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ZWINGLIANISME. DOCTRINE SAC RAMENTAIRE



V. Doctrine sacramentaire.

Nous arrivons ici à la jonction des deux aspects de la pensée zwinglienne. Zwingli se maintient dans la ligne du spiritualisme : quelle que soit par ailleurs leur raison d’être ou leur signification, qu’il convient de déterminer de plus près, les sacrements ne sont pas incorporés à la religion, qui consiste dans la foi, conçue comme expérience religieuse intime. C’est dire que, avec des nuances ou variations de ton nécessitées par la polémique, les sacrements n’auront jamais pour Zwingli qu’une valeur accessoire. W. Kôhler en fait la remarque : < H ne s’agit plus finalement pour Zwingli d’un sacrement, mais du développement de valeurs religieuses acquises par le sujet croyant, réfléchissant sur ce qu’on nomme les réalités du salut ; en somme il s’agit finalement d’ « interprétation » de l’histoire — le « sacrement « l’a toujours mis en difficulté. Pour Luther, en revanche, ce n’est pas d’interprétation, mais d’irruption de Dieu dans l’histoire qu’il faut parler » (Das Religionsgesprach zu Marburg, 1929, p. 55, note). Disons donc : les sacrements ne sont à aucun titre véhicules ou moyens de grâce ; ils revêtent sans doute un caractère historico-symbolique, du fait qu’ils sont des signes se référant au Christ, leur auteur, et à des événements salutaires passés ; mais là n’est pas leur signification essentielle. Celle-ci se prend par rapport au sujet : les sacrements attestent ses dispositions religieuses intimes, sa foi ou confiance en Dieu, et cet engagement moral que constitue pour Zwingli la vie chrétienne intégralement vécue.

En revanche — et c’est là l’autre aspect de sa pensée qu’illustrent à merveille les sacrements — Zwingli compense le déplacement d’accent par un passage de l’individuel au social. La notion d’engagement (Verpfliclitung) sert ici de pivot, car qui dit engagement dit obligation, non pas tant envers Dieu ou envers soi-même qu’envers la communauté. Zwingli était poussé dans ce sens par un certain instinct, qui marque son tempérament et son génie propre, en même temps que par des raisons de politique religieuse. Par là, il consolidait l’Église réformée comme institution, il développait en ses membres l’esprit de corps, etc. L’épreuve cruciale de la notion nouvelle de sacrement fut la controverse anabaptiste. Kn fait les anabaptistes ne faisaient qu’accepter dans leurs conséquences des idées émises par Zwingli lui-même jusqu’en 1525 ; obligé de les contrecarrer parce qu’ils menaçaient son œuvre à Zurich, Zwingli renversa alors les prémisses, ou, si l’on veut, il elTectua alors un redressement, toujours en prenant pour axe cette idée d’obligation morale envers la communauté chrétienne. Il s’aperçut que cet engagement était à double sens, que la communauté s’engageait à l’égard de ses membres non moins que ceux-ci à l’égard d’elle-même. C’est ce qui lui permit de sauver le baptême des enfants. Ainsi, dans l’ébranlement général du système sacramentaire catholique, cette pièce du moins restait ferme : elle devait symboliser la résistance à l’anabaptisme avec son spiritualisme outrancier et anarchique, encore que, nous le verrons, l’institution changeât de caractère. Il nous faut maintenant justifier et étayer ces vues. La Cène pose une question nouvelle, à raison de la controverse luthérienne. Nous l’aborderons ensuite.

I. LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL.

1° Notion de

sacrement. — 1. Genèse et développement de la pensée zwinglienne. — a) Encore que les idées de Zwingli sur la messe et les sacrements ne fussent qu’un corollaire de son système philosophico-théologique et notamment de son anthropologie et de sa conception du rapport religieux, elles tranchent sur lui en ceci qu’elles heurtaient de front l’opinion publique restée attachée aux pratiques cultuelles ancestrales. Alors que, dans

l’ensemble, les fidèles étaient peu sensibles aux spéculations précédentes sur la foi et la morale, ils ne laissèrent pas de s’émouvoir quand ils furent placés en face de nouveautés théologiques qui ne tendaient à rien moins qu’à faire disparaître tout l’appareil extérieur de la religion ou à le vider de sa substance. Aussi Zwingli dut-il redoubler ici de prudence, de souplesse, d’habileté manœuvrière. La ligne qu’il suit dans la critique de la notion traditionnelle de sacrement en est un indice.

Zwingli affecte de délaisser le mot sacramentum, peu clair en lui-même, incompréhensible pour t nous, Allemands » (il flatte ainsi, en passant, l’amour-propre national en éveil), et de lui substituer le terme collectif de « choses saintes » (C. R., ii, 125, 23) ou de « cérémonies » (C. R., iv, 217, 14), chaque sacrement étant par ailleurs désigné individuellement par son nom propre (C. R., ii, 125, 23 et iii, 762, 27). En fait, s’il écarte le terme de sacrement, c’est parce que dans l’esprit populaire un certain halo numineux et magique l’entoure qu’il s’agit précisément de dissiper. Par ailleurs, Zwingli entend faire de la bonne philologie et rattacher l’acception du terme qu’il va proposer au sens primitif et original — sens neutre et non théologique. Il cite la définition du sacramentum que donne Voiron : « gage que, en cas de litige, l’on dépose sur l’autel et qui revient à la partie gagnante. De même que les plaignants s’engagent à ne pas le reprendre avant la fin du procès, de même il y a dans les sacrements une stipulation semblable. On se meut ici dans le légalisme antique à résonance religieuse de l’initiatio ou oppignoratio. Ainsi « ceux qui sont initiés au sacrement s’engagent, donnent caution et reçoivent comme un gage, en sorte qu’il ne leur est plus permis de reculer » (Commentaire, C. R., iii, 759, 6 sq.). « N’étant pas autre chose qu’une initiation ou consignation publique, le sacrement ne peut avoir aucune vertu pour libérer la conscience (ibid., 759, 18). C’est ce à quoi Zwingli voulait en venir : dissocier les deux notions de sacrement et réalité sanctifiante (signum et res ou virtus). Son habileté consiste à opérer cette dissociation ruineuse de la tradition sous le couvert d’une fidélité aux mots : « Laissons, écrit-il, les sacrements être des sacrements, et ne disons pas qu’ils sont des signes qui sont aussi ce qu’ils signifient. Seraient-ils tels, ils ne seraient pas des signes. Car le signe et ce qui est signifié ne peuvent être une même chose » (C. R., iv, 218, 13).

b) Plus précisément, dans sa partie négative et critique, la doctrine de Zwingli comporte le rejet des trois notions alors courantes du sacrement : catholique, luthérienne et anabaptiste. — a. Les sacrements n’ont pas la vertu de purifier (causalité instrumentale efficace). Si Zwingli déclare acceptable la définition du Lombard : sacrée rei signum, il en étude la force en niant que la purification intérieure accompagne l’exécution du rite (C. R., iii, 757, 16). Dieu seul pénètre à l’intérieur de l’homme, et seule la touche divine peut délier les consciences. « Qui pourrait faire que l’eau, le feu, l’huile, le lait, le sel et ces choses épaisses parviennent jusqu’à l’âme ? N’en étant pas capables, comment pourraient-elles purifier ? » Ou sinon, il faut se faire de la sainteté un concept purement rituel (ibid., 759, 21 sq.). Il y a ici sous-jacente l’opposition entre le spirituel et le matériel, l’intérieur et l’exrieur ;

b. Les sacrements n’ont même pas la vertu de rendre le sujet certain d’un processus spirituel qui s’accomplit dans l’intime de l’âme, selon une loi de concomitance : Dieu opérant la justification (ou la sanctification), tandis que le rite s’accomplit au dehors. Cette notion va directement contre la nature de la foi et sa genèse. La foi est une certitude purement