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TERTULLIEN. DOCTRINE, LA TRADITION


l’argumentation du rhéteur carthaginois est menée avec une vigueur qui ne laisse place à aucune échappatoire. Faut-il ajouter cependant que, dans ses ouvrages montanistes, Terlullien en vient trop souvent à détourner l’Écriture de son vrai sens pour y découvrir ses propres idées ? II refuse ainsi de croire à la bigamie des patriarches, sous prétexte que l’Écriture ne parle que des femmes de Lamech, sans rien dire de celles de ses descendants avant le déluge : or, ajoute-t-il, les fautes que l’Écriture ne condamne pas, elle les nie. De monog., iv. Il ne veut pas davantage appliquer au pécheur repentant les paraboles de l’enfant prodigue ou de la brebis perdue et il en restreint l’application au cas de l’infidèle qui se convertit, en déclarant que les paraboles doivent être interprétées d’après l’enseignement courant, De pudic, vii-ix ; mais il oublie que lui-même a déjà expliqué ces textes dans un sens plus large.

2. La Tradition.

Toutes les vérités enseignées par le Christ et transmises par les apôtres ne sont pas contenues dans l’Écriture. À côté des Livres Saints, il y a donc lieu de tenir le plus grand compte de la Tradition.

Celle-ci est d’ailleurs très vaste. Lorsque fut soulevée, dans les Églises d’Afrique, la question de savoir si les soldats chrétiens avaient ou non le droit de porter la couronne remise à l’occasion du donativum, Tertullien fut sommé de présenter les textes de l’Écriture qui justifiaient sa position sévère. Il fit alors observer, à juste titre, que bien des usages consacrés par l’Église et regardés comme étant d’institution divine n’étaient pourtant pas explicitement ordonnés par les Livres inspirés ; et il cite comme exemples les rites du baptême, celui de l’eucharistie, les offrandes pour les morts, les fêtes des martyrs, la liturgie du dimanche, celle du temps de Pâques, le soin qu’on prend de ne pas laisser tomber à terre une goutte du calice eucharistique, le signe de la croix, le voile des femmes. De cor., ni.

Pourtant, Terlullien est amené, en d’autres circonstances, à reconnaître que l’emploi de l’argument de tradition risque d’être délicat. À propos du voile des vierges, par exemple, dont il prétend fixer les dimensions, on lui oppose la coutume locale. Il n’en résiste pas moins à un usage invétéré à Carthage et il prend position contre la coutume au nom de la vérité. De virg. vel., i. Sans doute, à ce moment, a-t-il définitivement abandonné l’Église. Mais nous saxons que saint Cyprien écrira avec force qu’il ne faut pas se laisser prescrire par la tradition, mais vaincre par la vérité : que reste i il alors de la tradition ?

Lr.s hérésies. Foi et philosophie. — À la foi apostolique, fidèlement conservée dans la tradition des es, s’opposent les hérésies. Quelques-uns s’en étonnent et s’en scandalisent. Pourtant, l’hérésie a sa raison d’être comme les maladies et la fièvre. Elle est nécessaire pour permettre le discernement des esprits : les forts ne se laissent pas troubler par elle ; les faibles,

ni contraire, succombent a lu tentation.

1 et hérésies plongent leurs racines dans cette sadu siècle que le Christ est venu confondre et c’est à la philosophie qu’elles empruntent le meilleur de leurs arguments. Valentin, le théologien des éons avait été platonicien ; Marcion, l’apôtre <u Dieu débonnaire, stoïcien. L’immortalité de l’âme est niée par les épicuriens ; la résurrection corporelle par tous les philosophes, sans distinction d’écoles. I.a matière a été divinisée par Zenon ; le feu par Heraclite. Aristote a

mis au service de ces faux docteurs la dialectique, OU re de construction et de destruction, caméléon de

langage, forcée dans ses conjectures, dure dans ses

raisonnements, Féconde en disputes, radieuse a elle-même, se repienant toujours sans arriver à se satisfaire. Ile la ces fables et ces généalogies interminables.

de là ces questions vaines que l’apôtre ordonne de fuir. » A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 202-203.

1. Réfutation des hérésies.

Que faut-il faire pour réfuter les hérésies ? On pourrait sans doute les examiner l’une après l’autre et montrer ce que chacune d’elles a substitué à la vérité apostolique. Tertullien ne s’est pas refusé à ce devoir. Il a publié un gros ouvrage contre Marcion, qui est son chef-d’œuvre dans l’ordre de la controverse et dans lequel il répond à tous les arguments proposés par l’hérésiarque dans ses Antithèses. Il a écrit contre Hermogène, contre Apelle et ses disciples, contre les valentiniens, contre Praxéas et les monarchianistes patripassiens. Il n’y a pour ainsi dire pas une des hérésies de son temps qu’il ait laissée sans réfutation.

Il y a pourtant un moyen plus rapide à la fois et plus efficace de venir à bout des hérésies que de les combattre séparément. Nous savons que l’Église est en possession de la vérité. Or, la vérité est immuable ; rien ne saurait la prescrire. L’erreur au contraire est changeante ; elle est aussi tardive dans son origine et cela suffit à la condamner. Puisque les hérétiques se réclament des Écritures, on peut les renvoyer sans plus, car ils n’ont aucun droit sur les Livres Saints qui sont la propriété exclusive de l’Église catholique. L’Église a revendiqué ces Écritures avant eux. elle les a possédées et interprétées avant eux ; elle ne les a jamais abandonnées ; bien au contraire, elle n’a pas cessé de les réclamer comme son bien propre. Au temps rie Tertullien, ses droits sont aussi forts que jamais, aussi inviolables que jamais. La conclusion à tirer de cet état de fait est évident : Si luec ila se habent… constat ratio propositi nostri definienlis non esse admittendos hsereticos ad incundam de Srripturis prorocationem quos sine Scripturis probamus ad Scripturas non perlinere… Mea est possessio, olim possideo ; habeo origines /irmas ab ipsis auctoribus quorum fuit res. Ego sum livres apostolorum. De prirscr., xxxvii.

Ce fier langage recouvre un argument juridique bien connu des Romains, l’argument de prescription ; et c’est ce qui fait son intérêt. Déjà avant Terlullien, saint [renée avait mis en relief l’importance de la tradition ; mais il n’avait pas su donner à l’argument sa forme rigoureuse. Terlullien, partant du principe que l’accord des Eglises apostoliques n’est pas l’effet d’un pur hasard, mais l’indice d’une tradition primitive, arrive à conclure qu’en matière de dogme possession vaut titre. L’Église possède les Écritures : cela suffit. Puisque les hérésies lui sont postérieures, elles ne sauraint légitimement les réclamer, les expliquer, les mettre à leur service. L’accord des communautés entre elles confirme la preuve : puisque toutes, depuis les

temps les plus anciens, possèdent la même foi et lisent

les mêmes Écritures, les prétentions des hérétiques se heurtent à un mur inébranlable. Alors même que, dans la pratique, le caractère apostolique (l’un usage et l’accord de toutes les Kglises peinent être parfois difficiles à constater, l’argument est solide. I.e mérite de

Tertullien est d’avoir trouvé la formule définitive de l’argument : Quixl apudmultos unum invenittw, non est erratum, sed tradition. De presser., xxviii.

2. Foi et raisonnement. Dans ces conditions, quel

besoin a ton de la libre recherche, des spéculations de

la philosophie, des arguments de la dialectique ? Au

cours (le sa jeunesse. Tertullien a étudié avec soin les livres de la sagesse humaine et il n’v a pas trouve le repos pour son Intelligence. Devenu chrét len, Use défie du raisonnement auquel les hérétiques se plaisent a recourir : c’est ta foi. dit le Christ, qui t’a sauvé ; ta foi et non pas la lecture studieuse des Ecritures.

Sans doute, il ne craint pat a l’occasion d’utiliser les

philosophes, l.e traite De anima est tout stoïcien d’al

lures et d’inspiration. Dans i’Apologétique, il rappelle