Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/481

Cette page n’a pas encore été corrigée
947
948
THOMISME. LES SACREMENTS


précisé trois points importants relatifs à leur efficacité, à ce qu’on peut appeler en eux la matière et la forme, enfin à la raison d’être des sacrements.

Selon lui, les sacrements de la Loi nouvelle sont des signes efficaces de la grâce, qui la produisent ex opère operalo, par une causalité physique instrumentale. Cf. III", q. lxii, a. 1-5. Il dit, ibid., a. 4 : in sacramento est quædam virtus instrumentons ad inducendum sacramentalem effectum, et a. 5 : Principalis causa efficiens gratiæ est ipse Deus, ad quern comparatur humanitas Christi, sicut instrumentum conjunctum, sacramentum autem sicut instrumentum separatum. Le sens de ces textes et du contexte est des plus clairs ; aussi l’ensemble des thomistes, à l’exception de Melchior Cano, admet-il que les sacrements sont cause physique instrument aie de la grâce ; le mot « physique » n’est pas chez saint Thomas, mais celui-ci affirme ici la causalité instrumentale réelle, qui n’est certes pas d’ordre moral.

Le saint Docteur, ibid., q. lx, applique aussi analogiquement aux sacrements la théorie de la matière et de la forme, et précise sur ce point ce qu’avaient dit Guillaume d’Auxerre et Alexandre de Haies. Il y a en effet analogie dans l’ordre de la signification entre les choses et les paroles du sacrement et la matière et la forme des corps ; les paroles déterminent la signification des choses sensibles, par exemple la formule baptismale détermine la signification de l’ablution qu’elle accompagne. De même, selon saint Thomas, l’absolution est la forme du sacrement de pénitence, qui a pour matière les actes extérieurs du pénitent. Quant au mariage (ce qui a été fort discuté), le consentement des conjoints seul contient la matière et la forme. In IV am Sent., dist. XXVI, q. n. Il y a là une analogie de proportionnalité qui ne doit pas être, forcée, elle doit rester souple, c’est une manière légitime de s’exprimer fondée en réalité.

Chaque sacrement du reste est spécifié par l’effet spécial qu’il doit produire, chacun est essentiellement relatif à cet effet et, pour que le Christ ait institué un sacrement, il n’est pas nécessaire qu’il en ait déterminé lui-même la matière et la forme, il suffit qu’il ait manifesté qu’il voulait un signe sensible qui produisît tel effet spécial.

Quant au nombre des sacrements, saint Thomas en montre la convenance par leur raison d’être, selon une analogie entre la vie naturelle et la vie surnaturelle. Q. lxv, a. 1. Dans l’ordre naturel, l’homme doit recevoir la vie, y croître, s’y maintenir et, au besoin, être guéri, puis rétabli ; ces mêmes besoins existent dans l’ordre surnaturel, c’est à eux que correspondent, pour le chrétien, le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction. De plus, dans ses rapports sociaux, l’homme, dans l’ordre naturel, est perfectionné soit en vue d’exercer une fonction publique, soit en vue de la propagation ; à ce double but répondent, dans l’ordre surnaturel, les sacrements de l’ordre et du mariage.

2. Sacrements en particulier.

Nous ne pouvons ici exposer le détail de la doctrine de saint Thomas sur chacun des sept sacrements. Nous noterons seulement ce qu’il dit sur trois points particulièrement importants : sur la transsubstantiation, sur le sacrifice de la messe et, à propos du sacrement de pénitence, sur la différence de l’attrition et de la contrition.

a) La transsubstantiation. — Selon saint Thomas, q. lxxv, a. 2, la transsubstantiation ou conversion Ce toute la substance du pain au corps du Christ et de loute la substance du vin à son précieux sang est nécessaire pour expliquer la présence réelle. Si en effet le corps glorieux du Christ ne cesse pas d’être au ciel et s’il est impassible, il ne peut être rendu réellement présent sous les espèces du pain et du vin par une action divine qui s’exercerait sur lui, comme le

serait une action adductive, qui le ferait descendre du ciel vers chaque hostie consacrée. Si donc le corps du Christ lui-même n’est pas ici sujet de changement, il ne peut devenir réellement présent dans l’eucharistie que par le changement de la substance du pain et du vin en lui. Bref, si un corps devient présent là où il n’était pas, ce ne peut être, en vertu du principe d’identité, que par son propre changement ou par le changement d’un autre corps en lui ; tout comme une colonne immobile qui était à ma droite ne peut être à ma gauche que si j’ai changé par rapport à elle. Saint Thomas dit expressément, ibid. : Aliquid non potest esse alicubi, ubi prius non erat, nisi vel per loci mutationem, vel per alterius conversionem in ipsum, sicut in do/no aliqua de novo incipil esse ignis, aul quia Mue defertur, aut quia ibi generatur.

Par cette conversion de la substance du pain au corps du Christ, celui-ci, sans être lui-même sujet de changement, est rendu réellement présent sous les accidents du pain, car ces derniers perdent la relation réelle de contenance qu’ils avaient à la substance du pain et acquièrent une relation réelle de contenance au corps du Christ. Cette nouvelle relation réelle demande un fondement réel qui n’est autre que la transsubstantiation. Celle-ci étant admise, saint Thomas en déduit tout ce qui concerne la présence réelle du corps du Christ et de ses accidents et tout ce qui doit être admis pour les accidents eucharistiques. Cette doctrine est ainsi parfaitement conforme au principe d’économie, qui nous demande d’expliquer les faits sans multiplier inutilement leurs causes.

Duns Scot n’a pourtant pas admis cette doctrine, il a voulu expliquer la présence réelle par l’annihilation de la substance ou pain et par l’adduction de la substance du corps du Christ. In IV am, dist. X, q. 1, dist. XI, q. m. Aussi plusieurs théologiens, qui l’ont en partie suivi, parlent de « transsubstantiation adductive » : Bellarmin, De Lugo, Vasquez. Mais ce n’est plus conserver le sens propre des mots conversion et transsubstantiation, dont se sont servis les conciles. Parler en effet de transsubstantiation adductive, ce n’est plus admettre la conversion d’une substance en une autre, mais la substitution de l’une à l’autre.

De plus, on ne peut expliquer en quoi consiste cette adduction invisible du corps du Christ, lequel ne cesse pas d’être au ciel et est impassible. Aussi les thomistes maintiennent-ils ce qu’a affirmé saint Thomas : le corps du Sauveur n’est pas rendu présent dans l’eucharistie par une action divine qui s’exercerait sur lui-même, il ne devient pas sujet d’un changement, il n’est pas mu localement vers l’eucharistie, il n’est pas non plus physiquement changé dan* sa quantité, dans ses qualités, ni dans sa substance. Si donc la présence réelle ne peut s’expliquer par un changement dans le corps du Christ lui-même, elle ne peut provenir que de la conversion en lui de la substance du pain. On ne peut admettre non plus, selon les thomistes, que la transsubstantiation soit une action quasi reproductrice du corps du Christ (Suarez), car il préexiste au ciel et n’est pas multiplié ni changé. C’est numériquement le même corps glorieux qui est au ciel et qui est le terme de la conversion. Si Gonet et Billuart ont ici reproduit un peu la terminologie de Suarez. ils enseignent pourtant comme tous les thomistes la conversion proprement dite. Elle est nettement exprimée dans le catéchisme du concile de Trente, qui fut rédigé par des théologiens dominicains. Il y est dit, part. II, c. iv, n. 37-39 : Ita fit, ut tota panis substantia divina virtutc, in totam corporis Christi substantiam, sine ulla Domini nostri mulatione, convertatur.

Enfin la formule sacramentelle hoc est corpus meum est manifestement vérifiée par la conversion de toute la substance du pain en celle du corps du Christ,