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3861 ZWINGLIANISME. L’ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3862

tiennent pas un compte assez exact des données historiques et de la manière dont la personnalité de Zwingli a réagi sur elles, ni de tous les éléments de son ecclésiologie. On n’a pas non plus assez séparé la cause de Zwingli de celle de Luther : rapproché de l’Allemand, le réformateur suisse s’est vu appliquer le même traitement ou, mieux, on l’a étudié à partir de la même problématique.

Celle-ci, depuis les études de Gierke et de Sohm, est largement déterminée par la notion de Corpus christianum, dont ces auteurs ont souligné l’importance pour la compréhension de l’idéal religieux et politique du Moyen Age. Il s’agit donc de savoir si la Réforme a continué cette tradition ou rompu avec elle. La théorie luthérienne des deux Royaumes, qui a pour parallèle chez Zwingli la théorie des deux Justices (cf. supra, col. 3809 ; voir aussi le dualisme Parole-Autorité, G. R., ii, 523, 20 ; Prophète-Magistrat, Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 1 sq.), constitue assurément un préjugé en faveur de la seconde hypothèse. À l’enchevêtrement des compétences léguées par le Moyen Age, la Réforme oppose la distinction nette du spirituel et du temporel, l’Église étant le royaume purement intérieur des âmes, tandis que la société civile s’occupe des intérêts temporels. Nous sommes en marche vers la laïcisation de l’État moderne.

b) Cette conclusion extrême est rejetée par nos auteurs : cependant ils se partagent en deux camps, selon qu’ils considèrent chez Luther l’héritier du Moyen Age (Troeltsch, W. Kôhler, P. Meyer) ou le novateur (Holl). Pour Holl, l’accent mis par Luther sur la foi personnelle est incompatible avec le maintien de la théorie du Corpus christianum. A. Farner a abordé Zwingli sous le même angle et entendu vérifier à son sujet le bien-fondé de la thèse de Holl (cf. A. Farner, Die Lehre von Kirche und Staat bei Zwingli, Tûbingen, 1930). Selon lui (et Holl), la Réforme aurait arraché la « pierre d’angle », sur laquelle était construit l’édifice moyenâgeux d’une chrétienté une et universelle, incluant Église et État (op. cit., p. 68 sq., 81 sq.).

Meinecke (Historische Zeilschrift, t. cxxi) et W. Kôhler (Zeilschrift der Savigny-Stiftung fur Rechtsgeschichte, LI, Kan. Abt., xx, 1931, p. 680-681) répondent par un non sequitur. Le sens nouveau donné à la justification n’exclut pas le maintien de l’idée de chrétienté (sur le terme même chez Zwingli, cf. C. R., ii, 308, 4 ; 501, 10 ; iv, 70, 9), pas plus que la notion d’Église invisible n’exclut l’Église visible universelle. Zwingli dit bien : Credo et universalem sensibilem Ecclesiam unam esse (Sch.-Sch., vol. iv, p. 9). A cette chrétienté extérieure appartient aussi l’autorité (die Obrigkeit). Dans ses autres ouvrages, W. Kôhler admet sans la discuter la survivance chez Zwingli de l’idée de Corpus christianum (cf. Zwingli und die Reformalion in der Schweiz, 1919, p. 52 ; Die Geisteswell Ulrich Zwinqlis, 1920, p. 135-136). P. Meyer, son disciple, fait de même (Zwinglis Sozial-Lehren, Linz, 1921, p. 14. 130).

c) Récemment Dr. Brockclmann a soumis la question à un nouvel examen (Dos Corpus christianum bei Zwingli, dans Brestauer historische Forschungen, fasc. 5, Brestau, 1938). Cet auteur arrive à la conclusion que t la pensée « le Zwingli est. dès le début, déterminée par la conception moyenâgeuse du Corpus christianum » (op. cit., p. 51). La base textuelle sur laquelle repose cette thèse reste malgré tout assez mince (les citations directes tiennent en deux pages, p. 57-58). Aussi bien son Intérêt est ailleurs : elle montre que la question des relations des deux Pouvoirs se règle chez Zwingli par référence non à l’Église Invisible (communauté des croyants), mais bien à l’Église visible, concrètement à la communauté. Mais

Brigitte Brockelmann se trompe, quand elle écrit : « La pensée zwinglienne sous sa version dernière a ceci de proprement original que toutes les communautés (Kilchhôren) y sont considérées comme formant, réunies ici-bas, VEcclesia repreesentativa. Zwingli croyait à l’Église visible universelle (cf. supra, avec W. Kôhler), mais il ne voyait celle-ci que réalisée imparfaitement dans la communauté locale, qui bientôt serait absorbée par la Cité.

d) On peut se demander s’il n’y a pas lieu de poser autrement le problème, en s’attachant à l’ensemble des assertions de Zwingli (au lieu de ne retenir que celles qui sont pour ou contre une thèse préconçue), comme aussi en les replaçant dans leur milieu vital. Car, avant d’être théorie, les relations des deux pou ! voirs ont d’abord été pour Zwingli expérience quoti-I dienne. En fait, nous le noterons, pratique et théorie I ont réagi l’une sur l’autre : tantôt Zwingli s’est efforcé i de justifier idéologiquement un tour inattendu pris ! par les institutions (cf. le texte du Subsidium cité | infra, col. 3872 sq.) ; tantôt il a préparé lui-même par ] ses réflexions des réformes qui engageaient toute une i conception de l’autorité civile et de sa fonction à

l’égard de l’Église (cf. lettre à Ambr. Blaurer, citée I infra, col. 3879). Aussi bien, et c’est le grand mérite j des travaux de Schultze et de L. von Murait de l’avoir’montré, Zwingli s’insère dans un courant de faits tenj dant à l’émancipation de la communauté urbaine | (Sladlgemeinde). Dans quelle mesure l’a-t-il subi ou, I au contraire, dirigé, c’est à l’historien plutôt qu’au

théologien de le déterminer. Mais la reconnaissance

des faits ne saurait conduire à minimiser l’apport

personnel du réformateur.

e) Il y a lieu aussi, croyons-nous, de désolidariser Zwingli de Luther. Lui-même l’a fait en propres termes (C. R., ix, 452, 15 ; 454, 22 : infra, col. 3880) ; et les critiques feraient bien de prendre acte de ses déclarations. En fait, le génie de chacun est différent : si le génie de Luther, plus purement religieux, le poussait à un certain abstentionisme à l’égard des choses de ce monde qu’il abandonnait, le cœur léger, à l’autorité séculière, celui de Zwingli, en revanche, plus politique, ne pouvait prendre son parti d’un détachement aussi radical. Aussi, après avoir combattu la confusion des deux pouvoirs, léguée par le Moyen Age, Zwingli s’est-il mis d’instinct à la recherche d’une nouvelle formule, par où se réalisât du moins leur conjonction dans le cadre de la Cité. Il la trouva dans la théocratie, laquelle n’est nullement à confondre avec le gouvernement de l’Église par l’État, auquel acquiescera éventuellement Luther (Staatskirchentum ; obrigkcitliches Kirchenregimenl). W. Kôhler l’a bien vu : « L’indifférence de Luther à l’égard de toutes les formes d’organisation ecclésiastique, du moment que l’âme, l’Église de la foi, eût un corps qui lui permît de vivre, est ici de prime abord exclue ; la pensée d’un organisme pleinement intégré se détache et elle deviendra propriété « réformée » : le Staatsvolk et le Kirchenuolk se recouvrent » (Geisteswell, p. 135). Selon cette combinaison originale, la communauté ecclésiastique est assumée dans un tout organique, pneumatique, au sein duquel elle perd la plus grande part de son indépendance.

f) Ceci contre J. Kreutzer (Zwinglis Lehre von der Obrigkeit, dans Kirchrngrschichtliche Abhandlungen, fasc. 57, Stuttgart, 1909). Cet auteur s’est fermé la voir de l’Intelligence de Zwingli, en prétendant montrer que le réformateur avait jusqu’au bout maintenu le principe de l’autonomie de la Hirchgemeinde (cf. spécialement op. cit., p. 71). Il l’a fait jusqu’en 1525. Mu. à cette date, sous la pression des anabaptistes, le centre de gravité commence à se déplacer de l’Église a la Cité, et tout l’effort de Zwingli ira, bien plutôt que