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ZWINGLIANISME. NOTION DE SACREMENT


voit en eux des témoignages vivants, des représentations (au double sens de rendre présent et de représenter ) de Ja grâce. Fr. Blanke cite en preuve de cette interprétation : la Responsio ad Qusestiones de sacrainento baptismi (1530) (Sch.-Sch., vol. iii, p. 571 sq.), et surtout la Christianæ fidei expositio (même date) (ibid., vol. iv, p. 56-58), qui serait la contre-partie de la section De sacrementis du Commentaire. C’est la doctrine plus équilibrée de l’Expositio qui a passé grâce à Bullinger dans la Confessio Helvetica de 1536 (cf. Joh. Martin Usteri, Vertiefung der Zwinglischen Sakraments-und Tauflehre bei Bullinger, dans Theol. Studien und Kritiken, 1883, p. 730-758).

Critique. — Que penser de cette thèse ? Elle nous paraît forcée, et cela pour trois raisons : a) Les écrits polémiques de 1524-25 ne sont pas dénués, nous l’avons vii, de toute référence à la signification objective des sacrements. Si d’une part les sacrements sont des actes du sujet qui témoigne ainsi sa foi et s’engage au service de Dieu dans l’Église, il est aussi vrai, et par le fait même, qu’ils se réfèrent à l’histoire du salut, et spécialement à la Rédemption accomplie sur le Calvaire ; ils contiennent ainsi une référence implicite aux institutions et faits de l’A. T. (ainsi le baptême est la circoncision des chrétiens ; la cène rappelle la Pâque juive). L’Expositio ne fait que mettre les choses au point, quand en quelques formules lapidaires elle précise : les sacrements sont des choses saintes et vénérables, vu qu’ils ont été institués par le Christ ; ils rendent témoignage du passé, selon la loi générale qui veut que « les lois, mœurs et instituts nous renseignent sur leurs auteurs et les circonstances de leur inchoation ; si le baptême signifie la mort et la résurrection du Christ, il faut que ces faits aient vraiment eu lieu » (Sch.-Sch., vol. iv, p. 56).

b) Les passages cités de la Responsio (art. cité, col. 288) et de l’Expositio n’ont pas la portée qu’on leur prête. Dans le premier texte, Zwingli évoque bien le mysterium baptismi, mais il ne fait que reprendre l’expression qui lui est imposée par Schwenckfeld ; en face des luthériens, il parlera de même de présence réelle, quitte à donner à ce terme une signification très atténuée (cf. injra). — Il explique lui-même ici dans quel sens il entend le mystère baptismal : le Christ a lavé l’Église de son sang ; de cette Église, spirituelle ou visible, est membre quiconque est baptisé (Sch.-Sch., vol. iii, p. 576). À ce titre, le baptisé participe à l’union du Christ et de l’Église que le baptême signifie sans l’effectuer d’aucune manière. Il y a lieu, dans ce texte et les semblables, d’éviter une illation dans le sens du réalisme, qui nous est peut-être naturelle, mais qui n’est pas dans la pensée de Zwingli.

On citera cependant l’Expositio : Auxilium opemque adjerunt fidei et la suite (Sch.-Sch., vol. iv, p. 57). Ce passage est caractéristique de la psychologie dualiste de Zwingli, qui admet un certain parallélisme entre les opérations de l’âme et celles du corps sans interaction réciproque ou concours direct (cf. C. R., viii, 236, 3 sq.). Plus précisément : de même qu’il y a une inclination de la chair vers le terrestre, dont le démon est complice, qui est une menace pour l’esprit, de même il existe un essor naturel de l’âme vers les choses d’enhaut, suscité par l’Esprit-Saint, auquel correspond dans la partie inférieure de notre être, pour mettre les choses au mieux, un monde de représentations favorables. C’est déjà beaucoup d’obtenir des sens, par la présentation d’objets dignes d’eux, qu’ils fassent diversion aux tendances mauvaises. Mais il y a plus : on peut de la même manière les solliciter positivement en faveur du bien, et c’est le rôle attribué aux sacrements, qu’ils partagent sans doute avec la parole, mais qui leur revient cependant à un titre éminent. Car avec

eux c’est tout l’homme sensible, ce sont les cinq sens qui sont comblés. Dans la Cène surtout, la Rédemption, le Christ leur est présenté sous les espèces du pain et de l’action eucharistique. Dès lors rien n’empêche — il s’agit seulement d’une causalité indirecte — l’esprit de vaquer à la contemplation des choses divines et de les goûter intimement (Sch.-Sch., ibid., p. 57, c. fin, ). Conclusion : « Les sacrements sont comme des freins par où les sens, prêts à se livrer à leurs convoitises, sont rappelés et ramenés de façon qu’ils secondent (ou servent) l’esprit et la foi. » Il est entendu que sacrements et loi, comme sens et esprit, appartiennent à deux mondes différents dont l’un ne peut agir directement sur l’autre.

Dans ce passage, Zwingli développe le symbolisme des sacrements pris dans leur rapport au sujet, en vue d’exploiter leur valeur pédagogique ou psychologique, comme auparavant il avait en vue leur valeur morale. Celle-là cependant n’est pas telle qu’on puisse parler à aucun titre d’une causalité même dispositive des sacrements ; en d’autres termes, si favorable que soit leur action à l’essor de l’âme vers les réalités spirituelles, ils ne déterminent pas des dispositions qui influent positivement sur la réception de la grâce. Celle-ci relève de la nature spirituelle du moi et de la touche de l’Esprit qui est souverainement libre et agit directement sur l’âme. Mais plus encore : l’action psychologique des sacrements est une chose, l’octroi ou collation de la grâce par le canal des sacrements ou à l’occasion de leur usage rituel en est une autre. Fr. blanke paraît confondre les deux moments : il interprète la majoration d’objectivité vers laquelle nous conduit Zwingli au sens du don surnaturel de la grâce (dass mir etwas widerfâhrt), alors que Zwingli raisonne en humaniste du rôle éducatif des sacrements et en développe le symbolisme selon la ligne qui a toujours été la sienne (cf. Wer Ursache gebe, déc. 1524 : « Nos yeux aussi veulent voir ; sinon le Christ n’aurait pas institué le baptême et la Cène. C. R.. iii, 411, 16).

W. Niescl, qui critique la thèse de Fr. Blanke, pense un peu différemment (cf. Zwinglis i spùtere » Sakramentsanschauung, dans Theologische Blaller, 1932, n. 11, col. 12-18). « Les sacrements ne sont pas des instruments de Dieu, mais des instruments de la foi. Que Zwingli concède que la foi, pour renforcer son assurance (zu seiner Sicherung), ait à user de tels moyens extérieurs est une correction de sa doctrine précédente. Ceci, Blanke l’a bien vu. Mais c’est seulement une correction, et non un remaniement de portée générale » (art. cité, col. 15). Dans le texte de l’Expositio, il n’est pas question d’assurance de la foi — celle-ci est d’un autre ordre et ne dépend que de Dieu (voir les attestations formelles de Zwingli, Annot. in Ex., Sch.-Sch., vol. v, p. 244 ; Von der Taufe, C. R., iv, 226, 31) — mais seulement de la contemplation de la foi (adiuvant ergo fidei contemplationem sacramenta). Dans ses dernières années, Zwingli a parfait ses vues sur la psychologie de la foi en fonction du platonisme qui semble avoir exercé sur son esprit un empire toujours plus grand. L’âme, prisonnière des sens, doit s’en évader pour contempler les réalités de l’au-delà. Cette contemplation est le fait de la foi ; dans la mesure où les sacrements en disciplinant les sens concourent à cette évasion, « ils aident la contemplation de la foi. Mais ce n’est pas à dire que par eux le monde même auquel la foi a affaire, la réalité divine, se rapproche de nous et s’incline vers nous par un don de grâce. Il s’agit donc toujours, selon la ligne antécédente, d’ « interprétation » de l’histoire, et non d’irruption de Dieu dans l’histoire (Deutung der Ceschichte, et non : Einbruch in die Geschichte, W". Kôhler, cité plus haut). En définitive, Zwingli se passe de toute médiation, de quelque ordre que ce soit, parole ou sacrement.