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3869 ZWINGLIANISME. L’ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3870

pour Zwingli, Yintérieur désigne le domaine des relations immédiates de Dieu avec la créature, la foi et les valeurs purement surnaturelles : c’est là le domaine de l’Église, société des croyants ; en revanche, l’extérieur, c’est non seulement le bien temporel (das zeitliche Gui), mais le culte et les formes extérieures de la religion que Zwingli considère comme accidentelles ; on peut même dire : le christianisme considéré comme religion historique, qui cherche à chaque époque à s’assimiler les meilleurs éléments de la culture humaine.

Sur ces différents points, pas de collusion possible, au jugement de Zwingli, entre l’Église et la Cité, car cette dernière a également une signification religieuse, et dans ce domaine non strictement « spirituel », c’est elle qui prévaut. Ainsi la Réforme, qui selon Zwingli vise précisément à détacher l’Église de ces formes accidentelles et caduques héritées du Moyen Age et à la ramener à l’idéal chrétien primitif (sur la manière dont Zwingli conçoit théologiquement la Réforme, cf. C. R., i, 284, 34 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 142, c. fin. ; vol. vi, 1. 1. p. 133), sera-t-elle en grande partie l’œuvre du pouvoir séculier. Zwingli l’accorde, non pas, comme on l’a écrit, par opportunisme et en dérogation à ses principes, mais selon la logique même de ceux-ci.

2° Renforcement des prérogatives de l’autorité civile aux dépens de l’Église (1525-1528). — 1. Zwingli et le Grand Conseil à Zurich. — En cette question moins qu’en aucune autre, on ne peut faire abstraction de la personnalité même de Zwingli et de la place qu’il occupait à Zurich. Étranger à cette ville (Aufenthalter), il ne pouvait agir sur ses destinées que par deux moyens : par ses prédications du Grossmunster ; inaugurées en décembre 1518, elles lui valurent sa popularité et en même temps elles contribuèrent à acclimater dans les esprits, au sein surtout de la bourgeoisie commerçante et de la classe artisanale, l’idée de la Réforme ; — par ses relations et l’influence qu’il pouvait exercer sur tel ou tel personnage important, voire sur le Conseil lui-même, où il s’agissait pour lui et pour le parti de la Réforme d’acquérir la majorité. La rupture avec l’ordre ancien se produisit dès 1522, à propos du célibat des prêtres et des observances ecclésiastiques. Zwingli chercha en vain à obtenir l’approbation de la curie épiscopale de Constance pour des réformes qu’il jugeait, à tort, indispensables. Faute de réussir de ce côté, il se tourna vers l’autorité civile et l’invita à prendre en mains l’œuvre de la Réforme. Cette démarche fut fatale ; car le Conseil, qui, à la demande formelle de Zwingli, provoqua la première Dispute, devint l’arbitre de la situation. Libre à lui désormais de statuer par décret ou mandai sur les conditions de la prédication de l’Évangile, le nouveau culte, la suppression des couvents et monastères, la disposition des biens d’Église, etc., toutes mesures qui consolidèrent son pouvoir.

En proposant à l’autorité séculière de prendre l’initiative de mesures dont certaines étaient une atteinte directe aux droits de l’Église, Zwingli faisait son jeu. Cet aspect de la question a été éclairé par les travaux récents d’Alfred Schultze, Stadtgemcinde und Reformation, Tubingen, 1918 ; et, spécialement pour la Suisse, de L. von Murait, stadtgemeinde und Reformation in ilcr Schwetz, Zurich, 1930. Voir : mssi E. Egll, Die zurcherische Kirchenpolilik von Waldmann bis Zwingli, dans Jahrbuch fur schwcizerische Geschichle, xxi, 1896. De ces études, trois points surtout sont à retenir :

a) Le pouvoir civil, ou plus exactement municipal, a Joué un rôle considérable dans l’introduction de la Réforme dans le l’.rirh et en Suisse même ; mais ses initiatives en matière religieuse ne datent pas de ce moment ; elles sont bien antérieures, l.lles viennent,

partie de la carence des pouvoirs ecclésiastiques, partie aussi, et cet aspect a été trop laissé dans l’ombre par L. von Murait, de la tendance à l’émancipation des magistrats locaux, qu’on peut faire remonter au mouvement communal (xme siècle). L’autorité séculière s’insinue dans les rouages mêmes de l’administration ecclésiastique : présentation ou nomination aux cures, discipline intérieure des couvents, gérance des revenus et fondations pieuses, etc. Bientôt, à la Réforme, il ajoute à ces compétences la désignation des prédicateurs et veille à la bonne prédication de l’Évangile. Il agit ainsi sans doute comme responsable de la paix et de l’ordre extérieur, toute division au sujet de la doctrine ayant ses répercussions sur la vie de la Cité ; mais, magistrat chrétien, il se sent une responsabilité quasi pastorale à l’égard du bien spirituel de la communauté. Cette ingérence dans le domaine spirituel est facilitée par la corrélation étroite qui existe entre les limites de la communauté ecclésiastique et de la Cité ; le conseil municipal (Stadtrat) agit donc à la fois comme organe de la communauté civile (Stadtgemeinde ) et comme membre éminent de l’Église.

b) A Zurich même, cette œuvre fut facilitée par l’organisation plus démocratique de la Cité. Le Grand Conseil (ou Conseil des Deux-Cents), où dominait l’élément bourgeois, participait activement aux affaires publiques ; c’est en le gagnant à la cause de la Réforme que Zwingli put hâter l’introduction de celle-ci, alors qu’ailleurs, à Berne et à Bâle, Haller et Œcolampade avaient davantage à compter avec l’aristocratie (Petit Conseil) plus conservatrice et réfractaire aux innovations religieuses, vu leurs effets sociaux : « La constitution de Zurich, écrit L. von Murait, qui assurait au Grand Conseil une participation si marquée à la vie politique, a permis cette introduction si souple et si simple de la Réforme, qui contraste avec les difficultés rencontrées dans les autres villes, et cela du seul chef que le réformateur réussit d’emblée à faire du Grand Conseil, organe de la communauté, l’instance décisive » (op. cit., p. 366).

c) Ce serait commettre un anachronisme que de transférer au temps de la Réforme les idées modernes de tolérance religieuse. Sans doute chacun demeure libre de croire ou de ne pas croire, c’est alTaire de conscience et non d’autorité, principe souvent affirmé par Zwingli (cf. C. R., iii, 38, 11 ; 437, 25 ; iv, 476, 25 ; Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 274 ; comp. A. Farner, op. cit., p. 86 sq.) et qui va de pair avec son spiritualisme ; mais de là on ne saurait déduire le libre exercice de la religion. Vu l’inclusion réciproque de l’Église et de la Cité, celui-ci est déjà, du point de vue civique ou étatique, une impossibilité. En outre, la tolérance ne se justifie pas en elle-même, car la conviction qui domine chez Zwingli et ses émules, c’est que la Parole de Dieu est claire et irrésistible. Si on ne l’accepte pas, c’est qu’on est de mauvaise foi, qu’on est animé par un autre Esprit, et dès lors toute cohabitation pacifique avec les adeptes de l’Évangile est exclue. Le conformisme zurichois et l’expulsion des anabaptistes résultent d’un complexe de conditions juridico-religieuses qui constituaient pour le temps un élément irréversible.

2. Attributions du Conseil en matière religieuse ; le tribunal matrimonial et la censure des mœurs. — Ces différents points sont illustrés à Zurich par les initiatives du (.onseil en matière religieuse. Sans doute. et A. Farner y insiste avec raison (op. cit.. p. 90 sq.). dans le cas de la I re Dispute (29 janvier 1523), seule la convocation de l’Assemblée ressortit à l’autorité civile, le jugement en matière de foi appartient à emblée elle-même, c’est-à-dire aux ministres et nu peuple chrétien assistés par l’Esprit (C. H., i. 4’.<9. M. Cependant la décision finale approuvant la prédica-