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TENTATION


dans la tentation expresse, il y a le dessein conscient d’éprouver sa puissance, sa miséricorde, sa sagesse, etc. ; la tentation interprétative ne présente pas cette intention formelle ; « on y demande une chose qui n’a rien d’utile indépendamment de cette épreuve », a. 1, corp. ; en elle, nul doute d’aucune perfection, mais négligence des moyens humains, présomption et défaut de prudence. A. 3, corp. C’est l’équivalent d’une épreuve faite en doutant ; ainsi dirait-on qu’on éprouve un cheval, si on le fait galoper sans aucune utilité. A. 1, corp.

2. // n’y a pas tentation de Dieu dans le cas des saints qui demandaient à Dieu des miracles : ils le faisaient avec quelque utilité ou nécessité, a. 1, ad 2um, ou bien ils avaient l’expérience du secours de Dieu, comme sainte Agathe, refusant dans ses tortures les remèdes terrestres. Ibid., ad 3um. Les prédicateurs de l’Évangile, qui abandonnent les secours naturels pour s’adonner plus librement à la parole de Dieu, comptent sur lui sans le tenter : ils ont une raison de s’en remettre à Dieu. Ibid. Nous ne tentons pas Dieu en cherchant à faire l’épreuve expérimentale de sa volonté et à goûter sa douceur. A. 2, corp. Le roi Achaz avait tort en refusant de demander un signe, parce qu’il y était invité par le prophète en vue du salut de tous. A. 2, ad 3um. Abraham et tous ceux qui, sous l’impulsion du Saint-Esprit, demandent humblement une manifestation de la volonté de Dieu et de son bon plaisir, ne le tentent pas. Ibid.

3. La tentation de Dieu est immorale, avant tout parce qu’elle suppose un doute, une ignorance coupable sur Dieu, son action ou quelqu’une de ses perfections : c’est évident quant à la tentation expresse. A. 2, corp. La pensée de saint Thomas est-elle que la tentation interprétative participe à cette malice, puisqu’elle est l’équivalent de la première ? Ce n’est pas, nous semble-t-il, aussi clair et l’article 2 ne nous le dit pas nettement. En tout cas, dans l’article 3, ad 2um, il nous est affirmé fortement qu’elle est bien un manque de respect envers Dieu : « Vouloir être exaucé, sans faire soi-même ce que l’on peut… c’est équivalemment tenter Dieu… Or, c’est précisément une irrévérence que se comporter, dans ses rapports avec Dieu, avec présomption et négligence. »

4. Aussi, sans conteste, même si une tentation de Dieu expresse ou interprétative peut s’opposer, à cause de ses motifs, à d’autres vertus, la foi, la prudence, etc., on doit dire que, étant à quelque degré un défaut de respect, elle doit être regardée comme contraire à la vertu de religion. A. 3. Comme telle, du reste, elle paraît en principe faute moins grave que la superstition : elle n’est tout au plus qu’un doute, qui demeure en soi moins injurieux qu’une profession ferme d’erreur, caractérisant la superstition. A. 4.

Les moralistes postérieurs.

Celte doctrine de

saint Thomas se retrouve chez ceux qui ont traité après lui de cette matière. Nous indiquerons simplement quelques précisions que les casuistes anciens et modernes y ont apportées.

1. Notion.

En tout respect, ils se sont demandés d’abord si la notion thomiste de la tentation de Dieu était bien cohérente. Les dispositions sont en effet si diverses dans les deux groupes de tentations : dans l’un, l’on doute ; dans l’autre, n’y a-t-il pas un excès d’assurance ? Aussi certains, Suarez par exemple, De religione, tract, ii, t. I, c. iii, n. 6 sq., éd. Vives, t. xiii, p. 450 sq., que suivront Ballerini-Palmieri, Op. mor., tr. vi, sect. i, n. 116, en viennent àtenir comme plus probable que nous avons là deux notions essentiellement équivoques et qui ne sont guère unies que par l’usage d’une même étiquette. Dans l’ensemble cependant l’unité notionnelle de la tentation de Dieu est plutôt reconnue et, semble-t-il, avec raison, si l’on met le

motif, qui est à son origine, en dehors de sa définition et si l’on admet qu’une épreuve n’implique pas nécessairement doute ou ignorance : l’on peut mettre quelqu’un à l’épreuve simplement pour lui faire manifester une qualité que l’on connaît ; c’est ainsi que Dieu éprouve l’homme et que, dans la tentation interprétative de Dieu, l’homme cherche à lui faire exercer une puissance, dont il ne doute nullement.

Les casuistes d’hier et d’aujourd’hui s’accordent donc en général pour définir, en termes divers du reste, la tentation de Dieu : « une parole, une prière, un acte par lequel on éprouve si Dieu possède ou exerce quelqu’une de ses perfections, science, puissance, miséricorde, etc. ». Noldin, De præceptis, 7e éd., n. 171. Ils reconnaissent qu’elle peut naî’re surtout de deux dispositions vicieuses : de l’infidélité, quand il y a doute sur la perfection en question et de la présomption, si, sans nécessité ou utilité, on demande à Dieu ou on attend de lui un effet extraordinaire. Par exemple, au sujet de l’eucharistie, ce sera tenter Dieu que de lui demander dans le doute sur la présence réelle, de voir le Christ sous les espèces sensibles, ou, si l’on croit fermement à cette présence, de réclamer la faveur faite à plusieurs saints, de voir le divin Enfant dans l’hostie.

2. Division.

La théologie morale moderne retient généralement la division thomiste de tentation expresse et tentation interprétative ; elle leur donne parfois des noms différents, la première est encore appelée explicite, formelle ; la deuxième virtuelle, matérielle. Certains moralistes voudraient même pousser plus avant l’analyse ; par exemple Noldin entend par virtuelle une tentation où l’intention de tenter Dieu ne serait nullement explicite et résulterait de l’acte lui-même. C’est peut-être compliquer la doctrine sans grand avantage.

Quoi qu’il en soit, les modernes notent avec soin que, pour être vraiment tentation de Dieu, la présomption imprudente ou téméraire doit présenter un rapport à Dieu, être une attente injustifiée de son intervention. Si rien n’est attendu de Dieu, il n’y a pas tentation : par exemple, affronter un duel sérieux quand on ne sait pas tenir une arme, repousser des remèdes humains dans une maladie grave, se présenter sans préparation et sans motif à un examen. Si un secours spécial de Dieu n’est pas, de quelque manière, réclamé, c’est être imprudent, ce n’est pas tenter Dieu.

Ils laissent aussi un champ très large aux inspirations divines, qui, si elles sont réelles, font disparaître la tentation de Dieu et, si elles étaient illusoires, empêcheraient de pécher subjectivement. De même pas de tentation de Dieu quand les moyens ordinaires font défaut, ou que, dans des cas de nécessité, de grande utilité, l’on attend un effet de Dieu seul. Il est donc permis pour le salut de soi-même ou des autres de demander un miracle, à condition qu’on ajoute : « S’il plaît à Dieu », mais, normalement, on ne devrait pas proposer ou offrir un miracle pour la conversion des hérétiques ou des incroyants sans une inspiration divine spéciale, les témoignages de la foi chrétienne suffisant en principe à cet effet.

Parmi les exemples historiques de la tentation interprétative au sens thomiste, remarquent plusieurs auteurs, il faut placer les jugements de Dieu ou ordalies, en vigueur durant plusieurs siècles du Moyen Age. Voir à l’art. Ordalies, t. xi, col. 1139 sq., les longues tolérances de l’Église, puis les efforts de l’autorité romaine contre elles et leur disparition à partir du xme siècle ; cf. aussi Dictionnaire apologétique, art. Duel, t. i, col. 1196 sq.

3. Malice morale.

Recherchant avec plus d’exactitude le degré et la limite du péché grave, les casuistes ont vu dans la tentation expresse ou formelle une faute