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TRANSFORMISME. CRITIQUE THÉOLOGIQUE


faire encore un peu de concordisme, le premier homo sapiens c’est Adam. C’est à lui uniquement et à sa descendance qu’il faut appliquer les données de la théologie sur l’état primitif de l’humanité ; la perfection relative de son état physique et de son psychisme permet d’imaginer, dans les premiers représentants de cette race, seule vraiment humaine, ces autres perfections d’ordre intellectuel et moral que postulent les théologiens. L’hypothèse, peut-elle recueillir le suffrage des compétences ? Nous n’y voyons pas, pour notre part, d’obstacle absolument insurmontable, ce qui ne veut pas dire qu’il n’en existe pas.

Un troisième essai de solution consisterait à réviser attentivement le concept de la justice originelle et de l’état primitif de l’homme. Ce qu’exige avant tout le dogme catholique, c’est l’élévation des premiers humains à l’état surnaturel, la collation qui leur fut faite de la grâce sanctifiante. Cette collation n’est nullement incompatible avec une constitution physique encore déficiente et un psychisme encore inférieur. Pour ce qui est des dons préternaturels qu’énumère avec complaisance la théologie, il n’est que de s’entendre. La soumission des instincts inférieurs au diclamen de la conscience peut coexister dans une âme avec des dispositions intellectuelles encore bien imparfaites. Saint Irénée, pour ne citer que lui, voyait dans nos premiers parents une mentalité et des réactions d’enfants. Les connaissances très étendues que réclament pour Adam les théologiens classiques étaient destinées à faire de lui l’éducateur religieux et moral de sa descendance, mais tout ce qui dépasse ce domaine n’aurait-il pas été de luxe ? C’est progressivement que l’humanité est arrivée aux premières inventions d’ordre pratique. L’étude des races actuelles dites primitives a révélé qu’une certaine supériorité intellectuelle religieuse et morale pouvait s’allier à un état culturel qui nous paraît très arriéré. Une connaissance, qui n’est nullement méprisable, de Dieu, des données morales peut se rencontrer avec une civilisation tout à fait embryonnaire. Sans doute ne s’agit-il pas de refaire, une fois de plus, le portrait du « bon sauvage », et de l’opposer : mx tares du « civilisé. ». Il est incontestable néanmoins que « culture matérielle » et « perfection morale » ne sont pas synonymes. Pourquoi serait-il interdit de se représenter les premiers humains sous les formes extérieures et même avec les traits psychologiques que nous constatons chez ceux que l’on appelle aujourd’hui les arriérés de l’humanité ? Enlevons à ces derniers, par la pensée, les déchéances que leur ont apportées de longs siècles de misère physiologique et psychologique et peut-être nous donneront-ils une idée, qui ne sera pas trop inexacte, du psychisme de nos premiers parents ; ce psychisme ne sera pas une base trop étroite pour les dons préternaturels que postule la théologie, pour les dons surnaturels qæ le dogme oblige à reconnaître.

Entre ces divers essais de solution, il nous paraît bien osé de choisir. Il faut laisser au temps le soin de réduire progressivement l’écart entre les données très cillai, us du dogme catholique et les synthèses, si

conjecturales qu’elles soient, des sciences biologiques. L’essentiel reste de maintenir, d’une part la grande idée de la solidarité humaine, qui fait de ton. les représentants de l’espèce nue famille, au sens vrai du mot, héritière des mêmes < spérances, comme elle fut victime des mêmes déchéances, (l’autre part — et cela et l d’importance plus grande encore — la pensée que, membre de cette même famille, le Christ exerot sur tous et chacun de ceux qui la composent, son action salutaire. Dans tout l’ensemble de l’humanité se répand l’influx rédempteur et sanctificateur de Jésus et Il considération du second Adam, pour parler comme saint Paul, prime d< beaucoup toutes les spéculation !

relatives au premier. Ce qui s’est passé dans la nuit mystérieuse des temps, au berceau de l’humanité, nous paraît difficile, pour ne pas dire impossible à atteindre ; ce qu’il nous est possible de saisir, c’est, à l’aube de notre ère moderne, l’action salutaire du Christ notre frère. Au fond n’est-ce pas là ce qui importe avant tout ?

3° Le transformisme et le magistère ecclésiastique officiel. — L’Église a-t-elle officiellement proposé une doctrine, par voie positive ou négative, sur les questions auxquelles nous venons de toucher ?

Pour ce qui est du transformisme strictement restreint aux espèces animales et végétales, il ne nous paraît pas que l’enseignement officiel s’en soit jamais occupé. Aussi bien il s’agit là d’une question d’ordre exclusivement scientifique qui échappe comme telle à la compétence de l’Église.

En ce qui concerne l’extension de l’hypothèse transformiste à la formation du corps de l’homme, cette question touche d’assez près à la doctrine pour rentrer sous la juridiction de l’Église. Cela est vrai tout spécialement si la doctrine transformiste aboutit à nier l’unité absolue d’origine de l’espèce humaine. Nous avons vu la définition que préparait à ce sujet le concile du Vatican. Ci-dessus, col. 1390. Elle est à verser au débat, encore qu’elle ne vise pas directement le transformisme, auquel, semble-t-il, elle ne pensait pas. En tout état de cause, et bien qu’elle soit restée à l’état de projet, elle mérite la plus sérieuse attention.

Quant au transformisme qui reconnaît l’intervention spéciale de Dieu dans la formation du premier homme (et de sa compagne) qui admet encore l’unité absolue d’origine de l’espèce humaine, est-il en contradiction avec un enseignement officiel de l’Église ? Pour ne pas remonter trop haut dans le passé, signalons seulement la réponse que donne le R. P. Boyer, S. J., dans son De Deo créante et élevante, 2e éd., Rome, 1933, p. 187-188. « De document proprement dit, écrit-il, il n’y en a pas d’autre que la réponse de la Commission biblique en 1909 (ci-dessus, col. 1389), qui, parmi les faits indubitables, rapportés par les débuts de la Genèse, place la création particulière de l’homme, peculiaris creatio hominis. » Et, commentant ce texte, il ajoute : « Ceci ne peut être restreint à la seule création de l’âme, car, à ce sujet, il ne saurait y avoir parmi les catholiques de tentation de doute, et pour cette autre raison encore que, dans l’hypothèse, la Commission aurait parlé simplement de la création de l’âme humaine. » Cette glose ne paraît-elle pas majorer la portée du document olficiel et imposer du texte génésiaque une interprétation qui n’est pas évidente ? Admît-on comme « historique » le récit jahviste, que l’on ne pourrait parler au sens propre du mot, de « création », mais de « formation » du corps du premier homme.

Le P. Boyer attire également l’attention sur une assertion du concile particulier de Cologne en 1860, déclarant « contraire à l’Écriture sainte et à la foi l’opinion de ceux qui ne craignent pas d’aflirmer l’évolution spontanée d’une nature Imparfaite en une autre de plus en plus perfectionnée, évolution conti nue et produisant finalement l’homme, du moins en son corps ». Coll. Lacrnsis, t. v, p. 292. En quoi les Pères du concile traduisaient assez bien leur émoi à la suite de la première apparition du livre de Darwin, ci-dessus, col. 1367 ; les aménagements qu’a reçus depuis l’hypothèse auraient peut-être été de nature

à tempérer les jugements de cette assemblée, Jugements qui, au surplus, n’ont rien de Contraignant ni de définit ir.

Le I’. Boyer fait état enfin de quelques sévérités des congrégations romaines à l’endroit d’auteurs