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TRINITÉ. L’A. T., LES INTERMÉDIAIRES

voici ; que je prenne les ailes de l’aurore et que j’aille habiter par de la l’Océan, là même, je me sentirai conduit par ta main et soutenu par ta droite. Ou bien pirai-je : « Les ténèbres sans doute me feront disparaître : et qu’autour de moi la lumière devienne nuit ! Même les ténèbres ne voilent rien à tes yeux et la nuit brille comme le jour. » Ps., cxxxix, 6-12.

Cette puissance qui pénètre tout n’empêche pas, loin de là, Jahvé d’être le Dieu des miséricordes infinies. Osée l’avait déjà enseigné ; mais un psalmiste le répète avec des accents plus touchants encore : « Il est bon et miséricordieux, Jahvé, lent à la colère et riche en bonté ; ses reproches ne durent pas sans fin, il ne garde pas un ressentiment éternel, il ne nous traite pas selon nos fautes, il ne nous châtie pas selon nos iniquités. Mais, autant les cieux dominent la terre, autant domine sa bonté sur ceux qui le craignent. Aussi loin il y a de l’Orient à l’Occident, autant il éloigne de nous nos iniquités ; comme un père a pitié de ses enfants, ainsi il a pitié de ceux qui le craignent, car il sait de quoi nous sommes pétris ; il se souvient que nous ne sommes que poussière. » Ps., cii, 8-14.

Sans doute, Israël reste le premier-né de Jahvé, son peuple d’élection. Mais les autres nations lui appartiennent aussi et les prophètes saluent avec une émotion joyeuse le jour où le monde entier reconnaîtra son règne. Isaïe chante la gloire de Jérusalem après sa restauration : « Lève-toi, sois éclairée, car ta lumière arrive et la gloire de Jahvé se lève sur toi. Voici, les ténèbres couvrent la terre et l’obscurité les peuples. Mais sur toi Jahvé se lève, sur toi sa gloire apparaît. Des nations marchent à ta lumière et des rois à la clarté de tes rayons. Porte tes yeux alentour et regarde ; tous ils s’assemblent, ils viennent vers toi ; tes fils arrivent de loin et tes filles sont portées sur les bras. » Is., lx, 1-4. Malachie écrit dans le même sens :

« Du levant au couchant, mon nom est grand parmi

les nations ; en tout lieu un sacrifice d’encens est offert en mon nom et une offrande pure, car mon nom est grand parmi les nations, dit Jahvé des armées. » Mal., i, 11. Cette offrande pure ne saurait être le sacrifice idolâtrique offert par les païens ; elle est le culte saint que rendront les nations à l’unique Seigneur lorsqu’elles seront, elles aussi, soumises à sa loi.

En face de Jahvé, que sont donc les dieux des Gentils ? Les anciens prophètes en avaient déjà montré la vanité et l’on se souvient des railleries avec lesquelles Élie avait salué l’impuissance des prophètes de Baal à faire tomber le feu du ciel : « Criez à haute voix, puisqu’il est dieu ; il pense à autre chose ou il est occupé, ou il est en voyage. Peut-être qu’il dort et il se réveillera. » III Reg., xviii, 27. Les écrivains postérieurs sont encore plus sarcastiques à l’égard des Idoles et de leur impuissance. La lettre de Jérémie, qu’on lit au VIe chapitre de Baruch, décrit avec une précision impitoyable toutes les misères des faux dieux : ils ne peuvent se défendre de la rouille ou de li teigne ; ils doivent être époussetés de temps en temps par leurs ministres ; leurs yeux sont aveuglés par la poussière ; ils tiennent un glaive ou une hache et ils ne peuvent se défendre des voleurs ; on les enferme sous clef comme des prisonniers pour les défendre ; ils ne peuvent pas se relever s’ils tombent, ni se venger s’il sont insultés, ni punir ceux qui leur manquent de parole. Les mêmes traits se retrouvent le psaume cxv : « Leurs idoles ne sont que de l’argent ou de l’or, œuvre des mains des hommes : elles ont une bouche et elles ne parlent pas, des yeux l t Iles ne voient pas, des oreilles et elles n’entendent pas, des narines et elles ne peuvent pas sentir ; elles ont des mains et elles sont incapables de rien toucher ; des pieds et elles ne peuvent marcher. De leur bouche ne sort même pas un souffle, de leur gosier elles ne donnent aucun son. » Ps., cxv, 4-7.

Ces pauvres dieux ont pourtant besoin d’un culte matériel, de sacrifices et de fêtes. Il n’en va pas ainsi de Jahvé, qui réclame avant tout de ses fidèles un cœur contrit et humilié, un amour sans réserve, une vie pure et exempte de péché : « Je hais, je méprise vos fêtes ; je ne puis sentir vos assemblées. Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je n’y prends aucun plaisir et les veaux engraissés que vous sacrifiez en actions de grâce, je ne les regarde pas. Éloigne de moi le bruit de tes cantiques ; je n’écoute pas le son de tes luths. Mais que la droiture soit comme un courant d’eaux, et la justice comme un torrent qui jamais ne tarit. » Am., v, 21-24 ; cf. Is., i, Il sq.

De toutes parts se manifeste la transcendance de Jahvé, et l’on comprend sans peine que les Israélites soient fiers et heureux d’avoir été choisis spécialement par lui pour être son peuple. Cf. Deut., iv, 32-40. A mesure que s’achève l’éducation religieuse d’Israël, ce n’est même plus tant du côté de l’idolâtrie que subsiste un danger que de celui d’une exagération, si l’on peut dire, de la grandeur divine. Tout en mettant en relief l’unité absolue de Dieu et en condamnant avec une impitoyable sévérité les erreurs polythéistes, les écrivains inspirés de l’Ancien Testament n’avaient jamais cessé de montrer en Jahvé le protecteur d’Israël, le gardien des âmes pures, le distributeur de toutes les grâces ; et les derniers d’entre eux surtout s’étaient plu à insister sur l’intimité des relations qui s’établissent entre le Créateur et ceux qui le prient :

« Qu’ai-je dans le ciel en comparaison de toi ? et sans

toi, rien ne me plaît sur la terre. Ma chair et mon cœur se consument. Dieu est mon rocher et ma part pour toujours ; car voici que ceux qui s’éloignent de toi périssent ; tu détruis tous ceux qui forniquent loin de toi. Pour moi, mon bien est d’être près de Jahvé ; j’ai placé mon refuge en mon Seigneur Jahvé. » Ps., lxxii, 25.

ii. les intermédiaires.

De telles pages ne sont pas rares dans le psautier ; mais elles sont loin d’exprimer la pensée de tous les Juifs. Pour quelques-uns qui chantent l’amour divin et les douceurs incomparables de l’union avec le Seigneur, il y en a beaucoup qui se contentent de vanter le bonheur des fidèles serviteurs de la Loi : déjà le psaume cxix manifeste éloquemment cette tendance ; et lorsqu’au Dieu vivant on substitue la lettre des préceptes et des observances, on n’est pas loin de détruire le meilleur aliment de la véritable piété. A mesure que l’on se rapproche de l’époque néo-testamentaire, il semble que le nombre des vrais amis de Dieu diminue, dans la mesure même où les rigueurs de la Loi se font plus dures et où l’existence des fidèles se trouve enserrée dans les mailles d’un inextricable réseau de commandements minutieux. Dieu s’éloigne de plus en plus du monde ; on en vient à ne plus oser prononcer son nom, afin de ne pas l’exposer à la profanation, et on le remplace par des synonymes plus ou moins clairs : le Nom, le Lieu, la Chekinah, la Gloire, la Puissance, le Ciel. Le caractère commun de toutes ces dénominations est l’abstraction. Sans doute, on se demande encore, parmi les spécialistes, si les Juifs, en s’exprimant ainsi, voulaient seulement marquer leur vénération et leur respect à l’égard du Seigneur, ou s’ils avalent l’intention de proclamer son caractère ineffable et transcendant. Il y b là une question de nuances, et il est bien difficile de croire qu’aux abords de l’ère chrétienne, Jahvé était, de la part de tous ses fidèles, l’objet d’un amour simple et confiant.

On cite, il est vrai, quelques pages admirables des Talmuds ; ainsi la parabole de R. lehouda, Mekilla,