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THOMISME. LA JUSTICE ORIGINELLE

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La difficulté dans les discussions avec les averroïstes était de montrer comment l’âme séparée reste individuée, reste l’âme de Pierre plutôt que de Paul, au lieu d’être une âme unique pour loua les hommes. L’âme humaine, selon saint Thomas, a une relation essentielle, dite transcendantale, au corps humain, qui diffère spécifiquement de celui des autres animaux ; cette relation essentielle ou transcendantale demeure dans l’âme séparée, même lorsque le <’orps himain est tombé en poussière, en quoi elle diffère d’une relation accidentelle, qui disparaît avec la disparition de scn terme, ainsi l’homme cesse d’être père lorsque son fils meurt. Bien plus, selon saint Thomas, cette âme individuelle est individuée par sa relation à son corps individuel, selon une relation semblable à celle qui existe entre l’âme humaine et le corps humain, et cette relation individuelle demeure dans l’âme séparée, qui, par suite, reste individuée ; elle est par exemple celle de Pierre, différente de celle de Paul. C’est ce que saint Thomas a montré contre les averroïstes, qui soutenaient que l’âme séparée du corps ne peut être individuée (puisque la matière est le principe d’individuation) et qu’il n’y a donc qu’une âme immortelle impersonnelle ou unique pour tous les hommes, ce qui est une forme atténuée du panthéisme. Cf. I », q. lxxvi, a. 2, ad 2um ; q. cxviii, a. 3 ; Conl. Cent., t. II, c. lxxv, lxxx, lxxxi, lxxxiii. Il faut remarquer que telle âme individuelle et son corps font un composé naturel qui est un, non pas per accidens, mais per se. Si l’âme humaine était accidentellement unie au corps, telle âme n’aurait à son corps qu’une relation accidentelle qui ne resterait pas en elle après la dissolution du corps. Il en est tout autrement si l’âme humaine est par nature forme du corps. On voit que saint Thomas est toujours fidèle au principe d’économie, qu’il a formulé lui-même : quod potest compleri et explicari per pauciora principia, non fit per plura. De fait dans ce traité, comme dans les autres, il déduit « le quelques principes très élevés et très peu nombreux toutes les conclusions du traité. Il a fait faire ainsi un 1res grand progrès à la théologie dans le sens de l’unification du savoir.

Il suit aussi de ce qui vient d’être dit qu’il est plus parfait pour l’âme humaine d’être unie au corps, que d’être séparée de lui, car son intelligence, étant la dernière de toutes, a pour objet propre connaturel le dernier des intelligibles : l’être et la nature des choses sensibles, qui se connaissent par l’intermédiaire des sens. I*, q. i.i, a. 1 ; q. lv, a. 2 ; q. lxxvi, a. 5. L’état de séparation est donc préternaturel. I », q. lxxxix, a. 1 ; q. cxviii, a. 3. Aussi l’âme séparée désire-t-elle naturellement être unie de nouveau à son corps, ce qui’harmonise avec le dogme de la résurrection générale dis corps, cf. Supplementum, q. lxxv, Mais l’âme ne peut à volonté s’unir de nouveau à son corps, car c’est par sa nature même qu’elle l’informe et non pas par les opérations qui dépendent de sa volonté. De potentia, q. vi, a. 7, ad 4 un >.

2. La connaissance de l’âme séparée. I », q. lxxxix. les opérations sensitives ne restent pat dans l’Ame séparée, mais les facultés sensitives et leurs habitus restent en elle radicalement. F.lle conserve actuellement ses facultés immatérielles, ses habitas Intellectuels acquis pendant la vie terrestre, par exemple les sciences, el l’exercice de ces habilus, le raisonnement. Cet exa cice est cependant en partie empêché ou rendu difficile, parce qu’il n’y a plus le concours actuel de l’imagination et de la mémoire sensible. Mais l’âme séparée reçoit de Dieu des idées infuses semblables à celles des anges, tel un théologien, qui ne peut plus se tenir au courant île ce qui se publie dans sa science, inaii qui reçoit des lumières d’en haut.

On insiste parfois Mir ce dernier point, en laissant

un peu trop dans l’ombre une chose très certaine et très importante, c’est que l’âme séparée se connaît elle-même immédiatement. A. 2. Dès lors elle voit intellectuellement avec une parfaite évidence sa propre spiritualité, son immortalité, sa liberté, sa loi naturelle inscrite dans son essence même ; elle voit aussi que Dieu est l’auteur de sa nature ; elle le connaît non plus dans le miroir des choses sensibles, mais dans le miroir spirituel de sa propre essence. Par là tous les grands problèmes philosophiques sont résolus avec une évidence supérieure, contre tout matérialisme, déterminisme et panthéisme. De plus les âmes séparées se connaissent mutuellement et connaissent les anges, a. 2, mais moins parfaitement, car ceux-ci leur restent supérieurs.

Les âmes séparées ne connaissent pas naturellement ce qui se passe sur la terre. Cependant, si elles sont au ciel, Dieu leur manifeste ce qui dans les événements terrestres a rapport à elles, par exemple ce qui concerne la sanctification des personnes qui leur sont chères et pour qui elles prient. A. 8.

3. La volonté de l’dme séparée.

Toute âme séparée, selon la foi, a une volonté immuablement fixée par rapport à la fin ultime. Saint Thomas en donne une raison profonde : l’âme, dit-il, juge bien ou mal de sa fin ultime selon ses dispositions intérieures et ces dispo sitions peuvent changer tant qu’elle est unie au corps, car le corps lui a été donné pour l’aider à atteindre sa fin ; mais, lorsqu’elle n’est plus unie au corps, elle n’est plus dans l’état de tendance vers sa fin ultime, elle n’est plus in via à proprement parler ; elle se repose en la fin obtenue, à moins qu’elle ne l’ait masquée pour toujours. Aussi la volonté de l’âme séparée est immuablement fixée soit dans le bien, soit dans le mal ; cf. Conl. Gent., t. IV, c. xcv. On voit encore ici l’harmonie du dogme de l’immutabilité de l’âme séparée avec la doctrine de l’âme forme du corps.

Saint Thomas, I », q. xciii, montre que l’homme est à l’image de Dieu : 1. par sa nature intellectuelle apte à connaître Dieu et à l’aimer ; 2. par la grâce ; 3. par la lumière de gloire. Il y a aussi une image de la Trinité dans son âme d’où procède la pensée et l’amour.

6° La justice originelle et le péché originel. - Une des principales questions qui se pose à ce sujet est la suivante : Le premier homme a-t-il été créé en état de grâce, et la justice originelle inclut-elle la grâce sanctifiante ?


On sait qu’avant saint Thomas, Pierre Lombard et Alexandre de Halès, suivis par saint Albert le Grand et saint Bonaventure, estimaient qu’Adam ne fut pas créé en état de grâce, mais seulement dans l’intégrité de nature et qu’il ne reçut qu’ensuite la grâce sanctifiante, en s’y disposant volontairement. De ce point de vue la grâce apparaît, même en Adam innocent, comme un don personnel, plutôt que comme un don à transmettre avec la nature intègre aux descendants ; ceux-ci pourtant auraient reçu personnellement la grâce à laquelle Ls aurait disposés l’intégrité de nature qui leur aurait été transmise.

Saint Thomas dans son Commentaire sur les Sentrues, t. II, disl. XX, q. ii, a. 3, expose cette opinion et a.issi une autre selon laquelle le premier homme a été créé en état de grâce et de telle sorte que la grâce paraît bien être accordée non pas seulement à la personne d’Adam, mais à la nature humaine, comme un don gratuit à transmet t rc avec la natuie. Saint Thomas ilit Ici en propres termes : Mit vrro dicunt quod botta in gralia créât us est, et srcundum hoc videtur quod donum gratuitæ justitia-ipsi humante naturm collatum .iiï ; unde cum transjusione naturse simul etiam infusa fnisyrt gralia,

i n <ei endroit* c’est a-dire vers 1254, salnl Thomas ne se prononce pas encori entre ces deux opinions.