œchsli, Zwingli als Staatsmann, ut supra, p. 159).

6° W. Œschsli (op. cit., p. 124-188) a soutenu la thèse que la politique d’alliance avait été suggérée à Zwingli par l’attitude des catholiques, qu’elle n’était même que le contre-pied de leur politique et qu’elle en partageait les mérites sans avoir à les payer aussi cher. Tandis que l’alliance des cantons catholiques avec Ferdinand d’Autriche tendait à ramener l’ennemi héréditaire sur le sol helvétique (Ferdinandeische Bund), Zwingli, par le Christliche Burgrecht, fédérait

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