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ZWINGLIANISME. NOTION D’ÉGLISE


Peuple de Dieu, la théocratie nouvelle (cf. supra, col. 3824).

d) Mais plus encore, ce qui contribue à imposer à l’esprit de Zwingli la notion d’Église visible, c’est la mission éducatrice à l’égard du peuple suisse qu’il donne à l’Église. Car avant d’être réformateur religieux, Zwingli est d’abord éducateur de la conscience publique, ou du moins il est à la fois l’un et l’autre ; chez lui foi réformée et ambition patriotique s’allient et se renforcent l’une l’autre. Or seule une Église qui fût une Volkskirche pouvait répondre à ces exigences.

Notons d’ailleurs que l’évolution du concept d’Église est parallèle à un changement accompli sur un autre front : celui de la réalité politique. Pour mieux déjouer les manœuvres des anabaptistes et finalement les éliminer de la scène, Zwingli se voyait obligé de s’appuyer sur le pouvoir séculier. Du même coup, il devait sacrifier son idéal religieux communautaire à un autre idéal plus politique, ayant à son service une armature juridique et des moyens moins purs. Mais ici encore, il rejoignait, fût-ce par un autre biais, l’idée théocratique, à laquelle désormais il s’attacha comme répondant à la double polarité de ses aspirations.

e) Finalement un progrès s’est accompli à la fois sur le plan des idées et sur celui des faits. Au premier point de vue, le facteur décisif fut la notion d’Église visible, que nous venons d’évoquer. Une conception purement mystique de l’Église, à laquelle le spiritualisme zwinglien inclinait, n’était pas passible des développements ultérieurs. Est-ce à dire, comme le veut A. Farner (op. cit., p. 130), que le concept d’Église visible, qui fait son apparition dans VAntibolon, représentait pour Zwingli une acquisition entièrement nouvelle ? Non pas. Déjà dans l’Epichiresis (1523), qui se situe temporellement entre les deux Disputes, Zwingli écrivait : Pro catholica Ecclesia, nimirum ea quæ cunctos, qui Christi nomine censentur, etiam si pessimi sunt, complectitur (C. R., ii, 572, 16) ; et dans les œuvres contemporaines, il n’eût pas attribué aux communautés un pouvoir disciplinaire sur leurs membres, si parmi ceux-ci ne s’étaient insinués les faux frères, les infidèles et les pécheurs. Cependant, c’est surtout en 1525 que cette conception gagne du terrain. On la retrouve dans deux autres opuscules du même temps : dans Aniivort an Val. Compar (27 avril 1525), Zwingli interprète la communion des saints de das christenlich volck, das gantz volck der Christen, die gantz allgemein Christenheil (C. R., iv, 70, 7), la communion des saints s’entend de l’ensemble du peuple chrétien, et non plus, comme plus haut, des seuls croyants ; — et dans : Von dem Predigtamt (30 juin 1525) (ibid., iv, 390, 15) : das Christus genannle ûmpter [Eph., iv, Il sq.] in synen lychnam gesetzt habe, das ist : in die kilchen, etc. (textes cités par V. Kohler, art. cité, p. 676).

3° La notion d’Église dans les dernières œuvres (1630-1631). — La notion d’Église chez le Réformateur était promise à de nouveaux développements, toujours dans la ligne des précédents, dus partie aux incidences de la polémique et de la politique, partie aux nécessités logiques du système zwinglien. (Voir : Fidei ratio ( 1530), Sch.-Sch., vol. iv. p. 8-9 ; Christianie fidei exposiiin (1531), ibid., p. 58-59 ; Quiestiones de sacram. baptismi (1530), ibid., vol. III, p. 572 sq. ; Annot. in Evang. Matth., ibid., vol. vi, t. i, p. 337-338, cf. p. 448).

Dans l’ensemble, on note un triple progrès : 1. La crise anabaptiste est surmontée ; l’Fglise mystique reprend le dessus, elle repasse au premier plan de lu considération. Zwingli l’appelle l’Église sans ride ni souillures » (Sch.-Sch., vol. iv, p. 8, sexto ; cf. vol. iii, p. 572, ix) ; ou plus proprement

l’Église invisible (ibid., vol. iv, p. 58) ou spirituelle (ibid., vol. iii, p. 574, xv ; 578, x). C’est ce dernier terme qui la caractérise le mieux ; elle est en effet la grande famille spirituelle des enfants de Dieu qui puisent dans l’Esprit la certitude de leur élection (ibid., vol. iv, p. 8 et 9). Si jadis, à la suite de Luther, Zwingli avait défini l’Église la « communauté des croyants », c’est-à-dire en fonction de la Parole et de la foi, à présent qu’il subit davantage la logique de son propre système, il la regarde de préférence comme la « communauté des élus ».

C’est dire que la notion d’Église n’est plus ancrée | sur le Christ (Corps du Christ), mais bien fondée sur ! l’Esprit ou sur Dieu. C’est Dieu qui prédestine et en I définitive il n’y a que le décret divin à constituer l’Église : Ecclesiam accipi pro electis islis, qui Dei voluntate destinati sunt ad vilam leternam. Sch.-Sch., vol. iv, p. 8 (cf. : Quæst. de sacr. bapt., où à V Ecclesia primitivorum s’oppose l’Ecclesia damnatorum, ibid., vol. iii, 572, viii). Grâce au don de l’Esprit (àppagcov), l’élection devient certitude subjective, ayant pour effet de rendre la foi sûre et inébranlable. La conscience d’être membre de l’Église est inséparable de cette certitude ; c’est dire qu’elle est rigoureusement propre au sujet. L’Église se compose donc de membres qui, pris singulièrement, ont dans l’Esprit la certitude de leur élection, mais non point pris collectivement, car chacun ignore si son prochain est élu (ibid., vol. iv, p. 8). Pour beaucoup, l’élection ne se découvre qu’au dernier moment, étant suspendue quant au signe à la conversion ou à la persévérance dans les bonnes œuvres. Mais n’est-ce pas là, du même coup, à force de tension, faire éclater le concept d’Église ? A ce prix, en effet, l’Église cesse d’être une communion. Mais Zwingli n’en a pas conscience.

2. À cette Église invisible s’oppose l’Église visible (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 58 : eam esse aut visibilem aut invisibilem ; vol. iii, p. 572, ix ; vol. iv, p. 9 ; — voir Lettre aux Bernois, 9 décembre 1529, C. R., x, 348, 15 sq., où cette opposition apparaît pour la première fois) — ou sensible (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 574, xv : Ut sic sil Ecclesia sensibilis et spiritualis), laquelle groupe deux catégories de membres : à côté des membres adultes qui font profession de christianisme sans toujours vivre en chrétiens (jatentur Christi nomen, Sch.-Sch., vol. iv, p. 8 ; cf. déjà Antibolon, C. R., iii, 253, 25 : qui Christo nomen dederunt), il y a les enfants qui, par le baptême, sont entrés dans l’Église, cela en vertu de l’Alliance ou de la promesse. Comp. la dualité recouverte par l’expression : Nthll nisi alterum istorum, aut confessionem sive nominis dationem, aut fœdus sive promissionem requirit (ibid., vol. iv, p. 9, c. fin.). Le baptême figure ici distinctement comme signe d’agrégation à l’Église ; l’intégration à l’ecclésiologie zwinglienne des idées développées durant la controverse anabaptiste est achevée.

L’Église visible est nommée Église, quoiqu’elle ne soit pas identique à l’Église « sans ride ni souillure » (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 572, ix : Ergo in Ecclesiam visibilem, quæ et ipsa Christi Ecclesia vocatur, quantumvis non sit ista qui ? sine macula est ; cf. ibid., vol. iv, 9), vu qu’elle contient des membres qui n’ont pas la vraie foi. Si donc elle est considérée comme l’Église du Symbole (Sch.-Sch., vol. iv, p. 68), l’Église une, universelle (ibid., vol. iv, p. 9) — voire comme la véritable Église du Christ (ibid., vol. iii, p. 575, xviii, c. fin.) — c’est à raison des membres fidèles qui y sont inclus : on atlrilnic ainsi au tout ce qui est le fait de la melior pars (synecdoque ; ibid., vol. iii, p. 574, xvii).

Mais il y a plus : la profession de foi chrétienne ((institue par soi-même un titre Miflisant à cette appellation, et c’est là sans doute qu’il faut placer le