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TESTAMENT. QUESTIONS MORALES


forme, soit (ouïe autre exception. » La loi admet donc la valeur naturelle, par exemple, d’un testament verbal ou privé de signature et de date, ou d’une libéralité excédant la réserve ou d’un legs laissé à un incapable, en refusant toute action judiciaire aux héritiers qui ont confirmé, ratifié et surtout exécuté la disposition civilement nulle ; il va de soi que le défendeur doit fournir au tribunal la preuve de cette ratification ou exécution du legs civilement nul. Ajoutons que les tribunaux accepteraient certainement la prescription trentenaire en faveur du possesseur qui était un légataire frappé d’incapacité ou qui se serait enrichi en se basant sur un testament verbal de cette forme : « si je viens à mourir je vous tiens quitte de la somme que vous me devez », ou bien « vous prendrez telle somme dans mon tiroir. »

b) Conclusions. — En raison de la controverse il est permis de tirer les conclusions suivantes au sujet tant du légataire d’une disposition civilement nulle, par exemple en vertu d’une instruction non signée, que de l’héritier naturel ou du légataire entré légitimement en possession du legs universel.

Tout d’abord il est hors de doute que tous les intéressés doivent se soumettre, si gravement lésés qu’ils se sentent dans leurs prétendus droits, à la sentence judiciaire qui est intervenue après plainte de l’une ou l’autre partie, qu’elle leur soit ou non favorable. Donc, si l’héritier naturel a intenté un procès pour faire annuler le testament ou pour faire restituer des sommes d’argent ou des meubles, retenus sous prétexte de testament verbal, et qu’il ait gain de cause, ses adversaires qui se basaient sur la parole ou l’écrit non signé du défunt ont perdu tout "droit ; d’aucune façon ils ne peuvent, après exécution de la sentence, recourir à la compensation occulte, quand bien même la volonté du testateur eût été pour tous indubitable. Au rebours si la sentence est contraire aux intérêts de l’héritier, il devra rendre le legs, quelle qu’en soit la valeur.

En dehors d’une sentence judiciaire, donc avant la plainte des héritiers et surtout dans le cas où, par suite d’ignorance du droit ou du fait, les héritiers ne songent nullement à réclamer, chacune des parties peut, selon ses intérêts, s’appuyer ou bien sur le droit naturel et regarder le legs comme valide ou au contraire se baser sur la loi civile et considérer le legs comme nul.

Ainsi celui qui a été avantagé par une disposition dépourvue de forme légale ou malgré son incapacité a certainement le droit de réclamer des héritiers les legs qui lui sont attribués ; en conscience il peut garder les objets qu’il détenait déjà conformément à la volonté du testateur et qui ne sont pas encore en possession de l’héritier ou du légataire universel ; très probablement il peut même faire acte d’occupation et s’approprier ainsi les objets légués, si la prudence le lui permet. Mais il est très douteux qu’il ait le droit de s’emparer en cachette de ce que le défunt lui avait oralement promis. En ce cas comme au précédent, la prudence et la charité, tout au moins, le dissuadent d’appréhender ces objets contre le gré des héritiers, particulièrement s’il les voyait déterminés à lui faire un procès dont l’issue lui serait défavorable. En tout cas, jamais il ne lui sera permis d’user de fraude pour s’assurer la propriété des legs, par exemple en imitant la signature du testateur, en ajoutant la date, ou encore en subornant des témoins pour proclamer devant les héritiers la volonté expresse du défunt.

En revanche, l’héritier a le droit de penser que le testament n’a aucune valeur ou que le legs verbal de son parent ne l’oblige pas en conscience, non plus que les libéralités qu’il a faites à des œuvres philanthropiques sans personnalité civile. Il peut donc engager un procès pour faire déclarer la nullité de la pièce,

refuser la délivrance du legs, réclamer, par exemple de la servante, la somme qu’elle détient en alléguant une déclaration faite par le défunt devant témoins ; il peut dissimuler les dispositions écrites, mais sans valeur légale, comme le sont souvent les instructions non signées laissées parmi les papiers du défunt. En tout cela il ne s’agit, c’est évident, que de droit strict ; mais summum jus summa injuria, et pour éviter cette violation d’une justice supérieure, la piété familiale, l’équité, la charité conseilleront souvent à l’héritier de tenir compte des dernières volontés charitables du défunt, même si aux yeux de la loi elles n’ont pas de valeur. Pourtant si l’héritier avait été lui-même témoin du legs verbal du défunt et surtout qu’il lui eût promis de s’y conformer, on ne voit pas comment il pourrait rassurer sa conscience contre l’injustice formelle envers le légataire.

3. Causes pies.

a) État de la question, avant et depuis le Code. — Sitôt qu’il s’agit de dispositions testamentaires ad causas pias, c’est le droit canonique qui prévaut sur le droit civil, puisque ces bonnes œuvres sont de sa compétence exclusive.

Avant le Code, les auteurs se partageaient en deux opinions : la première et plus commune affirmant l’obligation d’acquitter les legs pies et l’autre leur appliquant les règles des causes profanes et déclarant douteuse l’obligation des héritiers. Cette controverse était née de l’interprétation différente donnée à la réponse Relatum d’Alexandre Illaux juges deViterbe.au sujet du nombre de témoins nécessaires pour les testaments super relictis Ecclesise. Mandamus, décrète le pape, quatenus cum aliqua causa talis ad vestrum fuerit examen deducta, eam « non secundum leges, sed secundum decretorum statula tractetis », Décrétai., t. III, tit. xxvi, cap. 2 ; le souverain pontife décrète donc, à l’occasion d’un cas particulier, qu’en matière testamentaire et de legs faits à l’Église il faut juger, non d’après les lois civiles, mais d’après les canons. Le sentiment commun des théologiens et canonistes maintenait à la décrétale d’Alexandre III une valeur de droit et de fait ; en revanche quelques-uns, dont le plus notoire était le cardinal D’Annibale, prétendaient qu’en fait l’application du droit n’était plus possible, surtout parce que l’Église, en cas de désaccord avec la loi civile, avait effectivement renoncé à sa compétence sur les legs pieux ; ils concluaient que, à raison de la controverse, l’obligation de respecter le legs pie étant douteuse ne pouvait être imposée à la conscience de l’héritier.

Le canon 1513 du Code a supprimé cette controverse et le doute sur l’obligation qui en était la suite ; désormais, particulièrement depuis l’interprétation authentique de ce canon en date du 17 février 1930, nous avons le principe incontestable : les héritiers ont le devoir de respecter les legs pies, même s’ils sont civilement nuls. Commentons le texte du canon 1513, § 1, ainsi que la conclusion tirée au § 2 du même canon.

b) La discipline actuelle. — Le principe est clairement énoncé dans le Code : Qui ex jure naturse et ecclesiastico libère valet de suis bonis staluere, potest ad causas pias, sive per actum inter vivos sive per actum morlis causa, bona relinquere, can. 1513, § 1 ; nous ne nous occupons que des actes mortis causa et uniquement des actes testamentaires.

Pour le commenter avec exactitude, observons tout d’abord qu’il est une exception au principe général du canon 1529 par lequel l’Église, pour ses contrats, accepte la législation civile des différents pays. Mais elle entend bien garder sa compétence exclusive quant aux donations pieuses et aux legs pieux et, en cette matière, d’une façon encore plus formelle que dans les Décrétales, sa loi canonique prime toute loi civile contraire, simplement prohibitive ou irritante. C’est là