Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1173

Cette page n’a pas encore été corrigée
3875
3876
ZWINGLIANISME. LA THÉOCRATIE ZWINGLIENNE


iudicium externarum rerum (contre A. Farner, op. cit., p. 105, n. 1), qui jusqu’à présent avait paru revenir à la communauté (cf. C. R., iv, 404, 9) : Suasimus ergo ut plebs iudicium externarum rcrum… diacosiis permittat (ibid., 479, 20) — cela sans doute sous la pression des circonstances et pour des raisons d’opportunité (ibid., 17 et 480, 24) plutôt qu’en vertu d’un principe juridique. Cependant, ce qui apparaissait alors une dérogation deviendra bientôt, quand la théocratie aura pris forme, la procédure normale. En théocratie, l’autorité a un rôle vicarial, par rapport, non plus seulement à la communauté, mais à Dieu même (cf. Sch.-Sch. , vol. iv, p. 16, undecimo). Elle agit comme investie par l’Esprit, et sa compétence s’étend aux « choses extérieures » de l’Église (avec J. Kreutzer, op. cit., p. 33). Seul désormais le domaine de la foi et de la prédication proprement dite lui est étranger. Dans la cité théocratique de Zwingli, le Conseil est d’ailleurs organe, non pas seulement de la Biirgergemeinde, mais de la Kirchgemeinde (elles se correspondent matériellement ) ; à ce titre même, ses décisions, du moment qu’elles sont contresignées par l’autorité purement spirituelle représentée par le prophète (cf. infra, col. 3877), sont réputées comme d’Église.

Ajoutons que, loin qu’elle ait à dépouiller pour autant son pouvoir coercitif, ainsi que le prétend A. Farner, l’autorité civile met en l’espèce celui-ci au service de l’Église, inaugurant ainsi son rôle en quelque sorte prophétique (cf. C. R., iii, 884, 21 ; ix, 460, 10 : Flagro monendi sunt, par référence à Joa., ii, 15). Bref, elle agit comme magistrat et comme magistrat chrétien : ces deux termes sont inséparables dans la pensée de Zwingli. C’est sans doute par opposition aux anabaptistes que, sur le double plan de la pratique et de la théorie, Zwingli a été amené à faire confiance à l’autorité civile, puis à reconstruire du dedans le concept de magistrat chrétien. C’est seulement quand les deux communautés : ecclésiastique et civile, se seront fondues l’une dans l’autre pour former la théocratie, qu’il parviendra à une conceptoin adéquate de celle-ci. Au stade du Subsidium, la fusion n’est pas encore réalisée, et l’Ecclesia (ou Ecclesia tota) se distance encore de l’électorat représenté par les Deux-Cents (contre W. Kôhler, C. R., iv, p. 448).

Quant à la distinction des deux ressorts de l’autorité civile : immédiat et médiat, proposée par A. Farner, non seulement on ne la trouve pas littéralement dans Zwingli, mais elle méconnaît l’orientation propre de sa pensée. La conception zwinglienne des rapports de l’Église et de l’État est en effet fondée sur l’antinomie : foi-culte extérieur, ou, si l’on veut, « homme intérieur » et « choses extérieures » ; et à part même toute raison d’opportunité, la logique du système poussait à abandonner à un magistrat chrétien des objets qui, pensait-on, ne touchaient pas à l’essence de la religion.

c. Pour élucider complètement cette question, il y aurait sans doute avantage à analyser plus qu’on ne l’a fait ce terme de « choses extérieures », qui revient si souvent sous la plume de Zwingli (cf. C. R., iii, 404, 5 ; 406, 33 ; 407, 21 ; iv, 208, 21 ; 227, 30 ; 255, 22 ; 404, 9 ; v, 711, 26, etc.). Il en use comme d’une arme à deux tranchants : contre les anabaptistes et les luthériens, il affiche une certaine indilïérence à l’égard des « choses extérieures » (comparées aussi à ces elementa mundi dont l’Évangile doit nous affranchir ; cf. C. R., iii, 872, 31) ; il s’agit en l’espèce du baptême et de l’eucharistie. En revanche, les réformes qu’il préconise sont-elles en jeu (abrogation des observances et du culte catholique : image, messe, etc.), le même Zwingli tient à ce que tôt ou tard jugement soit passé sur ces « choses extérieures ».

On ne saurait en tout cas arguer, comme le fait

1 A. Farner (op. cit., p. 105, n. 1), du texte de Von dem ! Predigtamt (C. R., iv, 404, 9) : Die ordnung der usserlichen dingen stadt in der hand der christlichen gemcind, pour prouver que les « choses extérieures appartiennent au domaine de la foi. Toute la doctrine sacramentaire de Zwingli, son ecclésiologie et sa conception des rapports de l’Église et de l’État sont fondées sur leur dissociation. En fait, ce texte est à entendre comme une réaction contre l’individualisme religieux des Tàufer (cf. ibid., 208, 21 : Ein yede Kilch sol in den offnen dingen handlen und urteilen, nil einer oder glych hundert besunder). Zwingli dit : communauté, par opposition à l’un ou l’autre de ses membres, non par opposition au pouvoir civil.

A l’expérience, il s’aperçut que la communauté croyante n’avait pas l’autorité suffisante pour régler les questions en litige entre évangéliques et anabaptistes, et encore moins pour faire prévaloir les réformes contre le triple front qui s’était dressé contre lui (anabaptistes, luthériens et catholiques) : aussi fit-il appel au pouvoir séculier. Ce fut d’ailleurs sa doctrine constante, exprimée à propos de l’excommunication, que le jugement d’Église a besoin d’être sanctionné et doublé par des mesures coercitives prises par l’autorité séculière ; bien plus, que devant la malice de certains l’Église est absolument impuissante ; seul le bras séculier peut en avoir raison (cf. C. R., ii, 334, 21). Ajoutez que Zwingli se sentait intérieurement poussé, en vertu d’un dynamisme pneumatique, à faire triompher par tous les moyens ce qu’il croyait être la cause de la vérité. Ainsi, si paradoxal que cela paraisse, son spiritualisme mystique devait déboucher dans un réalisme brutal.

3° Prophétisme et théocratie (1528-1531). — 1. Nouveaux développements dans les idées et les institutions. — Durant cette dernière période, nous assistons à une triple transformation : a) Amalgame de la communauté et de la Cité. Jadis la communauté religieuse se distinguait, ou se distançait de la société civile ; à présent elles ne forment plus qu’un tout social organique, où seules les fonctions diffèrent (cf. déjà C. R., iii, 872, 38 sq.). Cette évolution s’explique facilement. La Kirchgemeinde a même extension que la Stadlgemeinde ; c’est dire qu’Église et Cité territorialement coïncident. En outre, depuis l’introduction du Taufzwang (baptême obligatoire, 1525), la Cité ne comprend que des baptisés ou membres officiels de l’Église, les dissidents (anabaptistes) étant exclus. Bientôt d’autres réformes font tomber les dernières barrières entre les deux communautés ; en 1529, l’assistance aux offices est rendue obligatoire par décret. Nous avons vu que dès le début les dirigeants de la Cité avaient tenu à ce qu’une certaine unanimité de croyance régnât entre ses membres ; celle-ci se double maintenant d’un conformisme cultuel extérieur. Bientôt, et c’est la troisième étape, le code éthique de l’Église devient loi d’État : ainsi avec le grand Sittenmandat de 1530. (Voir aussi C. R., ix, 462, 5 sq.) Or c’est là, selon la définition de Harnack, l’un des aspects essentiels de la théocratie (Das Gesetz des religiOsen Lebens [wird] zum Gesetz des Gemeindelebens). Mais, de ce chef, il y a plus qu’une corrélation étroite (Gleichstellung) de la communauté et de la Cité, et autre chose qu’une fusion : le centre de gravité du système se déplace, et la communauté (Gemeinde) est proprement absorbée par la Cité.

La raison en est bien simple. Jusqu’en 1525, la communauté zwinglienne pneumatique était restée un être un peu idéal. Lorsque, pour faire pièce à la secte anabaptiste, il fallut concrètement l’organiser, Zwingli recourut à un expédient. Plutôt que de doter la communauté naissante d’organes visibles capables d’action efficace, il préféra avoir recours aux organes