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TRANSFORMISME. CRITIQUE PHILOSOPHIQUE


taille d’une musaraigne ; les choses se passant comme si la petitesse absolue d’un animal était une condition à l’ampleur possible de ses mutations. D’autre part le nombre relativement faible des individus composant à l’origine les espèces vivantes explique, lui aussi, la disparition des traces de ces vivants en passe d’évoluer. Pour qu’une forme animale commence à apparaître à l’état fossile, il faut qu’elle soit déjà légion.

En fin de compte, d’ailleurs, et pour donner de la doctrine transformiste une idée moins insuffisante du point de vue strictement scientifique, il faut faire appel à une considération plus générale. Les mystérieuses mutations, dont on fait pour l’heure si grand état, ne sauraient guère s’expliquer de façon purement mécanique et les transformations successives du monde animé ne pourraient guère se concevoir si l’on ne recourt à d’impondérables forces de synthèse. « Nous ne pouvons pas mieux comprendre ce qui se passe dans un phylum au moment de sa naissance qu’en songeant à une invention. Invention instinctive, ni analysée, ni calculée par ses auteurs, c’est bien clair. Mais invention quand même, ou bien, ce qui revient au même, éveil et mise en organisme d’un désir et d’une puissance. Rien ne s’oppose à ce que certains phylums (animaux fouisseurs ou cavernicoles, par exemple) aient à leur origine quelque anomalie ou quelque tare organique utilisées. Néanmoins, le plus souvent, c’est une force positive qui paraît entrer en jeu pour différencier la vie. N’est-ce pas, dirait-on, une sorte d’attrait ou de capacité pressentie qui ont lancé les animaux terrestres dans les eaux ou dans les airs, qui ont aiguisé les griffes ou amenuisé les sabots ? Quand on voit avec étonnement, le long d’un phylum de carnassiers, se réduire et s’effiler les dents (c’est-à-dire se modeler les organes les mieux construits, par leur rigidité, pour échapper aux modifications acquises par l’usage), comment ne pas songer invinciblement à l’accentuation d’un tempérament ou d’une passion, c’est-à-dire au développement d’un caractère moral beaucoup plus qu’à l’évolution d’un caractère anatomique ? — Qu’il en soit ainsi et tout aussitôt la parfaite corrélation des diverses modifications organiques au moment d’une mutation n’a plus rien d’extraordinaire. Si ce n’est pas un élément morphologique isolé qui change, mais le centre même de coordination de tous les organes qui se déplace, le vivant ne peut se transformer que d’une seule pièce et harmonieusement. .. Si le naturaliste ne se décide point à recourir à ces tendances comme à la source expérimentale dernière ries énergies évolutives qu’il étudie, les transformations organiques du monde animal lui seront aussi inexplicables qu’à un historien purement déterministe les péripéties historiques de la société humaine. » Reo. des quest. scient., janv. 1925, p. 72-75.

Mais il ne suffirait pas encore, au gré de notre auteur, d’admettre dans la formation des espèces le rôle d’une « psyché ». À rapprocher divers symptômes rie l’évolution envisagée dans son ensemble, « on se prenri à envisager sérieusement l’existence possible d’une vaste entité vivante tcllurique, difficile à représenter (parce qu’elle est ri’un orrirc de grandeur supérieur au nôtre et qu’en elle nous sommes noyés) ; mais siège rie propriétés physiques parfaitement déterminées. F, t dans cette mystérieuse mais non métaphorique « Biosphère » on se sent disposé à aller chercher la réponse à tant fie questions demeurées uni réponse autour de nous. Ne serait-ce pas en elle qu’il faudrait transférer rmatl le siège, le ressort, la régulation ultime rie l’ÊVOlUtion zoologique ». Ibid., p. 77-78. P ; ir où l’auteot cité rejoindrait les vues de Bergson et de son Évolution créatrice, dont on sait, de reste, que Bergson lui-même en a donné, dans sa lettre au 1’. de Tonquédec, une interprétation capable de rassurer les théistes. Cf. Études, an. 1912, t. i, p. 515.

En définitive, pour se faire admettre de tous, la doctrine évolutionniste doit non seulement s’assouplir en se départissant de l’allure bien trop schématique qu’on lui voit prendre dans les arbres généalogiques dressés jadis par Hseckel, mais encore s’imprégner largement d’un dynamisme qui est en parfait contraste avec le mécanisme intégral que plusieurs de ses premiers partisans lui avaient donné comme caractéristique essentielle. Et ceci nous introduit à la critique, nous voulons dire à l’examen, de la doctrine transformiste.


II. Critique philosophique dv transformisme.

Le fait étant bien constaté de l’assentiment assez général que le transformisme rallie dans le monde des biologistes, il faut se demander quelle doit être à son endroit l’attitude des philosophes et des théologiens. La situation est sensiblement la même que celle que créait, au début du xvir 3 siècle, l’hypothèse présentée par Galilée sur le mouvement respectif de la terre et du soleil. Il ne faudrait pas que fussent perdues les leçons qui sortent de ce pénible épisode de l’histoire des idées. Galilée eut contre lui d’abord et surtout les philosophes aristoté ! ici< ns ; les théologiens ne vinrent qu’ensuite à la rescousse. Nous allons étudier d’abord ce que la philosophia perennis doit penser du transformisme, ou d’une manière plus générale de l’évolutionnisme ; cette enquête facilitera la critique des théologiens. Il importe souverainement de distinguer dès l’abord ces deux points de vue.

Les deux transformismes.


La première chose qu’il convienne de faire, c’est de bien distinguer deux formes de la doctrine évolutionniste. Ces deux formes ne sont pas, d’ailleurs, celles que l’on pourrait imaginer au premier abord.

1. Évolutionnisme intégral ou évolutionnisme partiel ?

A lire certaines critiques en provenance de philosophes chrétiens, il pourrait sembler que c’est avant tout les limites de la doctrine transformiste qu’il s’agirait de fixer. Il y aurait à distinguer d’une part un évolutionnisme intégral, qui serait à rejeter, de l’autre un évolutionnisme partiel ou limité, à qui l’on accorderait, sans bonne grâce, un laissez-passer.

Le premier, véritable intégrisme biologique, part de la considération de la matière brute, inorganique ; il voit celle-ci s’organiser « spontanément » en matière vivante et les différenciations successives de cette dernière aboutir peu à peu aux formes végétales et animales des temps géologiques et des temps actuels. L’espèce humaine ne fait pas exception ; on peut suivre son développement ou, en sens inverse, remonter à des espèces animales dont les modifications successives, biologiques, morphologiques, psychiques ont créé le type ou les types humains du passé (t du présent. Ce vaste processus s’est déroulé sans qu’il y ait eu, dans la chaîne des êtres, aucune solution rie continuité. De la primitive monère, matière vivante originelle, qui s’est spontanément organisée, en vertu rie conditions heureuses qui se sont rencontrées, jusqu’à l’épanouissement complet de Vhomo sapiens, aucune coupure ne s’interpose où s’insérerait une Volonté et une Intelligence extérieures à la nature. Tel esi l’évolut ionnisnic intégral que repousserait la phllotOphia perennis, la philosophie chrétienne.

A côté de lui, il y aurait place pour un évolutionnisme sectionné, si l’on ote dire. Dans le pro< évolutif le pktilosophe-naturaliste sciait contraint d< reconnaître des points singuliers, où. de toute’i dence. se remarquerait une Intervention extérieure à la nature. Le premier que l’on signale < -I celui de l’apparition de la vie sur la planète. Les forces cosmiques ayant abouti a produire dot condition’favorables à