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TRADITION. CYPRIEN


Jésus a communiqué aux apôtres, et les apôtres à leurs familiers, un enseignement secret supra-scripturaire. Cf. In Matth. coinm., tom. xiv, n. 11, t. xiii, col. 1209 D ; n. 12, col. 1212C-1213 A. Voir, pour saint Paul en particulier, In Ezech., hom. vii, fragm. dans le Corpus de Berlin, t. viii, p. 399 ; In Rom. comm., t. X, n. 11, P. G., t. xiv, col. 1267C-1268A ; t. VIII, n. 12, col. 1136 AB. Peut-être trouve-t-on un écho de ces communications mystérieuses dans In Jesu Nave, hom. xxiii, n. 4, P. G., t.xii, col. 937-938. Nonobstant ces indications, il faut reconnaître que, si Origène se réfère aux anciens, c’est uniquement pour appuyer quelque point du dépôt apostolique. Il ne paraît pas fonder ses spéculations sur une tradition orale et secrète. Voir cependant la thèse opposée dans J. Lebreton, Les degrés de la connaissance religieuse d’après Origène, dans Recherches de science religieuse, t. xii, 1922, p. 284. Voir ici, t. xi, col. 1514-1516, Les simples et les parfaits.

7. Saint Cyprien.

a) Autorité doctrinale de l’Église : la tradition. — On sait toute l’importance de la notion d’Église dans la théologie de saint Cyprien. C’est par l’Église que nous est transmis l’enseignement chrétien, lequel doit s’appuyer sur « la tradition de Dieu, du Christ et des apôtres ». EpisL, lxvii, 5, éd. Martel, t. ii, p. 739 ; iv, 1, p. 473 ; De dominica oratione, n. 2, 1. 1, p. 2-3. C’est la tradition du Seigneur (tradition divine) qui est à la source de l’enseignement, radix atque origo traditionis dominiese, Epist., lxiii, 1, p. 701 ; divinse traditionis caput atque origo, Epist., lxxiv, 10, p. 808. Cf. De unit. Eccl., c. xii, 1. 1, p. 220 ; C ; iii, p. 212 ; De lapsis, n. 2, id., p. 238 ; Epist., lxxiv, 10, p. 808.

Où se trouve cette tradition divine et qui a qualité pour la garder et la proposer ? La réponse a cette question doit être dégagée d’affirmations plus générales de Cyprien sur le rôle de l’Église et de l’épiscopat. C’est l’Église qui possède toute grâce et toute vérité ; Epist., lxxiii, 11, p. 786 ; cf. lxxi, p. 772. Voir, dans les Sententiie episcoporum, la même vérité exprimée par l’évêque africain Janvier, n. 34, t. i, p. 449. La foi communiquée au baptême est le bien exclusif de l’Église. Epist., lxxiii, n. 12, p. 786-787. Or, ce sont les évêques qui président à la foi et à la vérité, ibid., n. 22, p. 796 ; qui, ayant reçu l’Esprit de Dieu, ont le devoir de garder, de promouvoir, de défendre la foi et de l’enseigner aux autres. Ibid., n. 10, p. 785 ; Epist., lxvii, 6, p. 740 ; lxxiii, 20, p. 794 ; cf. lxx, 3, p. 770. Si des hérésies sont survenues dans l’Église, elles ont eu comme point de départ, la rébellion contre l’évêque. De unit. Eccl., c. x, t. i, p. 218 ; De bono pat., c. xix, p. 411 ; Epist., iii, 3, t. ii, p. 471.

Les évêques sont donc les dépositaires de la tradition. Cyprien ne laisse pas supposer que les évêques puissent être en désaccord sur les vérités du symbole, puisqu’ils ont tou ? le même esprit. Aussi, dans le différend qui séparait certains évêques de leurs collègues au sujet du rite de l’eucharistie (calice d’eau sans vin), Cyprien, en faveur de l’usage du vin dans la célébration de l’eucharistie, oppose à l’erreur de « quelques » évêques, simples et ignorants, la « tradition » authentique du Seigneur, consignée dans les Écritures. Epist., lxiii, 1, 11, 14, 17, t. ii, p. 701, 709, 712, 718. Il faut suivre la vérité de Dieu et non une tradition humaine. Ibid., 14, p. 712-713. On le voit, Cyprien n’oppose pas une tradition à une tradition ; il oppose à une tradition humaine et fausse l’enseignement du Seigneur dont l’Écriture est témoin. Cette précision montre en quoi Cyprien se distingue d’Irénée et de Tertullien encore catholique dans l’emploi de l’argument de tradition : seule compte pour Cyprien la tradition dont la vérité peut se discerner en remontant à l’origine, c’est-à-dire à la tradition divine. C’est ainsi que la tradition divine,

consignée dans l’Évangile, paraît à Cyprien condamner sans condition les hérésies et ne reconnaître qu’un seul baptême, au pouvoir de l’unique Église. Epist., lxxiv, 2, 3, p. 800-801 ; cf. lxxi, 2, p. 772. À l’opposé, la tradition qu’invoque Etienne n’est pas recevable, car c’est une tradition purement humaine, une coutume sans vérité. Epist., lxxi, 2, p. 772 ; lxxiv, 2, 3, p. 800-801. La coutume qui s’est introduite furtivement ne peut s’opposer à la vérité. Epist., lxxiv, 9, p. 806 ; cf. lxiii, 13, p. 787 et Sentent, episc, 28, 30, 56, 63, 77, t. I, p. 447, 448, 454, 456, 458.

b) L’Esprit, gardien de la tradition. — Grâce à l’Esprit qui instruit son Église, il est toujours possible de rejoindre la tradition première et divine. Les évêques, grâce à cet Esprit, seront toujours, dans l’ensemble, d’accord ; l’opposition ne sera jamais que le fait d’exception. Epist., lxviii, 5, p. 748.

On doit conclure que, si la théologie de Cyprien aboutit à placer l’autorité doctrinale dans l’épiscopat, éclairé et soutenu par l’Esprit-Saint, elle ne s’élève pas explicitement à l’idée d’une autorité doctrinale supérieure à celle de l’ensemble des Églises. Aucun évêque, pas même celui de Borne, n’aurait le droit de dicter la loi à ses collègues. Epist., lxxvi, 3, p. 778.

8. Autour de saint Cyprien.

Quelques écrits d’autres auteurs, qui gravitent autour de saint Cyprien, complètent cet aperçu sur l’idée de tradition au milieu du iiie siècle. La controverse baptismale en est la principale occasion.

a) Le pape saint Etienne avait écrit à Cyprien : « Si donc il en est qui reviennent à nous de quelque hérésie que ce soit, qu’on n’innove rien et qu’on garde la tradition, en leur imposant les mains pour les recevoir à la pénitence. » Dans Cypriani opéra, Epist., lxxiv, 1, t. ii, p. 799. D’après Firmilien, le pape voulait suivre en cela la pratique romaine, pratique qu’il considérait comme une tradition authentique remontant aux apôtres Pierre et Paul. Dans S. Cyprien, Epist., lxxxv, 5, p. 813 ; cꝟ. 17, p. 821. Sur le décret du pape Etienne, voir ici t. ii, col. 227.

b) L’auteur du De rebaplismate, pour contester la thèse de Cyprien sur le baptême des hérétiques, invoque l’usage très ancien, la tradition ecclésiastique, la coutume antique, n. 1, édit. Hartel, Cypriani opéra, t. iii, p. 69-71, qui a été consacrée de temps immémorial par l’autorité des Églises, des apôtres, des évêques et l’usage de tant de chrétiens. Ibid., 6, 15, p. 77, 89. Et l’auteur reprend, mais en sens opposé, l’argumentation de Cyprien : en pareille matière, Une devrait pas y avoir de dissentiment, si l’on s’en tenait avec humilité à l’autorité de toutes les Églises. Ibid., n. 1, p. 70, 71. On peut se demander si l’argument avait une portée efficace, étant donné la division qui régnait entre évêques.

c) Firmilien de Césarée avait, lui aussi, écrit sur le sujet en litige et dans le même sens que Cyprien. Dans la lettre qu’il adressa à ce dernier, il semble attacher plus d’importance que l’évêque de Carthage à l’argument de tradition. Pour lui, les apôtres n’ont pu transmettre la pratique observée à Borne, puisque les grandes hérésies ne se sont produites que longtemps après leur mort. Dans S. Cyprien, Epist., lxxv, 5, t. ii, p. 813. D’ailleurs, sur d’autres points, l’Église romaine se sépare de l’usage observé à Jérusalem et en beaucoup d’autres provinces ; aussi la pratique romaine est-elle une simple tradition ou coutume humaine. Ibid., n. 6, p. 813-814. Les Africains joignent donc la vérité à la coutume, tandis que les Bomains n’ont qu’une coutume sans vérité. Ibid., n. 19, p. 822-823. Ainsi Firmilien renchérit encore sur Cyprien. Celuici se contentait de mettre la tradition romaine en désaccord avec l’enseignement authentique des apôtres ; celui-là oppose à l’argument de tradition invoqué