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THOMISME. LES SACREMENTS


lantum fusus est. Ergo semel tantum oblatus est. Zwinglii opéra, t. ii, fol. 183 ; cf. Lepin, op. cit., p. 248. Cette objection revient à dire : tout vrai sacrifice comporte une immolation réelle de la victime offerte ; or, à la messe, il n’y a pas immolation réelle du corps du Christ, qui est maintenant glorieux et impassible ; donc la messe n’est pas un vrai sacrifice.

A cette objection le concile de Trente répond en rappelant la doctrine communément enseignée par le Pères et par les théologiens du xiiie siècle, notamment par saint Thomas, et il distingue l’immolation sanglante et l’immolation non sanglante ou sacramentelle, cf. Conc. Trid., sess. xxii, cap. i.

Tout vrai sacrifice comporle-t-il l’immolation réelle de la victime offerte ? Cela est requis en tout sacrifice sanglant, mais non pas dans le sacrifice non sanglant de la messe, il suffit qu’il y ait une immolatio incruenta ou sacramentelle qui représente l’immolation sanglante de la croix et en applique les fruits. C’est en substance ce qu’avait dit saint Thomas, III", q. lxxxiii, a. 1. Et c’est ainsi qu’ont répondu à l’objection protestante les meilleurs thomistes, notamment Cajétan, Opusc. de missse sacrificio et ritu adversus Lutheranos, 1531, c. vi : modus incruentus sub specie panis et vini oblatum in cruce Christum immolalilio modo reprœsentat, cité par M. Lepin, op. cit., p. 260, 280, 283. De même Jean de Saint-Thomas, Cursus theol., De sacramentis. éd. Paris, 1667, disp. XXXII, p. 285 : Concludo : essenlialem rationem sacrificii consistere in consecratione, non absolute, sed prout separativa sanguinis a corpore sacramentaliter et mystice. .. Nam in cruce oblatum est sacrificium per separationem rcalem sanguinis Christi a corpore : ergo illa actio qusp séparât mystice et sacramentaliter islum sanguinem, est idem sacrificium quod in cruce, solum differens in modo, quia hic sacramentaliter, ibi realiter. Les carmes de Salamanque enseignent la même doctrine dans leur Cursus theologise, éd. Paris 1882, tr. xxiii, disp. XIII, dub. i, n. 2, t. xviii, p. 759. Mais les carmes de Salamanque ajoutent, n. 29, ce qui n’est pas admis par tous les thomistes, sumptio sacramenti a sacerdote jacla pertinet ad essentiam hujus sacrijicii ; pour beaucoup d’autres thomistes la communion du prêtre n’appartient pas précisément à l’essence du sacrifice, mais à son intégrité (elle ne détruit du reste que les espèces eucharistiques et non pas le corps du Christ qui est la victime offerte dans le sacrifice). Quoi qu’il en soit de ce dernier point, les carmes de Salamanque admettent bien que la double consécraLion constitue une immolation non pas réelle mais sacramentelle. C’est la même doctrine qui se trouve chez Bossuet dans ses Méditations sur l’Évangile, La Cène, l re partie, 57e jour. Cette thèse est reproduite par la majorité des thomistes actuels et même des théologiens contemporains, comme le cardinal Billot et ses disciples, Tanquerey, Pègues, Iléris, etc. Elle nous paraît être la véritable expression de la pensée de saint Thomas.

Il faut reconnaître que certains thomistes, comme Gonet, BiUuart, Hugon, sous l’influence, semble-t-il, de Suarez, ont cherché dans la double consécration une immutation réelle ; ils ont dû reconnaître que seules la substance du pain et celle du vin sont réellement changées ; or, elles ne sont pas la chose offerte en sacrifice. Ils ont alors admis avec Lessius une immolation virtuelle du corps du Christ, en ce sens que vi verborum consecrationis, le corps du Christ serait réellement séparé du sang s’il ne lui restait pas uni par concomitance du fait que le corps du Christ est maintenant glorieux et impassible. Cette innovation ne paraît pas heureuse, parce que cette immolation virtuelle de fait n’est pas réelle, elle reste seulement mystique ou sacramentelle ; et de plus elle renouvellerait virtuellement

la mise à mert du Christ ; or, saint Thomas, III », q. xlviii, a. 3, ad 3um, dit de cette mise à mort du Christ non fuit sacrificium, sed maleficium, elle n’est donc pas à renouveler ni réellement ni virtuellement.

Il reste donc qu’il n’y a à la messe que l’immolation sacramentelle du Christ, ou la séparation sacramentelle de son corps et de son sang, par la double consécration ; en ce sens, le sang du Christ est sacramentellement répandu.

Cette immolation sacramentelle suffit-elle pour que la messe soit un vrai sacrifice ? Elle suffit, selon le. ; thomistes cités plus haut, pour deux raisons : c’est que dans le sacrifice en général l’immolation extérieure est toujours in génère signi, et de plus l’eucharistie est en même temps un sacrifice spécial et un sacrement.

Tout d’abord, il peut y avoir un vrai sacrifice sans immolation réelle, mais avec une immolation équivalente, surtout si elle est le signe d’une immolation sanglante passée. La raison en est que déjà dans le sacrifice en général l’immolation extérieure est toujours in génère signi ; elle est le signe de l’immolation intérieure « du cœur contrit et humilié » et, sans cette dernière, elle ne vaudrait rien, ainsi le sacrifice de Caïn qui n’était que le simulacre d’un rite religieux. Comme le dit saint Augustin en un texte souvent cité par saint Thomas : Sacrificium visibile invisibilis sacrificii sacramentum, id est sacrum signum, est. De civ.Dei, t. X, c. v. Cf. S. Thomas, II » -II æ, q. lxxxi, a. 7 ; q. lxxxv, a. 2, corp. et ad 2 nm.

Même dans le sacrifice sanglant, l’immolation extérieure d’un animal est requise, non pas comme la mise à mort physique, condition préalable de la manducation de cet animal, mais comme signe d’une oblation, d’une adoration, d’une contrition intérieures, sans lesquelles elle n’a plus aucun sens religieux, ni aucune valeur. S’il en est ainsi, on comprend qu’il puisse y avoir un sacrifice réel et non sanglant, dont l’immolation soit seulement sacramentelle in génère signi, sans la séparation réelle ou physique du corps et du sang du Sauveur qui est maintenant impassible. Cette immolation sacramentelle est du reste ainsi le me’moriul de l’immolation sanglante du Calvaire, dont elle nous applique les fruits, et l’eucharistie contient Christum passum, le Christ qui a réellement souffert autrefois. Bien plus cette immolation du Verbe fait chair à la messe, quoique seulement sacramentelle, est un signe d’adoration réparatrice beaucoup plus expressif que l’immolation sanglante de toutes les victimes de l’Ancien Testament. Saint Augustin et saint Thomas (I », q. lxxxiii, a. 1) ne requièrent certainement pour la messe rien de plus, comme immolation, que l’immole tion sacramentelle.

Cela se conçoit aussi pour cette seconde raison que l’eucharistie est en même temps un sacrement et un sacrifice : il ne faut pas s’étonner dès lors qu’en elle l’immolation extérieure de la victime offerte, soit non pas réelle ou physique, mais sacramentelle.

Il ne s’ensuit pas cependant que la messe ne soil aux yeux de saint Thomas qu’une oblation. Celui-ci écrit : II a -Il æ, q. lxxxv, a. 3, ad 3um :

Sacrificia proprie dicuntur quando circa res Deo oblatas aliquid fit, sicut quod animalia occidebantur et comburebantur, quod panis frangitur et comeditur et benedicitur. Et hoc ipsum nomen sonat, nam sacrificium dicitur ex hoc quod homo facit aliquid sacrum. Oblatio autem directe dicitur, cuni Deo aliquid oflertur, etiamsi nihil circa ipsum fiât ; sicut dicuntur offerri denarii, vel panes in altari, circa quos nihil fit. Unde omne sacrificium est oblatio, sed non convertitur.

Le sacrifice de la messe n’est pas une simple oblation, mais un vrai sacrifice ; quia aliquid fit circa rem oblatam : la double transsubstantiation qui est la