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ZWINGLIANISME. DOCTRINE EUCHARISTIQUE


lution, le même critique mentionne : la lettre d’Honius, l’entrée en scène de Carlstadt, la réaction de Luther qui passe à une conception ultra-réaliste de la cène, la brouille avec Érasme (ibid., p. 61). Sous l’action combinée de ces facteurs se forme dans l’esprit de Zwingli, de 1523 à 1525, la conception symbolique.

c) Karl Bauer se représente autrement l’évolution de la doctrine eucharistique de Zwingli (cf. Die Abendmahlslehre Zwinglis bis zum Beginn der Auseinandersctzung mit Luther, dans Theologische Blâlter, t. v, 1926, col. 217-226). Selon lui, Zwingli s’est écarté d’assez bonne heure de la doctrine traditionnelle, qui ne cadrait pas avec son système, donc pour des raisons proprement théologiques. Ses réflexions se cristallisent autour du ch. vi de l’évangile de S. Jean, comme il le dira lui-même dans la lettre à Alber : Ex eo capite nos orsi sumus (C. R., iii, 336, 23). Dès ce moment, il était clair que les paroles de l’Institution n’étaient pas à prendre au pied de la lettre, elles avaient un sens figuré, tropologique. Cependant Zwingli, tout en admettant le trope, ne s’expliquait pas à lui-même sur quelle partie de la phrase il fallait le faire porter (cf. Resp. ad epist. Ioan. Bugenhagii, C. R., iv, 560, 1). Il retourna alors la question en tous sens dans son esprit et s’en entretint dans des cercles privés ; la lettre d’Honius arriva à point nommé pour lui donner le mot de l’énigme : est = signiflcat. Les écrits de Carlstadt firent le reste en le forçant à sortir de sa réserve et à exposer l’interprétation symbolique, d’abord en chaire, puis par écrit (Lettre à Alber, Commentaire).

L’intérêt de l’explication de K. Bauer est, on le voit, de faire l’économie d’une conception de la cène, intermédiaire entre la notion catholique et la notion symbolique, savoir la conception érasmienne. Zwingli, s’il l’a connue et en a même épousé certains traits, ne s’y est pas arrêté. Dès que sa pensée fut mise en branle, et cela sans doute grâce à Érasme, qui fut son maître en exégèse, il s’orienta vers la conception symbolique, qui seule cadrait avec son système et qu’il s’agissait seulement pour lui de vérifier exégétiquement. W. Kôhler suit, année par année, l’évolution de Zwingli dans les textes, et il est ainsi conduit à reconnaître une coupure : après avoir admis la présence réelle à la manière érasmienne, Zwingli passe à la conception symbolique et se rétracte (cf. Commentaire, C. R., iii, 774, 19). K. Bauer procède autrement ; il attache plus de poids aux attestations de Zwingli lui-même, qui nous renseigne sur la marche de sa pensée. Mais celles-ci sont contradictoires, et chaque auteur de s’emparer des unes ou des autres en faveur de sa thèse. K. Bauer, comme de juste, retient surtout celles où Zwingli recule dans un passé qui, au tournant de 1524-1525, lui apparaissait déjà comme lointain, ses premières vues sur le symbolisme eucharistique (cf. Subsidium, août 1525 : Fuimus, ante annos plures quam nunc conveniat dicere, huius opinionis de eucharistia. C. R., iv, 463, 16) et dans la lettre aux Strasbourgeois, il parle de « quelques années », iam annos aliquot (C. R., viii, 275, 24).

d) L’échange de vues qui suivit (cf. W. Kôhler, Zu Zwinglis attester Abendmahlsaufjassung, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, xlv, 1927, p. 399-408, et K. Bauer, Symbolik und Realprâsenz in der Abendmalilsanschauung Zwinglis bis 1526. Eine Erwiderung, ibid., xlvi. 1928, p. 97-105) ramène les différences d’interprétation à l’opposition suivante : « Kôhler, avide de rechercher partout des témoignages de la dépendance de Zwingli, estime que, dans ses déclarations concernant la présence réelle, Zwingli est sous l’influence d’Érasme. D’après lui, Zwingli a défendu la présence réelle « spirituelle-mystique » au sens d’Érasme. À l’inverse, je (Bauer) fais confiance

au Zwingli qui a atteint la quarantaine et dont la pensée en matière eucharistique a été mise en mouvement par Érasme, et lui attribue assez d’indépendance dans l’élaboration des thèmes théologiques pour qu’il pût découvrir un sens dans les paroles de la cène qui exclût toute magie et satisfît en même temps aux aspirations religieuses à un commerce avec le Christ dans la cène ; de ce chef, il pouvait se passer de faire à une mystique trouble un emprunt qui finalement devait se solder par le sacrifice de la connaissance réformée qu’il avait acquise. Il est, tel que je l’entends, dans la question de la présence réelle, non le successeur d’Érasme, mais le précurseur de Bucer et de Calvin » (K. Bauer, art. ult. cité, p. 105).

2. Critique.

a ; Il semble que, dans cette controverse, il faille donner raison à K. Bauer. Si Zwingli a été sous l’influence d’Érasme, il n’a jamais proprement fait sienne son opinion, au point qu’il faille parler d’une évolution allant de la conception érasmienne, laquelle déjà marquait un progrès sur la notion commune alors, à l’interprétation symbolique. La preuve du contraire, c’est à notre gré — K. Bauer n’y pense pas — que Zwingli a combattu plus tard l’opinion d’Érasme sans avoir à se désavouer (C. R., iv, 793, 22 sq. ; cꝟ. 776, 778), et surtout il fait preuve, notamment dans la réponse à Strauss (cf. supra, col. 3831), d’une telle incapacité de comprendre une présence réelle corporelle et néanmoins spirituelle, qu’il n’est pas possible que son esprit ait jamais considéré sérieusement la solution érasmienne, et encore moins s’y soit rallié un instant. Pareille antinomie passe à ses yeux pour illogisme ; elle rencontre chez lui des catégories de pensée contraires et les heurte. Il y a donc lieu de restreindre avec K. Bauer l’influence d’Érasme, consciemment subie, au domaine de l’herméneutique (cf. C. R., iv, 498, 40 ; v, 816, 2).

Cependant Érasme a pu agir aussi sur Zwingli à son insu, en le disposant à recevoir l’interprétation symbolique. Car on ne peut qu’observer, avec W. Kôhler, combien est extraordinairement proche de la symbolique le Zwingli qui nie le sacrifice de la messe et la transsubstantiation, accentue avec vigueur la portée et le caractère significatif de la foi et laisse la présence réelle dans une obscurité mystique. Or un tel Zwingli n’est pas loin d’Érasme, et le mirabili modo de la lettre à Wyttenbach est une expression érasmienne (cf. C. R., viii, 88, 9). Ajoutez que ce n’est pas pure coïncidence que l’interprétation symbolique soit arrivée à Zwingli de Hollande, d’où Érasme était originaire. Des recherches sur la mystique des Frères de la Vie commune montreraient sans doute qu’autant Érasme qu’Honius en sont tributaires.

b) Cependant nous serions enclins à pousser la critique plus loin que ne l’a fait Bauer et à nous demander si, sans parler même de la conception érasmienne, Zwingli a jamais été attaché au dogme catholique de la présence réelle. Lui-même en parle, dans la lettre à Alber, avec une singulière désinvolture. W. Kôhler essaye en vain de limiter la portée de cette déclaration : Neque enim unquam puto fuisse, qui crederet, se corporaliter et essentialiter in hoc sacramento edere, tametsi omnes slrenue vel docuerint vel simulaverint (C. R., iii, 350, 6). L’affirmation n’est pas isolée (cf. C. R., iii, 787, 27. 38 ; 788, 11. 32 ; 817, 34 ; iv, 493, 6 sq. ; v, 902, 7). Sans doute Zwingli a reçu ce dogme avec les autres, mais est-ce à dire qu’il se le soit jamais proprement assimilé ?

W. Kôhler s’arrête à l’attestation des Schlussreden : « Il ne s’agit pas ici de savoir si le corps et le sang du Christ sont mangés et bus, car cela ne fait de doute pour aucun chrétien (dann daran zwyflet dheinem Christen) », cité supra, col. 3834. Mais c’est une erreur de méthode et d’interprétation de prêter trop d’atten-