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YVES DE CHAKTKKS

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titure de son archevêché était peu enclin, comme Yves, à reconnaître la primatie lyonnaise, instituée par Grégoire VII, en 1079, en terre d’empire, sur la métropole sénonaise, située en terre française. Cette doctrine que Pascal II réprouva, lui aussi, en renouvelant les décisions conciliaires de ses prédécesseurs, finit cependant par triompher sous son pontificat (1099-1118) qui vit éclater et se dénouer, du moins en Angleterre et en France où elle fut relativement atténuée, la querelle des Investitures.

C’est auprès d’Henri I er roi d’Angleterre, auquel Hugues de Fleury, acquis aux idées d’Yves, avait dédié son traité De regia potestate et sacerdotali dignitate, que l’action médiatrice d’Yves s’exerça d’abord, Epist., evi ; après une entrevue ménagée à Laigle, par Adèle, comtesse de Blois, le 21 juillet 1105, entre Henri I effet l’archevêque Anselme de Cantorbéry, que le roi avait exilé, un accord intervint, conforme aux principes d’Yves, avec la papauté, et fut ratifié par une diète réunie à Londres, en août 1107.

En France, Yves intervint efficacement à propos de l’élection épiscopale de Beauvais qui mit aux prises, pendant quatre ans, les droits de l’Église et les prérogatives royales, et à laquelle se rapportent plusieurs de ses lettres. Epist., lxxxvii, lxxxix, xcii,

XCV, XCVII, XCVIII, Cil, CIV, CV, CX, CXLIV, CXLV, CXLVI.

Il s’agissait de la compétition entre un favori du roi, Etienne de Garlande, jugé incapable par Yves, qui pria le pape de ne pas en agréer l’élection, en dépit de l’archevêque de Reims Manassès et d’un concile réuni par celui-ci à Soissons en 1100, et un autre élu du clergé de Beauvais, Galon, abbé de Saint-Quentin, reconnu et sacré par ie pape, mais refusé par le roi. L’affaire, longuement débattue, fut résolue grâce à une transaction suggérée par Yves, auquel les intérêts du diocèse de Beauvais tenaient particulièrement à cœur : en 1104, le siège de Paris, devenu vacant, put être dévolu à Galon, et celui de Beauvais régulièrement pourvu d’un digne titulaire, Geoffroy de Pisseleu, par une nouvelle élection qui excluait Etienne de Garlande (cf. B. Monod, Essai sur les rapports de Pascal II avec Philippe / « , Paris, 1907, p. 27-34 et 74-80).

Un peu plus tard, lors de son voyage en France de 1107, Pascal II tint à rencontrer Yves à Chartres, lors de la fête de Pâques, avant de se rendre à Saint-Denis où il eut une entrevue avec Philippe I effet son fils, le futur Louis VI, alors associé au pouvoir. Bien qu’aucun texte n’en témoigne, il semble qu’un accord de fait ait été conclu dès lors entre la papauté et la royauté. C’est ainsi que prit fin, en 1109, une rivalité entre deux prétendants au siège archiépiscopal de Reims : Gervais de Rethel, candidat de Philippe I er, et Raoul le Vert, sacré par Pascal II au concile de Troyes de 1107 et finalement agréé par Louis VI, sous réserve que Raoul prêterait au roi, à rencontre du can. 17 du concile de Clermont et de Pascal lui-même, le serment de fidélité exigé des archevêques de Reims ; or, cette satisfaction du serment fut accordée au roi sur le conseil d’Yves qui, pour la justifier, fit valoir au pape l’avantage de o la paix de l’Église et de la dilection fraternelle » et la nécessité, « quand le salut des peuples est en jeu, de tempérer la sévérité des canons et de subvenir, par une charité sincère, à la guérison des plus graves maladies ». Epist., cxc.

Yves, mort en 1116, ne vit pas le prolongement de la lutte en Allemagne, sous le règne d’Henri V, jusqu’au concordat de Worms (1122), inspiré de la doctrine chartraine ; mais une phase de cette lutte mérite d’être rappelée, en raison de l’attitude d’Yves vis-à-vis de Pascal IL Les concessions arrachées au pape par Henri V, en 1111, lors de son expé dition à Rome, voir plus loin, col. 3639, avaient soulevé dans la chrétienté d’ardentes protestations. En France, elles furent exprimées avec véhémence par Geoffroy de Vendôme et auraient peut-être déclenché une grave scission, sans la sage intervention d’Yves. Josseran, archevêque de Lyon, s’étant permis, en sa qualité de primat, de convoquer un concile à Anse, en 1112, afin de juger le pape, Yves, au nom de l’épiscopat de la province de Sens, déclina l’invitation qu’il considérait comme un abus de pouvoir vis-à-vis des évêques étrangers à la province de Lyon. Dans une lettre célèbre à Josseran signée de Daimbert, d’Yves et des autres évêques de la province (Epist., ccxxxvi), Yves, informé par une lettre de Pascal II du motif de ces concessions, prit la défense du pape avec une charité toute filiale : il le montre ayant cédé à la contrainte pour éviter de plus grands maux, mais rétractant sa capitulation passagère ; puis, prenant occasion de cet incident pour aller jusqu’au fond du débat, Yves explique en quoi l’investiture laïque, réduite à ses effets temporels, diffère à ses yeux de l’hérésie et dans quelles conditions elle peut être tolérée.

Ce fidèle attachement d’Yves au Saint-Siège s’alliait à un grand dévouement à la monarchie capétienne, dont il cherchait à concilier les intérêts avec ceux de l’Église. C’est lui qui, après la mort de Philippe I er, pour hâter et affermir la succession au trône, fit sacrer Louis VI à Orléans, malgré les récriminations du clergé de Reims, Epist., clxxxix, le 2 août 1108, par l’archevêque de Sens. Voir Suger, Vie de Louis VI le Gros, éd. Waquet, p. 85, dans la collection Les classiques de l’Histoire de France au Moyen Age, Paris, 1929. C’est encore lui qui, consulté par le roi, auquel il ne ménageait pas ses avis, approuva et pressa la célébration de son mariage, en 1115, avec Adélaïde de Maurienne. Epist., ccxxxix. Vers la fin de son épiscopat, en 1113, déjouant les intrigues qui tendaient à obtenir du pape la création d’un évêché à Tournai, au détriment du diocèse de Noyon et de l’influence française en cette région frontière, il ne craignit pas d’écrire en ces termes à Pascal II : Regnum Francorum præ cœteris regnis Sedi apostoliese semper fuit obnoxium et ideirco quantum ad ipsas regias personas pertinuil, nulla fuit divisio inter regnum et sacerdotium… Quia ergo rex Francorum (Ludovicus Crassus) utpote homo simplicis naturæ, erga Ecclesiam Dei est dévolus et Sedi apostoliese benevolus, petimus et consulimus ut a benevolentia ejus nulla vos subreptio subtrahal, nulla persuasio disjungat. Epist., ccxxxviii.

Il ne faudrait pas toutefois se représenter Yves, fort de son prestige à la cour royale et à la cour pontificale, uniquement soucieux d’harmonie entre le trône et l’autel. Ses lettres, dans le détail desquelles nous n’avons pas à entrer ici, nous le montrent fréquemment préoccupé du gouvernement spirituel et temporel de son diocèse, et en premier lieu de la sanctification du clergé. On lui doit, par exemple, la fondation, en 1099, d’une collégiale de chanoines réguliers, à Saint-Jean-en-Vallée, P. L., t. clxii, col. 293295, et plusieurs monastères du pays chartrain, et même au delà, furent l’objet de sa sollicitude pastorale et parfois de ses remontrances. Signalons aussi ses interventions pour l’observance des institutions de paix, prescrites par les conciles et notamment par le c. 1 du concile de Clermont, en 1095. Une lettre adressée à ses diocésains, sans doute au retour de ce concile, est une véritable charte de la Trêve de Dieu, Epist., xliv, où se révèlent, comme à travers toutes ses œuvres, l’homme de science et l’homme de vertu. L’Église, en la personne de S. Pie V, a sanctionné le renom de sainteté laissé par Yves de