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ZWINGLIANISME. ZWINGLI ET LA SCOLASTIQUE


Zwingli adopte les conceptions physiques du Moyen Age, qu’il étoffe seulement par la lecture des auteurs profanes et ses observations personnelles : il enrichit ainsi la preuve téléologique traditionnelle (cf. De Providentia, Sch.-Sch., vol. iv, p. 92-93). Par ailleurs, sa notion de Dieu est pour une large part empruntée à Aristote (Dieu, bien suprême, premier moteur, cause suprême et être par excellence, das « Ist » ). Son angélologie l’apparente aux scolastiques (cf. C. R., vii, 288, 22 : Neoterici s’entend des scolastiques par opposition aux Pères, appelés veteres theologi ; cf. C. R., , 929, n. 8). Il confesse avoir reçu sa psychologie des « philosophes », entendez des scolastiques, d’après C. R., i, 377, 27. Sa christologie, mûrie dans la controverse eucharistique, est influencée par les problèmes contemporains, scolastiques, qui se posaient dans le cercle de Lefèvre d’Étaples (ce dernier était lui-même aristotélicien de tendance : cf. P. Mestwerdt, Die Anfànge des Erasmus, 1917, p. 311, n. 2). Cette constatation a une portée générale : la problématique de l’École est à l’arrièreplan de bien des questions, telles qu’elles se posent à l’esprit de Zwingli, et la dialectique traditionnelle, à laquelle il était rompu, l’aide à les débrouiller. On a remarqué aussi que Zwingli à Glarus (1508-1516), soucieux de parfaire sa culture, accueille tous les ouvrages qui paraissent, édités par les humanistes, sur toute une gamme de sujets : sciences naturelles, physique, éthique, arithmétique, métaphysique, histoire, etc. Une lecture aussi abondante et variée suppose à son principe une vue réaliste de l’univers telle que seule la via antiqua la rendait possible. Cette curiosité si vaste et toujours en éveil est bien éloignée de l’attitude d’esprit d’un Luther.

La rencontre avec Luther à Marburg fournit justement la preuve cruciale de ce que nous avançons. Alors, il apparut que ces deux hommes venaient des coins les plus opposés de l’horizon philosophique du temps. À la base même de leurs conceptions eucharistiques divergentes, on trouve des préjugés philosophiques, métaphysiques, qui s’inspirent des deux écoles concurrentes. Le premier argumente en se fondant sur la pleine réalité du concept de corps, il accentue la limitation qui est absolument liée à ce concept et exclut l’ubiquité, insiste sur la localisation du Corps du Christ même glorifié. Le second part d’une formule et s’y tient : les termes appellent les réalités correspondantes. Il est dans la logique même de la via moderna d’isoler les apparences de la réalité : la foi seule franchit le fossé, en atteignant directement celleci. Luther aborde de front le miracle eucharistique, il y voit une occasion d’exercer sa foi, selon la manière même à laquelle sa discipline intellectuelle l’a accoutumé. Zwingli, en revanche, l’interprète comme une impossibilité métaphysique : sa théorie de la connaissance l’oblige à prendre les choses pour ce qu’elles sont : réalités ontologiques, réellement connaissables et nullement interchangeables entre elles. Il se refuse à faire du Corps du Christ le jouet de « spéculations qui ne tiennent pas compte de sa consistance », quitte à passer aux yeux de ses adversaires (Strauss) pour un « sophiste aristotélicien » (C. R., v, 492, 21 et la note).

2° Zivingli et la « via moderna ». — Est-ce à dire que Zwingli est le disciple exclusif de la via antiqua, et les hésitations de O. Farner n’ont-elles pas aussi leur bien-fondé ? Non. Ici encore il y a des témoignages et des faits qui parlent en sens inverse :

1. A Bâle, on était arrivé depuis 1492 à un compromis entre les deux voies. Des maîtres de tendances opposées se succédaient dans la même chaire ou enseignaient parallèlement. Or il n’est pas dans le tempérament de Zwingli, et il n’a jamais été dans sa pratique, de s’attacher tellement à un maître qu’il renonce pour cela à un autre qui lui aussi a sa contri bution originale à apporter. Lui-même en fait l’aveu, avec une certaine candeur : « Dès ma jeunesse, Dieu m’a donné la disposition de chercher à m’instruire avec assiduité, tant dans les sciences divines que dans les humaines… Et jamais, au cours de mes études, je ne me suis attaché à un maître au point que pour cela je dusse m’éloigner d’un autre et refuser ce qui me viendrait de la supériorité de ce dernier en savoir et en clarté. » Et voici une profession d’éclectisme qui explique ce qu’il peut y avoir de disparate dans les écrits et le système du réformateur : « J’ai considéré l’ensemble de tous les sages et saints docteurs qui ont vécu en un temps quelconque comme formant une seule assemblée, disons mieux : un repas, auquel chacun a le droit et le devoir d’apporter son écot » (Sch.-Sch., vol. v, p. 547-48). Ainsi ses préférences pour Aristote ne l’obligent pas à délaisser Platon ; dans l’étude des Saintes lettres, il consulte tour à tour les maîtres hébreux, grecs et latins. Aborde-t-il Isaïe, il confronte les LXX et S. Jérôme et s’aide du commentaire récent d’Œcolampade. Sa philosophie fortifie en lui cette inclination : « La vérité est pour moi ce que le soleil est pour le monde. De même que le soleil par sa présence répand joie et ardeur au travail, de même l’esprit soupire après la lumière de la vérité, et partout où il en rencontre un rayon, il s’y porte avec un joyeux empressement » (ibid., p. 552-53). Sur l’éclectisme de Zwingli, cf. P. Wernle, Reformatorisches Clauben und Denken, dans Kirchenblatt fiir die reformierte Schweiz, xx, 1903, p. 151 sq.

2. Dans son dernier ouvrage (cf. Huldrgch Zwingli, 1943, p. 22), W. Kôhler se refuse à reconnaître dans la pensée de Zwingli des traces de l’influence de la via nova, à moins, ajoute-t-il, de faire commencer celle-ci avec Duns Scot. De ce dernier Zwingli est largement tributaire (cf. infra, col. 3796 3807, 3909 etc.). Dans sa conception de la loi et du péché, de la foi, de la Providence, partout on relève la note volontariste qui, s’il s’agit de Dieu, risque de se dégrader en un déterminisme absurde (Dieu supérieur à toute loi ; sa volonté seule règle du bien et du mal ; de l’élection et de la réprobation, etc. ; cf. infra, col. 3781 sq.). Dans le De Providentia, Zwingli attribue à saint Thomas, concernant la prédestination, une opinion qui lui est entièrement étrangère (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 113). C’est là une fausse réminiscence. Pensons plutôt à G. Biel (cf. H. Hermelink, Die theol. Fakultût in Tùbingen, ut supra, p. 116). Il y a aussi dans la dogmatique de Zwingli des éléments qui supposent une certaine familiarité avec le nominalisme occamien et la logique des termini (cf. C. R., i, 551, 12 ; cf. ii, 154, 7). Ainsi le monothéisme zwinglien tend-il à réduire les propriétés personnelles en Dieu à de simples noms (nomina sive personœ) ou à confondre les attributs divins avec les personnes de la Trinité (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 47, 83). En christologie, l’Allôosis, substitut de la communicatio idiomalum, a une saveur nominaliste (cf. infra, col. 3792). E. Seeberg aperçoit un rapport entre le symbolisme sacramentel de Zwingli et le nominalisme (art. infra cit., p. 56 ; voir aussi, en morale, Sch.-Sch., vol. iii, p. 286 : alia atque alia nomina [en parlant des diverses vertus]).

Mais à quoi bon relever tel ou tel trait, alors que tout le système de Zwingli se place dans la ligne de l’occamisme ? Car la distinction occamienne entre le monde des apparences, ouvert à nos sens, et l’être réel des choses, qui ne peut être atteint que par la fol, où la trouve-t-on plus constamment affirmée que chez Zwingli ? Encore que, partant d’un point de vue différent d’Occam, métaphysique, non logique, Zwingli a été amené à vider les choses de leur substance et à mettre toute leur réalité en Dieu. Entre les sensibilia et les intelligibilia (ou spiritualia), point de médiation