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ZWINGLIANISME. LE MINISTÈRE


progrès essentiel accompli depuis 1525 (cf. Fidei ratio, Sch.-Sch., vol. iv, p. 9 : Credo et universalemsensibilem [se. Ecclesiam] unam esse, dum veram confessionem istam, de qua iam dictum est, tenet ; cf. aussi Christiame fidei expositio, ibid., p. 58 : « L’Église universelle est ou visible ou invisible » ). Ce qui n’empêche nullement Zwingli de maintenir l’Église sine ruga et macula, quoiqu’il l’entende en un sens différent de ses adversaires. Chez lui, c’est le dogme de la prédestination, devenue la pièce majeure de son système, qui en rend compte.

3. Enfin les communautés particulières sont rattachées cette fois à l’Église universelle et visible, dont elles sont l’expression locale. L’attraction de cette dernière a été la plus forte. C’est dire qu’elles ont perdu de leur aspect pneumatique pour prendre figure d’instituts visibles : évolution correspondant aux faits, car, dans cette dernière période, les communautés s’encadrent dans la Cité, la Kirchgemeinde s’identifie avec la Stadtgemeinde, et à son tour l’Église elle-même, par assimilation, prend figure de cité (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 577, vi : Quibus nos decernimus Ecclesiæ ius ac civitatem esse ; ibid., vol. iv, p. 58, c. fin. ; C. R., ix, 466, 11). En définitive, il ne reste plus qu’une opposition massive entre l’Église invisible et l’Église visible, ou, si l’on veut, l’Église « idéale » et l’Église empirique : l’une étant fondée en Dieu, ayant son mystère caché en Dieu, dans l’élection (et non plus manifesté dans le Corps du Christ), l’autre étant sujette aux vicissitudes d’ici-bas, ayant son sort lié à celui de la Cité terrestre et incluant en son sein bons et méchants. Qui ne voit que cette opposition coïncide avec celle qui fait le fond du système zwinglien : entre la réalité spirituelle et le monde extérieur, sensible (cf. Quæst. de sacr. bapt. où l’opposition est entre : Ecclesia sensibilis et spiritualis, Sch.-Sch., vol. iii, p. 574, xv).

D’autant que l’Église invisible se prend par référence au jugement divin, l’Église visible a pour mesure le jugement humain, qui s’en tient le plus souvent aux apparences (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 573, xiv : humano iudicio ac sensui ; C. R., iii, 253, 20 : corpore ac hominum opinione). Au jugement humain, est membre de l’Église quiconque est baptisé et fait profession de christianisme, encore qu’il ne soit pas élu et aux yeux de Dieu ne fasse pas partie de l’Église ; cette considération ne l’en exclut pas pour nous autres, hommes, qui, traitant de l’Église comme d’une réalité sociologique, sommes obligés de tenir compte des seules dispositions manifestées ou signes donnés. À ce titre, on est obligé de considérer comme membre de l’Église quiconque remplit les conditions susdites (contre les anabaptistes) (cf. Qusest. de sacram. bapt., Sch.-Sch., vol. iii, p. 572, ix : In Ecclesiam visibilem, …censentur hi quoque qui apud Deum repudiati sunt, dummodo noslro iudicio satisfaciunt ; ibid., 576, v). C’est pourquoi aussi les titres de l’Église invisible sont transférés à l’Église visible, même celui d’élue felecta), d’après I Petr., i, 1 (cf. Fidei ratio, Sch.-Sch. , vol. iv, p. 9). Sed quemadmodum [se. Ecclesia visibilis] est hominum iudicio Ecclesia Dei, propter sensibilem confessionem, sic eadem ratione adpellatur electa (Quæst. de sacr. bapt., ibid., vol. iii, p. 575, xvii : l’accent est ici sur adpellatur qui suggère une certaine fiction).

Cependant ces attributions ne doivent pas faire illusion, pas plus que la réunion sous une même accolade de l’Église visible et de l’Église invisible (cf. ibid., vol. iv, p. 58 : Credimus et unam sanctam esse catholicam, hoc est universalem Ecclesiam : eam autem esse aut visibilem aut invisibilem). Devant le Reichstag d’Augsburg, zwingliens et luthériens confessent à l’envi la catholicité de l’Église et ils la revendiquent

pour eux-mêmes : loin de créer une secte, nous adhérons, semblent-ils dire, à l’unique Église visible (cf. W. Kôhler, art. cité, p. 681, n. 1, contre A. Farner, op. cit., p. 9). Mais cette affirmation de foi n’avait pas de contre-partie sur le plan des réalités, sinon la Cité-Église de Zurich, et, à la réflexion, Zwingli lui-même devait sentir la tension qui existait entre l’Église du Symbole et la théocratie zurichoise. Pour se survivre, les communautés détachées de la Magna Ecclesia étaient contraintes de composer avec la Cité terrestre, vers laquelle d’ailleurs leur vocation même les poussait. Et cette tension se traduit dans les expressions mêmes qui servent à Zwingli pour désigner ces deux aspects ou fractions de l’Église, séparés désormais par un fossé : d’une part, c’est l’Ecclesia spiritualis, quee soli Deo patet, Sch.-Sch., vol. iii, p. 577, vi ; Ecclesia primitivorum, ibid., p. 572, ix ; ou Ecclesia sine macula et sine ruga (C. R., iii, 253, 22 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 9), synonyme de transcendance et d’absolu ; — de l’autre, c’est l’Ecclesia nostra, Sch.-Sch., vol. iii, p. 572, ix ; l’Ecclesia, quee nobis vocatur Ecclesia, ibid., p. 577, vi, avec tout le relativisme et la contingence qui s’attachent à ces termes.

Conclusion. — Ainsi les deux aspects de l’Église ont évolué chez Zwingli en sens inverse : c’est pourquoi, loin de se rejoindre pour former l’essence de l’unique Église, qui participe au mystère de l’incarnation, ils s’éloignent l’un de l’autre, et finalement la disjonction est complète. Entre l’Ecclesia electorum, qui est en Dieu, et l’Église empirique, qui se laisse absorber par la Cité terrestre, il n’y a plus de contact ni de commune mesure possible. Sans doute, avec le temps, Zwingli a-t-il approfondi et élargi en tous sens son concept d’Église ; il a réussi à le saisir, peut-on dire, en toute sa compréhension, et en ceci il s’avère supérieur à Luther ; mais ce surplus d’ampleur et de richesse a été acheté au prix de l’homogénéité du concept. Malgré ses efforts, le réformateur zurichois ne peut maintenir l’unité de la notion d’Église.

II. le ministère.

La doctrine de Zwingli sur le ministère, comme sa notion d’Église, est issue de la polémique contre les catholiques d’abord, les anabaptistes ensuite (cf. A. Baur, Zwingli’s Lehre vom geistlichen Amte, dans Zeitschrift fur praktische Théologie, 1888, p. 193-220). Il l’a proposée dans deux opuscules de date et de caractère différents : Der Hirt (26 mars 1524 ; C. R., iii, 1 sq.) f et Von dem Prediglamt (30 juin 1525 ; C. R., iv, 369 sq.).

L’idéal du pasteur évangélique.

Le premier est

la rédaction d’un sermon donné aux pasteurs assemblés à Zurich à l’occasion de la IIe Dispute. Zwingli y censure le clergé du temps : ce sont de faux prophètes ou faux pasteurs ; et il lui oppose l’image du vrai pasteur, qui pratique les vertus chrétiennes, enseigne la pure parole de Dieu, défend la vérité sans faire acception de personne et est prêt à sceller ce témoignage de son sang. L’auteur vise à frapper l’imagination populaire, il emploie, comme souvent en pareil cas, le procédé antithétique qui consiste à inculquer une leçon en présentant, à côté de la vérité, l’exemple contraire. Aussi bien l’Évangile ici lui montrait la voie (cf. Joa., x, Il sq. ; C. R., iii, 25, 16). Cependant, encore que Zwingli réclame de son pasteur la pratique des vertus évangéliques, ce n’est pas tant dans le Nouveau que dans l’Ancien Testament qu’il puise son inspiration. Comme l’écrit P. Wernle, il est clair que « l’esprit de l’Ancien Testament a pris le dessus dans son âme… Si Zwingli s’en était tenu aux épîtres de S. Paul, le portrait aurait été différent. Ce qui est dessiné ici, c’est l’image d’un Pfarrer évangélique qu’anime l’esprit qui souffle de l’Ancien Testament (Zwingli, 1919, p. 131).

Aussi ce pasteur modèle, qui n’est autre que Zwin-