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THOMISME. L’UNION II YPOST ATIQUE


passibili. S’il en était ainsi, l’assertion des Pères à la prendre purement et simplement serait fausse, comme il serait faux de dire : le corps du Christ n’est pas réellement au ciel et dans l’eucharistie ; il n’y est pas in carne passibili, mais il y est réellement.

Il y a pourtant à un autre point de vue une difficulté formulée par Scot : Ordinale uolc.ns prias vult finem et propinquiora fini, quam alia, celui qui veut avec sagesse veut d’abord la fin et ce qui est le plus près d’elle, et ensuite seulement les moyens subordonnés ; il y a ainsi subordination non pas de plusieurs vouloirs divins, mais des objets voulus. Or, le Christ est plus près qu’Adam de la fin dernière de l’univers, qui est la manifestation de la bonté divine, le Christ en effet est plus parfait et plus aimé. Donc Dieu, pour manifester sa bonté, veut d’abord le Christ ou l’incarnation du Verbe avant qu’Adam ne soit voulu, et que son péché ne soit permis.

A cette objection de Scot, plusieurs thomistes comme Gonet, Godoy, les carmes de Salamanque, L. Billot, Hugon, etc., répondent en distinguant la majeure selon une distinction proposée par Cajétan (in art. 3 am), mais dont celui-ci n’a pas tiré toutes les conséquences. Ils distinguent entre la cause finale ou la fin proprement dite finis cujus gratia et la cause matérielle ou la matière à informer. Ainsi, disent-ils, Dieu veut l’âme avant le corps et le corps pour l’âme dans l’ordre de la causalité finale, mais il veut le corps avant l’âme dans l’ordre de la causalité matérielle à perfectionner et, si le corps de l’embryon humain n’était pas disposé à recevoir une âme humaine, celle-ci ne serait pas créée. De même, dans l’ordre de la causalité finale (finis cujus gratia), Dieu veut l’incarnation rédemptrice avant de permettre le péché d’Adam, conçu pourtant comme possible ; mais il permet d’abord le péché d’Adam à réparer, dans l’ordre de la causalité matérielle, in génère malerise perficiendæ et finis cui proficua est incarnalio. De même on dit couramment : Dieu veut l’homme peur la vie éternelle, pour la béatitude, mais il veut aussi la béatitude à l’homme : beatitudo est finis cujus gratia hominis, sed homo est subjectum cui et finis cui beatitudinis, seu cui proficua est beatitudo.

Cette distinction, on le voit, n’est pas une distinction verbale et factice ; elle est fondée sur la nature des choses, elle peut et doit se faire partout où interviennent les quatre causes : causse ad invicem sunt causæ, sed in diverso génère ; il y a rapport mutuel et priorité mutuelle entre la matière et la forme ; la matière est pour la forme qui est sa fin ; mais la forme est aussi pour parfaire la matière disposée à la recevoir et, si la matière n’était pas disposée, la forme ne serait pas donnée ; si l’embryon humain n’était pas disposé à recevoir l’âme humaine, celle-ci ne serait pas créée. De même, dans cet ordre de causalité matérielle, si le premier homme n’avait pas péché, si le genre humain n’était pas à racheter, le Verbe ne se serait pas incarné. Mais, dans l’ordre des fins, Dieu a permis le péché d’Adam et le péché originel pour un bien supérieur, et, posf faclum incarnationis, nous voyons que ce bien supérieur est l’incarnation rédemptrice et son rayonnement universel.

Ce dernier point n’est pas admis par tous les thomistes. Jean de Saint-Thomas et Billuart ne veulent pas répondre à la question : pour quel bien supérieur Dieu a-t-il permis le péché originel ? Au contraire Godoy, Gonet, les carmes de Salamanque disent : ante faclum incarnationis annuntialum on ne pourrait pas répondre, mais post factum nous voyons que ce bien supérieur est l’incarnation rédemptrice et son rayonnement sur l’humanité, subordonné toujours, cela va sans dire, à la manifestation de la bonté divine.

Telle paraît bien être la pensée de saint Thomas lui même : Nihil prohibet ad aliquid majus humanam naturam perductam esse post peccalum. Deus enim permiltil mala fieri, ut inde aliquid melius eliciat. Unde dicitur ad Rom., v, 20 : « Ubi abundavit delictum, superabundauit et gratia. » Unde et in benediclione cerei paschalis dicitur : « O felix culpa, quæ totem ac tantum meruil habere redemptorem. » Ibid., a. 3, ad 3um. De même Capréolus, In III am Sent., dist. I, q. i, a. 3 ; Cajétan, In l* iii, q. xxii, a. 2, n. 7.

Il reste que le motif de l’incarnation est un motif de miséricorde et qu’ainsi la bonté et la puissance divine sont plus manifestées selon ces paroles de la liturgie : Deus qui maxime parcendo et miserendo omnipotentiam luam manifestas ; cf. II » - II", q. xxx, a. 4.

De ce point de vue, comme le disent fort bien les carmes de Salamanque, il est inutile de multiplier les décrets divins et de supposer une complexité de décrets conditionnels et inefficaces comme l’ont fait Jean de Saint-Thomas et Billuart. Il suffit de dire que Dieu par sa science de simple intelligence a vu tous les mondes possibles, en particulier ces deux mondes possibles : un genre humain resté dans l’état d’innocence et couronné par l’incarnation non rédemptrice, et, par opposition, un genre humain pécheur ou déchu, restauré par l’incarnation rédemptrice. Puis par un seul et même décret Dieu a choisi ce second monde possible, c’est-à-dire il a permis le péché pour ce plus grand bien qu’est l’incarnation et il a voulu l’incarnation pour la rédemption du genre humain, finis cui proficua est incarnatio ; il reste que la fin dernière de l’univers est la manifestation de la bonté divine.

L’ordre des objets voulus par Dieu est alors le suivant. Comme l’architecte veut, non pas d’abord le sommet de l’édifice ou d’abord son fondement, mais tout l’édifice avec toutes ses parties subordonnées entre elles, ainsi Dieu veut d’abord, pour manifester sa bonté, l’univers entier avec toutes ses parties, c’est-à-dire avec les trois ordres subordonnés de la nature, de la grâce (avec la permission du péché originel) et de l’union hypostatique. L’incarnation dès lors est voulue comme incarnation rédemptrice. Elle n’est pas cependant « subordonnée » à notre rédemption, mais elle en est la cause éminente, et c’est nous qui restons subordonnés au Christ, selon la parole de saint Paul, I Cor., m, 23 : Omnia enim vestra sunt, vos autem Christi, Christus autem Dei. Le Christ est manifestement supérieur à nous comme cause de notre salut, exemplaire de toute sainteté et fin à laquelle nous sommes subordonnés.

Il reste que Dieu aime le Christ plus que tout le genre humain et que les créatures les plus élevées. Saint Thomas dit bien, I », q. xx, a. 4, ad l Bm : « Dieu aime le Christ non seulement plus que tout le genre humain, mais plus que toutes les créatures ensemble ; il lui a en effet donné un bien supérieur et un nom qui est au dessus de tout nom, puisque Jésus est véritablement Dieu. Et l’excellence souveraine du Christ n’est en rien diminuée du fait que Dieu l’a livré à la mort pour le salut du genre humain ; bien au contraire Jésus a remporté ainsi la plus glorieuse victoire, « l’empire a été posé sur ses épaules… pour nous donner une paix sans fin. Is., ix, 5-6. C’est ce qui est exprimé par saint Paul, Phil., ii, 8-10 : « Il s’est humilié en se faisant obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé et lui a donné un nom au dessus de tout nom. » Cette excellence et cette gloire du Sauveur ne s’opposent nullement à cette assertion de l’Écriture et de la Tradition que c’est pour notre salut que le Verbe s’est incarné : gui propter nostram salutem descendit de cselis et incarnatus est.

2° La personnalité du Christ et l’union hypostatique. III », q. ii, iii, iv. — L’union hypostatique étant l’union des deux natures, divine ci humaine, en la