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ZWINGLIANISME. CHRISTOLOGIE


deux natures du Christ, en marge des Articles de Marburg (Sch.-Sch., vol. iv, p. 183 ; cf. C. R., v, 953, 5 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 48). La controverse eucharistique a conduit à un approfondissement de la doctrine, et dans un sens antithétique à Luther. Si celui-ci insiste sur l’unité de personne, Zwingli met l’accent sur la distinction des natures. (Sur la comparaison des deux christologies, cf. O. Ritschl, Die reformierte Théologie des 16. und 17. Jahrhunderls in ilirer Entslehung und Enlwicklung, 1926, c. xlv, p. 108 sq.) 1° La pensée zwinglienne est strictement monothéiste : elle ne recule pas devant des formulations qu’on pourrait accuser de modalisme (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 47, c. init. ; 83, c. fin. ; vol. iv, t. i, p. 682, c. init.). L’Incarnation est synonyme de communication que Dieu fait de soi-même ; le double aspect de l’essence divine, justice et miséricorde — qui se rejoignent dans la bonté de Dieu — l’exige (C. R., ii, 38, 17 ; v, 628, 28). Il faut que la justice de Dieu offensée par l’homme pécheur soit satisfaite : cette considération induit Zwingli à présenter la Rédemption comme une tractation (Handel) entre le Christ et son Père, à lui donner forme juridique. Ainsi, dans l’Austegung der Schlussreden, où il paraît s’inspirer de la doctrine anselmienne de la satisfaction (C. R., ii,

37, 19 sq. ; P. Wernle, Zwingli, p. 20 sq.). L’aspect subjectif ne fait cependant pas défaut (ibid.). Comme le dit W. Kôhler, Dieu « est forcé par l’immanente logique de ses propriétés à l’œuvre de la Rédemption ». Son caractère moral est mis en lumière du fait que celle-ci procède de la justice et de l’amour (Sch.-Sch., vol. iv, p. 110).

Zwingli distingue un triple aspect dans l’œuvre rédemptrice : réconciliation, assurance de grâce et norme de vie innocente (Sch.-Sch., vol. iv, p. 47-48). « La réconciliation s’entend du côté de Dieu, et Dieu prend sa victime ; le gage de la grâce et la norme de vie s’adressent à l’homme. Assuré de la grâce de Dieu, l’homme reçoit en même temps une norme de vie » (cf. P. Wernle, op. cit., p. 331). C’est là un trait constant de la christologie zwinglienne, que le Fils de Dieu a assumé une chair mortelle afin de pouvoir s’offrir en victime et apaiser la justice divine. Zwingli pousse l’antithèse assez loin : le Christ innocent paye pour les pécheurs (biirgend und bezahlend, Bezahler, C. R., ii,

38, 33 ; 40, 30 ; 478, 4 ; iv, 66, 26). Par ailleurs on relève des corrélations : entre la chair innocente et la naissance virginale, dogme qui est retenu à ce titre (C. R., ii, 477, 31 ; 478, 1 ; Sch.-Sch., vol. vi, 1. 1, p. 204 : cardo fidei christianœ) ; entre les effets salutaires du Corps et du Sang : le Christ nous rachète de son Corps et nous lave de son Sang (C. R., ii, 115, 15 sq. ; viii, 86, 29). On perçoit, sous-jacente, une conception physique imitée de l’antique.

Néanmoins l’humanité du Christ reste en quelque sorte extérieure à la Rédemption elle-même et à l’octroi de la grâce : elle est seulement gage (Pfand) des miséricordes divines (cf. C. R., Il, 381, 9 ; 484, 20 ; 496, 22 ; iii, 676, 12 ; iv, 64, 18 ; v, 629, 6 ; 782, 11 ; vm, 86, 35 ; cf. Bavinck, Ethiek, p. 84). Car Dieu nous ayant donné son Fils unique, se plaît à répéter Zwingli après saint Paul, comment ne nous aurait-il pas tout donné avec lui ? (C. R., Il, 39, 7 ; 166, 10 sq. ; v, 629, 7 ; 758, 6 sq., etc.) Et d’abord la grâce. Par le tour que prennent ces affirmations, il est clair que Zwingli considère proprement Dieu comme l’auteur de la Rédemption ; l’humanité du Christ ne joue qu’un rôle auxiliaire ou instrumental (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 183 : Nam salvatorem esse propriæ divinæ est naturæ, non humanse). E. Zeller le souligne : « L’humanité du Christ n’a pour l’œuvre de la Rédemption qu’une signification subordonnée. Le vrai Rédempteur est précisément, d’après Zwingli, seulement le

Dieu dans l’Homme-Dieu ; l’homme qui doit être semblable aux rachetés est seulement l’instrument de la Rédemption » (Das theologische System Zwinglis, 1853, p. 94). Par voie de conséquence, dans le Christ seule sa divinité est objet de foi ; sa mort salutaire est traitée comme un fait historique qui ne tombe pas sous la foi (C. R., v, 788, 6 : « La vraie foi met sa confiance (vertruwt) en la divinité de Jésus-Christ et reconnaît (erkennt) que sa mort est notre vie s cꝟ. 693, 3 : Christo non fidimus eo quod humanam naturam induerit, sed quod solus ac verus Deus sit).

2° La séparation des deux natures s’accuse au cours de la controverse eucharistique. Ce n’est pas sans raison que Luther a pu reprocher à son adversaire de « réduire à néant » l’humanité du Christ (C. R., v, 952, 29). Zwingli ne conçoit pas que l’humanité du Christ glorieux soit autre que sa chair passible : il se refuse à toute sublimation de l’homme dans le Christ en un Corps invisible et insensible. L’humanité glorifiée garde ses propriétés : elle est circonscrite, localisée, elle siège à la droite du Père, ce qui s’entend localement, plutôt que d’une communication de pouvoirs (C. R., v, 654, 7 ; 692, 4 ; 697, 1 sq. ; cꝟ. 701, 13 : Ut humanilas a dei filio in hoc adsumpta, ut hostia fieri commode posset, … ad solium summi numinis subvecta est et ad dexteram dei sedet [comme un oiseau en cage, glosait ironiquement Luther], ita divinita » incommutabilis manet, sola régnât, sola administrât omnia). Du ciel où elle siège, l’humanité du Christ reviendra au dernier jour : sous la plume de Zwingli, c’est là non perspective eschatologique (elle est absente de ses œuvres, supplantée par le dualisme mystique ; cf. cependant C. R., v, 751, 23), mais littéralisme scripturaire d’où on tire argument contre la Présence réelle.

Divinité et humanité dans le Verbe incarné ont donc chacune ses propriétés, suivent chacune sa loi. « Zwingli crée une singulière espèce d’être hybride, qui est à la fois infini et fini, tout-puissant et limité, et donc défie toute représentation exacte » (W. Kôhler, Geisteswelt, p. 101). Qu’advient-il de la communicatio idiomatum dûment fondée sur les expressions dont se sert l’Écriture ? Zwingli change le terme ; il l’appelle Allôosis, par égard pour les grammairiens (C. R., v, 515, 14 ; 679 sq. ; 681, 14 ; Sch.-Sch., vol. ii, t. ii, p. 152). Quant à la chose, il distingue tellement les actions du Christ quatenus deus et quatenus homo qu’il n’y a plus de communication réelle. C’est là rompre la communicatio idiomatum ou ne lui garder qu’un sens nominaliste (avec E. Seeberg, art. infra cit., p. 49) : les termes qu’on rencontre dans l’Écriture sont interchangeables ; là où elle parle du « Corps » du Christ, c’est de la divinité qu’il s’agit (C. R., v, 605, 19 ; 608, 13 : Quoties carnem adpellavi, loties spiritum significare volui et vitam).

O. Ritschl écrit bien : « Il use de Y Allôosis comme d’une figure de langage qui sert seulement à corriger la Sainte Écriture là où elle ne correspond pas à son opinion préconçue et à lui faire dire le contraire de ce que son contexte et ses paroles suggèrent » (op. cit., p. 118). De même W. Kôhler (Zwingli und Luther, p. 478-479) : « La communicatio idiomatum est réduite à un jeu de mots ; elle intervient non pour mettre en relief l’unité personnelle, mais pour souligner la différence des deux natures. » Cependant le même auteur disculpe Zwingli de l’accusation de nestorianisme (C. R., v, 682, note) : le réformateur ne serait ici que le disciple de Duns Scot. La doctrine scolastique des assumptiones explique les expressions de ce genre dont il se sert (in hoc adsumpta, C. R., v, 701, 13 et passim). Notons en effet que le Verbum caro (actum est est pour Zwingli un contresens : il faut retourner les termes et parler seulement d’assomption