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TERTULLIEN. DOCTRINE, LA TRINITÉ


volontiers que les sages de la Grèce ont su s’élever au monothéisme et que la révélation chrétienne leur fait écho. Apol., xvii. Il va jusqu’à rapprocher le dogme de l’incarnation des fables païennes qui montrent les dieux se manifestant sous des formes humaines. Apol., xxi. Il s’autorise de ceux qui ont prêché la métempsycose pour exposer le dogme chrétien de la résurrection. De resur. carnis, passim. Il arrive à parler de l’âme naturellement chrétienne et consacre tout un traité au témoignage qu’elle rend spontanément au dogme ; cf. Apol., xvii, xxi, xlvi-xlviii ; De speclac, n ; De anima, n ; De testim. animas. Il va jusqu’à parler de Seneca ssepe noster, De anima, xx.

Il ne faut pourtant pas se laisser tromper par ces déclarations. En réalité, Tertullien n’aime pas la philosophie, dans laquelle il voit la mère de toutes les hérésies. « Qu’y a-t-il de commun, écrit-il, entre le philosophe et le chrétien ? entre le disciple de la Grèce et celui du ciel ; entre l’acheteur de la réputation et celui de la vie, entre l’ami de l’erreur et son ennemi ; entre celui qui fausse la vérité et celui qui la recherche pour l’exprimer dans sa vie ; entre celui qui la dérobe et celui qui la conserve ? » Apol., xlvi. Il vaut mieux ignorer ce qu’on n’a pas besoin de connaître. La curiosité doit passer après la foi ; la gloriole de l’esprit après le salut de l’âme. Ne rien savoir contre la règle, c’est tout savoir. De præscr., xiii-xiv.

Il faut même aller plus loin, croire d’autant plus qu’on est moins capable de comprendre : Quid ergo ? Nonne mirandum et lavacro dilui morlem ? Atquin eo magis credendum si, quia mirandum est, ideirco non creditur. Qualia enim decet esse opéra divina, nisi super omnem admirationem ? Nos quoque ipsi miramur, sed quia credimus. Celerum incredulitas miratur, non crédit. De bapt., il. Le baptême est admirable, incroyable : raison de plus pour le croire. Jamais Dieu ne se montre si grand que lorsqu’il se fait petit pour l’homme, ni si bon que lorsqu’il se fait méchant pour l’homme, ni si un que lorsqu’il se fait deux ou plusieurs pour l’homme. Adv. Marc., ii, 2.

Le dernier mot en ce sens est dit dans le De carne Christi, v, où l’auteur s’adresse à Marcion : Parce unicæ spei lotius orbis, qui destruis necessarium dedecus fidei. Quodcumque Dei indignum est, mihi expedit. Salvus sum, si non confundar de Domino meo… Crucifixus est Dei Filius : non pudet, quia pudendum est. Et mortuus est Dei Filius : prorsus credibile est, quia ineplum est. Et sepultus resurrexit : certum est quia impossible est. Ce n’est pas littéralement le Credo quia absurdum, autour duquel on a fait tant de bruit, mais c’en est l’équivalent. En devenant chrétien, Tertullien dit un définitif adieu à la sagesse de ce monde. La foi qu’il a accordée à l’Église, celle qu’il exige de tous ses frères est une foi totale, absolue, inconditionnée, qui n’a aucun rapport avec les désirs même les plus légitimes en apparence de la raison.

4° Dieu. La Trinité. — La première des vérités affirmées par le symbole de foi est l’existence d’un Dieu unique, créateur du ciel et de la terre. Tertullien ne s’arrête pas longuement à prouver l’existence de Dieu. Le seul argument qui lui soit propre est celui de l’âme naturellement chrétienne. D’une manière en quelque sorte spontanée, l’âme rend témoignage à Dieu, vers lequel elle crie, en cherchant du regard non le Capitole, mais le ciel où Dieu réside et d’où elle descend elle-même.

1. L’unité de Dieu.

Que Dieu soit unique, la chose nous paraît aujourd’hui presque évidente. Tertullien doit pourtant insister sur ce point, en présence des erreurs soutenues par les gnostiques et par les marcionites. Les traités contre Hermogène et contre les valentiniens, les livres contre Marcion y reviennent fréquemment. Tout le 1. I contre Marcion est même

consacré d’une manière exclusive à réfuter le dualisme de l’hérésiarque et à prouver qu’il ne saurait y avoir deux dieux, distincts l’un de l’autre.

Quelle est la nature du Dieu unique ? Un texte déconcertant de Y Adversus Praxean, vii, semble faire de Dieu un être corporel : Quis negabil Deum corpus esse etsi Dcus spiritus est ? Spirilus enim corpus sui generis in sua effigie. À entendre ce passage au sens propre, l’esprit n’est pas autre chose qu’un corps d’un genre spécial ; et d’autres passages confirment cette interprétation, en particulier l’affirmation très nette du De carne Christi, xi : Omne quod est, corpus est sui generis. Nihit est incorporale nisi quod non est. S’il est vrai que l’incorporel n’existe pas, il suit de là que Dieu est corporel. Saint Augustin, De hæres., 86, suggère, il est vrai, une interprétation plus bénigne ; il imagine qu’on peut entendre le mot corpus au sens général de substance ; de la sorte, dire que Dieu est corporel reviendrait à affirmer qu’il a une substance. Cette explication a été acceptée par Petau et par plusieurs historiens récents. Peut-être ne résout-elle pas complètement la difficulté. En réalité, Tertullien a toujours eu beaucoup de peine à concevoir l’esprit pur : il n’hésite pas à faire de l’âme humaine une réalité corporelle, subtile assurément, mais douée de forme, de volume, d’étendue. D’autre part, il n’a pas l’esprit d’un véritable métaphysicien et il ne se préoccupe pas d’employer des termes rigoureusement précis. De là, dans sa pensée de regrettables flottements, si bien que, tout en affirmant la simplicité de Dieu, son infinité, son absolue perfection, il a trop de difficultés à se le représenter comme spirituel pour s’en dégager totalement.

2. La Trinité des personnes.

Plus importante que son enseignement sur l’unité de Dieu est la doctrine de Tertullien sur la Trinité. Tertullien est en effet le premier théologien de langue latine qui ait essayé d’exprimer la doctrine traditionnelle en cette matière difficile.

Dès 197, dans l’Apologétique, il donne une première formule de la foi chrétienne sur le Fils de Dieu et ses rapports avec le Père :

Hune ex Deo prolatum didicimus et prolatione generatum et ideirco Filium Dei et Deum dictum ex unitate substantiae. Nam et Deus spiritus. Et cum radius ex sole porrigitur, portio ex summa ; sed sol erit in radio, quia solis est radius, nec separatur substantia, sed extenditur. Ita de spiritu spiritus et de Deo Deus, ut lumen de lumine accensum. Manet intégra et indefecta materiæ matrix, etsi plures inde traduces qualitatis mutueris : ita et quod de Deo profectum est, Deus est et Dei Filius, et unus ambo. Ita et de spiritu spiritus et de Deo Deus modulo alternum numerum gradu non statu fecit, et a matiice non recessit sed excessit. .Apoi., xxi.

Ce passage est d’autant plus intéressant à retenir qu’au ive siècle il a été reproduit presque littéralement dans V Altercatio de Genninius de Sirmium avec Héraclius comme étant l’expression de la foi catholique. De fait, il exprime la parfaite divinité du Fils, dans l’unité de la substance divine et il la fait comprendre aussi clairement que possible en reprenant la comparaison des flambeaux qui avait été déjà employée par saint Justin et par Tatien. Mais Tertullien n’insiste pas et l’on comprend que, dans un ouvrage destiné aux magistrats païens, il ne puisse pas s’arrêter longuement sur le plus grand et le plus mystérieux des dogmes.

C’est dans V Adversus Praxean qu’il expose toute sa doctrine. Cet ouvrage, rédigé après 213, semble-t-il, appartient à la période montaniste de sa vie ; mais nous savons déjà qu’en ce qui regarde la Trinité, les montanistes étaient fidèles à l’enseignement traditionnel. Il faut pourtant rappeler que Praxéas était