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ZWINGLIANISME. SOURCES DE LA DOCTRINE​

ZWINGLIANISME. — Sous ce titre on étudie la doctrine de Zwingli, ses sources, ses principaux articles, son influence. Sans faire l’histoire du nom (Zwinglianer ; cf. K. Guggisberg, art. infra cit., p. 3637), indiquons, à titre d’introduction, que l’originalité de la doctrine de Zwingli n’a été reconnue que lentement. Par son opposition au catholicisme d’une part, sa distinction du luthéranisme et du calvinisme de l’autre, elle mérite qu’on lui consacre aujourd’hui une étude spéciale. L’ampleur de celle-ci est assez justifiée dès lors qu’une perspective est maintenue ouverte sur les doctrines adjacentes. Les développements seront d’ailleurs réservés aux questions qui présentent un intérêt encore actuel. Voici donc les divisions de cet article :
I. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME I. Sources du zwinglianisme|Sources du zwinglianisme]] (col. 3745).
II. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME II. Prolégomènes :sources et normes de la croyance|Prolégomènes : sources et normes de la croyance]] (col. 3765).
III. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME III. Dogmatique|Dogmatique zwinglienne]] (col. 3778).
IV. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME IV. Morale |Morale de Zwingli]] (col. 3794).
V. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME V. Doctrine sacramentaire|Doctrine sacramentaire]] (col. 3811).
VI. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME VI. Ecclésiologie|Ecclésiologie]] (col. 3842).
VII. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME VII. Idées sociales et politiques|Idées sociales et politiques]] (col. 3883).
VIII. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME VIII. Synthèse :le prophétisme zwinglien|Synthèse : le prophétisme zwinglien]] (col. 3918).
IX. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME IX. Influence de Zwingli|Influence de Zwingli]] (col. 3921).
X. [(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME X. Épilogue :Zwingli et le catholicisme|Épilogue : Zwingli et le catholicisme]] (col. 3924).
[(Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME X. Épilogue :Zwingli et le catholicisme|Bibliographie]] (col. 3925).

Pour l’explication des sigles et des abréviations, se reporter à la bibliographie.

I. Sources du zwinglianisme.

On a coutume de mentionner comme sources de la doctrine de Zwingli : la scolastique, l’humanisme et la Réforme naissante en Allemagne (Luther). Il s’agit là seulement d’un apport matériel et simultané plutôt que d’apports successifs, car les influences issues de l’humanisme et de la Réforme se sont constamment croisées dans la pensée de Zwingli. En outre, il a réagi sur ces données selon son génie propre, et finalement sa théologie porte le cachet de sa personnalité et ne se laisse pas réduire en ses composants par analyse. Cette personnalité elle-même baignait dans le milieu natal ; elle s’est développée au sein de la Confédération : les influences qui tiennent au cadre, au terroir, aux conjonctures historiques, pour être moins relevées que les précédentes, n’en ont pas moins agi puissamment sur l’orientation du génie de Zwingli (cf. infra, col. 391 7). C’est ce qui ressort abondamment de l’étude récente de O. Farner, Huldrych Zwingli, 2 vol., spécialement t. i : Seine Jugend, Schulzeit und Studentenjahre, 1484-1506 (Zurich, 1943). Y renvoyant le lecteur, on se contentera d’étudier ici l’influence sur Zwingli de la scolastique (I), de l’humanisme (II) et de Luther (III).

I. INFLUENCE DE LA SCOLASTIQUE.

Zwingli et la « via antiqua ».

« On a coutume d’accentuer le

caractère humaniste de la formation de Zwingli, mais il ne faudrait pas oublier qu’un fondement scolastique l’a précédé » (W. Kôhler). Les études de G. Ritter (Studien zur Spätscholaslik, ii, Via antiqua und via moderna au} den deutschen Vniversitâlen des 15. Jahrhunderts, dans Silzungsberichte der Heidelberger Akad. der Wiss., 1922) et de H. Hermelink (Die theologistche Fakultät in Tübingen vor der Reformation 1477-1534, Tübingen, 1906) contribuent à nous éclairer sur la formation scolastique de Zwingli, mais elles ne font pas la lumière de façon absolument décisive, puisque, O. Farner, revenant récemment sur le sujet (op. cit., i, 217 iq.), a remis en question l’appartenance du réformateur à la via antiqua. Il y a cependant des arguments positifs en faveur de cette assertion : témoignages de Zwingli lui-même, caractère de ses œuvres et de l’orientation de son esprit :

1. Dans le 18e  article de l’Auslegung der Schlussreden, Zwingli se réclame de Th. Wyttenbach, qui lui a enseigné la futilité des indulgences et, à l’inverse, le prix unique de la mort salutaire du Christ (C. R., ii, 145, 25 sq. ; cf. v, 718, 5). D’après son biographe moderne (cf. Stæhelin, i, 40), Zwingli se référerait ici à une dispute postérieure, datant de 1515 (vor etwas zyten), à laquelle son maître de jadis (min herr und geliebter trüwer lerer) aurait pris part. Zwingli étudia à Bâle de 1500 à 1506 à la faculté des arts ; promu maître es arts au début de 1506, il entra à la faculté de théologie, où il suivit les leçons de Th. Wyttenbach pendant deux semestres. Wyttenbach lisait les Sentences et commentait l’Écriture, spécialement l’épître aux Romains. Le séjour de Zwingli à Bâle fut brusquement interrompu par sa nomination à la cure de Glarus. Si Th. Wyttenbach exerça une influence sur lui, ce fut plutôt à titre d’initiateur et par les horizons nouveaux qu’il lui ouvrit.

Or, de quelle école était Wyttenbach ? Nous connaissons ses ascendants (cf. H. Hermelink, 'op. cit., p. 156 et 163). Il était, l’élève de Paulus Scriptoris et de Konrad Sommenhart, qui représentaient alors à Tübingen la via antiqua. De Paris, où elle régnait depuis l’édit de 1473, qui excluait les occamistes, la via antiqua s’était répandue dans l’Allemagne du Sud ; elle fut introduite à Bâle par Johann Heynlin von Stein ; elle s’infiltra même jusqu’à Vienne, où Konrad Celtes, sous qui Zwingli étudia, était de ses adeptes. En revanche, dans l’Allemagne du Nord dominait le nominalisme occamien ou via moderna. Entre les deux réformateurs : Luther et Zwingli, il y a au départ la distance qui sépare les deux voies.

Elle est bien accusée dans une lettre de Glarean (Heinrich Loriti), ami de Zwingli, qui en 1511, alors qu’il étudiait à Cologne, lui envoie un écrit de Lambertus de Monte sur Aristote, disant : « Tu es un aristotélicien » (C. R., vii, 14, 3). Il se plaint aussi des vaines subtilités de la scolastique telle qu’on l’enseignait à Cologne (la logique des termini) et prie Zwingli de faciliter son transfert à Bâle, afin qu’il puisse s’instruire in via seu secta Scoti (C. R., vii, 3, 20). Ainsi désignait-on la via antiqua qui se donnait comme héritière de l’ancienne scolastique (S. Thomas, Duns Scot). Dans sa bibliothèque, dont W. Kôhler a fait l’inventaire (cf. Huldrych Zwinglis Bibliothek, Zurich, 1921), Zwingli avait un exemplaire de Duns Scot (éd. de Venise, 1503), ainsi que les Sentences de P. Lombard et le commentaire de Paulus Cortesius sur cet ouvrage (préfacé par Rhénan, Froben, 1513).

Sous une impulsion partie de Paris (Lefèvre d’Étaples), mais qui a pu avoir sa source première dans la Renaissance italienne (Académie de Florence), cette école de scolastique était en voie de renouvellement. Si l’on en croit la thèse de H. Hermelink (cf. Die religiösen Reformbestrebungen des deutschen Humanismus, Tübingen, 1907), l’humanisme allemand serait issu de ce courant ; disons du moins que la via antiqua favorisa l’essor de l’humanisme ; ainsi, sans nul doute, chez Zwingli, encore qu’à son insu. Cependant, une fois qu’il se fut attaché à Érasme, il partagea le mépris de celui-ci pour la scolastique (C. R., viii, 84, 6 ; cf. i, 377, 27 ; ii, 94, 28) — enveloppant sous ce nom anciens et modernes — et il oublia qu’avant même Érasme les anciens prônaient la restauration de la théologie sur ses bases véritables, soit donc le retour, par de la S. Thomas et Aristote, aux Pères et à l’Écriture,

2. Que Zwingli doive sa formation philosophique et théologique à la via antiqua, nous en avons le témoignage dans ses œuvres mêmes et l’orientation de son esprit : « Le cadre idéologique dans lequel se meut la théologie de Zwingli, écrit W. Köhler, est moyenâgeux, scolastico-réaliste et, de ce chef, tout effort pour en faire un penseur moderne, un précurseur de l'Aufklärung, se heurte à un sérieux obstacle » (Zwingli als Theologe, dans Ulrich Zwingli. Zum Gedächtnis der Zürcher Reformation 1519-1919, Zürich, 1919, p. 19).