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THOMISME. LES PROCESSIONS DIVINES


qu’il est le terme de cette procession, comme le Verbe est le terme de la procession intellectuelle. D’où les relations divines, dont saint Augustin parle, surtout De Trinitate, 1. V tout entier et t. XV, c. iv, 5, où il est dit : Demonstratur non omne quod de Deo dicitur secundum substantiam dici, sed dici etiam relative, id est, non ad se, sed ad aliquid, quod ipse non est. Le Père est dit tel ad Filium, le Fils ad Patrem, le Saint-Esprit ad Patrem et Filium ; cf. ibid., t. V, c. vi, xvi, xvii, et J. Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 364-366. C’est la base de la doctrine thomiste des relations divines.

On s’explique par là qu’il y ait en Dieu deux processions et deux seulement, et que le Saint-Esprit procède non seulement du Père, mais du Fils, comme en nous l’amour procède de la connaissance du bien. Saint Augustin cependant ne voit pas encore pourquoi seule la première procession est génération, pourquoi on ne peut dire que l’Esprit saint est engendré. Saint Thomas le précisera sur ce point et sur beaucoup d’autres.

De plus, saint Augustin en ses spéculations sur la Trinité, partant, à l’opposé des Pères grecs, de l’unité de nature philosophiquement démontrée, et non pas de la Trinité des personnes, montre facilement que ce n’est pas le Père seul qui est créateur, mais aussi le Fils et le Saint-Esprit, car la puissance créatrice, propriété de la nature divine, est commune aux trois personnes. Ainsi peu à peu se précise la vérité capitale, sur laquelle revient toujours saint Thomas, que les trois personnes sont un seul et même principe d’opération ad extra. Les premiers documents qui expriment cette vérité s’éclairent alors de plus en plus ; cf. Denz.-Bannw. , n. 19, 77, 79, 254, 281, 284, 421, 428. Si donc, dans le Symbole des Apôtres, le Père est dit spécialement créateur, c’est par une appropriation, à cause de l’affinité qui existe entre la puissance et la paternité, comme les œuvres de sagesse sont appropriées au Verbe et celles de sanctification à l’Esprit d’amour. Cette théorie de l’appropriation esquissée par saint Augustin, De Trin., t. VI, c. ii, se précise chez saint Thomas, I a, q. xxxix, a. 7, 8 ; q. xlvi, a. 3 ; q. xlv, a. 6, ad 2um.

Ainsi apparaît de plus en plus la vérité du principe qui éclaire tout le traité de la Trinité : In Deo omnia sunt unum et idem ubi non obviât relationis opposilio, dont le concile de Florence donnera la formule définitive. Denz.-Bannw., n. 703.

Il reste pourtant encore dans la conception augustinienne bien des difficultés auxquelles saint Thomas apporte une solution. Cf. Th. de Régnon, Études positives sur le mystère de la Trinité, 1892-1898, t. i, p. 303 sq. Notons seulement ici les principales. La génération du Verbe se fait par manière d’intellection ; or, l’intellection appartient aux trois personnes, il semble donc que les trois devraient engendrer, et ainsi à l’infini. Il faudra distinguer, avec saint Thomas, l’intellection essentielle commune aux trois personnes, et la diction propre au Père. I », q. xxxiv, a. 1, ad 3 om. Il y a une difficulté semblable au sujet de la seconde procession, qui se fait par mode d’amour ; en effet les trois personnes aiment, il semble donc que toutes les trois devraient spirer une autre personne, et l’on irait ainsi à l’infini. Il faudra distinguer ici, avec saint Thomas l’amour essentiel commun aux trois personnes, l’amour notionnel ou la spiration active, et l’amour personnel qui est le Saint-Esprit lui-même. I », q. xxxvii, a. 1.

Ces distinctions ne sont pas explicitement chez Augustin, saint Thomas les propose et les explique à la lumière des principes qui éclairent tout le traité. En le lisant on se rend de mieux en mieux compte pourquoi la conception auguslinienne de la Trinité a prévalu sur celle des Pères grecs : 1. Elle procède méthodiquement après la constitution du traité de Deo uno, en passant

du plus connu, de l’unité de nature philosophiquement démontrée, au moins connu, au mystère surnaturel de la Trinité des personnes. — 2. Elle explique par l’analogie de la vie de l’âme, de l’intellection et de l’amour, le mode ou le caractère propre et le nombre des processions divines, que les Pères grecs déclaraient inscrutables. Elle montre ainsi qu’il doit y avoir deux processions et deux seulement, et pourquoi le Saint-Esprit procède non seulement du Père mais du Fils, comme l’amour procède de la connaissance du bien. — 3. Elle montre beaucoup mieux que les trois personnes sont un principe unique d’opération ad extra, car cette opération dérive de la toute puissance qui leur est commune. Ce qui explique aussi que nous ne puissions connaître naturellement la sainte Trinité par les créatures, puisque la virtus creativa est commune aux trois personnes. I », q. xxxii, a. 1. Ce sont là des convenances positives, qui montrent que les idées de saint Augustin complètent ce qu’avaient dit d’un autre point de vue les Pères grecs. Quant aux difficultés de la conception augustinienne, elles ne proviennent pas d’un manque de méthode, mais de l’élévation du mystère, tandis que plusieurs des difficultés de la conception grecque proviennent del’imperfection d’une méthode, qui descend du mystère surnaturel de la Trinité à l’unité de nature, au lieu de s’élever de l’évidence de celle-ci à l’obscurité des relations trinitaires.

Examinons maintenant la structure du traité de la Trinité de saint Thomas dans la Somme théologique, en insistant sur les parties fondamentales, qui contiennent virtuellement le reste : celles relatives aux processions, aux relations et aux personnes. Nous noterons, au cours de cet exposé, comment cet enseignement se précise dans les formules généralement admises par les commentateurs.

2° Les processions divines. — 1. Génération du Fils.

— D’après ce que la Révélation et surtout le Prologue de saint Jean dit du Verbe « qui est en Dieu et qui est Dieu », saint Thomas, I », q. xxvii, a. 1, montre qu’il y a en Dieu une procession intellectuelle du Verbe secundum emanationem intelligibilem Verbi intelligibilis a dicente.

Cette procession ne peut être celle de l’effet à l’égard de la cause (arianisme), ni du simple être de raison (modalisme), mais elle est intérieure et réelle. Bien plus le Verbe a la même nature que le Père. La convenance de cette procession apparaît, ad 2um, à la lumière de ce principe : « Ce qui procède intellectuellement ad intra d’un principe n’est pas d’une autre nature que ce principe, et même plus il en procède parfaitement, plus il est uni à ce principe » ; c’est ainsi que, plus notre conception est parfaite, plus elle est unie à notre intelligence. Aussi le Verbe conçu de toute éternité par le Père n’est pas d’une autre nature que lui, ils sont un par nature ; ce n’est pas un verbe accidentel comme le nôtre, mais un Verbe substantiel, car l’intellection en Dieu n’est pas un accident, elle est subsistante.

Cette haute raison de convenance est longuement développée, Cont. Gent., t. IV, c. xi, où saint Thomas énonce ce principe : « Quanto aliqua natura est altior, tanto id quod ex ca émanât est magis intimum : plus une nature est élevée, plus ce qui émane d’elle lui est intimement uni. » On le voit inductivement : la plante et l’animal engendrent un être semblable extérieur à eux, tandis que l’intelligence humaine conçoit un verbe intérieur à elle ; cependant celui-ci n’est encore qu’un accident transitoire de notre esprit comme telle pensée qui succède à une autre. En Dieu l’intellection est subsistante et, si elle s’exprime en un Verbe, comme le dit la Révélation, ce Verbe doit être non pas accidentel, mais substantiel ; il doit être non pas seu-