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THOMISME. VOLONTÉ DIVINE ET AMOUR


si Deus non uellet uni majus bonum quam alteri. I », q. xx, a. 3. Saint Thomas, Cont. Gent., t. I, c. lxxxix, explique les paroles des Proverbes, xxi, 1 : Cor régis in manu Dei et quocumque voluerit, inclinabit illud et celles de saint Paul, Philipp., ii, 13 : Deus est qui operatur in nobis et velle et perficere pro bona voluntate, et il remarque :

Quidam vero non intelligentes qualiter motum voluntatis Deus in nobis causare possit absque præjudicio libertatis voluntatis, conati sunt has auctoritates maie exponere, ut scilicet dicerent quod Deus causât in nobis velle et perficere in quantum dat nobis virtutem volendi, non autem sic quod faciat nos velle hoc vel illud, sicut Origenes exponit in tertio Periarchon… Quibus quidem auctoritatibus sacrae Scripturse resistitur evidenter. Dicitur enim apud Isaïam xxvi, 12 : « Omnia opéra nostra operatus es in nobis, Domine. » Unde non solum virtutem volendi a Deo habemus, sed etiam operationem.

Si Dieu est cause de nos facultés, à plus forte raison l’est-il de leur acte qui est meilleur encore, puisque la faculté est pour l’acte. La détermination libre est tout entière de Dieu comme de la cause première, et tout entière de nous comme de la cause seconde, comme le fruit est tout entier de l’arbre et tout entier du rameau qui le porte.

On a objecté ce que dit ailleurs saint Thomas :

Deus movet voluntatem hominis, sicut universalis motor, ad universale objectum voluntatis quod est bonum, et sine hac universali motione homo non potest aliquid velle : sed homo per rationem déterminât se ad volendum hoc vel illud, quod est vere bonum vel apparens bonum. I*-II », q. ix, a. 6, ad 3um.

Les thomistes ont toujours répondu : certainement comme cause seconde l’homme se détermine lui-même, c’est même pour cela qu’il délibère, comme tout le monde le dit. Et, au terme de la délibération, il se détermine soit au bien salutaire avec le secours de la grâce actuelle coopérante, soit au bien apparent qui est un mal, avec la motion universelle qui n’est pas plus cause du désordre, que l’énergie qui fait marcher le boiteux n’est cause de sa claudication. Mais le texte de saint Thomas qui vient d’être cité ne prouve pas du tout que la motion divine à l’acte libre salutaire n’est jamais prédéterminante, et qu’elle reste indifférente, de telle sorte que d’elle ne résulterait pas plus l’acte bon que l’acte mauvais. Bien plus, immédiatement après le texte cité, dans la même réponse ad 3um, saint Thomas dit : Sed tamen interdum specialiter Deus movet aliquos ad aliquid determinate volendum, quod est bonum, sicut in his quos movet per graliam ut infra dicetur. Ia-IIæ, q. cxi, a. 2. Cela est particulièrement vrai de la grâce opérante, ou inspiration spéciale ; et si, même dans un seul cas, la motion divine de soi efficace porte infailliblement à un acte salutaire qui reste libre, comme le fiât de Marie ou la conversion de saint Paul, il est faux de prétendre qu’une telle motion ne peut s’exercer sans détruire la liberté.

On a objecté aussi que saint Thomas a écrit :

Quia voluntas est activum principium non determinatum ad unum, sed indifterenter se habens ad multa, sic Deus ipsam movet quod non ex necessitate ad unum déterminât, sed remanet motus ejus contingens et non necessarius, nisi in his, ad quæ naturaliter movetur. I*-II", q. x, a. 4.

Ce texte s’oppose-t-il à la doctrine communément reçue chez les thomistes ? Nullement, car, dans l’expression : non ex necessitate ad unum eam déterminât, non tombe sur ex necessitate et non pas sur déterminât. On peut s’en rendre compte par le contexte, car dans toute cette même question, saint Thomas emploie toujours l’expression non ex necessitate movet, dans le sens exact de movet sed non ex necessitate ; cf. ibid., a. 2 : voluntas ab aliquo objecto ex necessitate movetur, ab alio autem non ; a. 3 : voluntas hominis non ex

necessitate movetur ab appetitu sensilivo. Bien plus dans l’article 4, d’où est tirée la difficulté proposée, il est dit ad 3 om : Si Deus movet voluntatem ad aliquid, incompossibile est huic positioni quod voluntas ad illud non moveatur. Non tamen est impossibile simpliciter. Unde non sequitur, quod voluntas a Deo ex necessitate moveatur. La motion divine peut obtenir infailliblement son effet, ou mouvoir au choix volontaire en tel sens déterminé sans pourtant nécessiter ce choix. Ainsi la motion divine a porté infailliblement la vierge Marie le jour de l’annonciation à dire librement son fiât sans la nécessiter, cette motion actualisait sa liberté au lieu de la détruire. Il peut y avoir un contact virginal de la grâce efficace et de la liberté, contact qui ne violente pas mais qui enrichit.

Un texte du De malo, q. vi, a. 1, ad 3 am, résume les précédents ; saint Thomas y examine une objection qu’on n’a jamais cessé de faire depuis lors aux thomistes :

Si voluntas hominis immobiliter (seu infallibiliter) movetur a Deo, sequitur quod homo non habeat liberam electionem suorum actuum. — Le saint docteur répond : Deus movet quidem voluntatem immutabiliter propter efficaciam virtutis moventis.quæ deficere non potest (il ne dit pas : propter divinam prævisionem consensus nostri) ; sed propter naturam voluntatis motse, quæ indifterenter se habet ad diversa, non inducitur nécessitas, sed manet libertas.

Dieu meut les causes libres selon leur nature, en actualisant en elles le mode libre de leurs actes au lieu de le détruire, tout comme il actualise le mode vital des actes de la vie végétative dans la plante, et de ceux de la vie sensitive dans l’animal. Il meut chaque être comme il convient à la nature de celui-ci. Ainsi l’artiste touche différemment la harpe, le violon et les autres instruments à corde. Si l’artiste sait actualiser leurs vibrations et par elles exprimer son inspiration, à combien plus forte raison Dieu, plus intime à notre liberté qu’elle-même, sait-il la faire vibrer de telle façon ou de telle autre, et en tirer des accords qui s’expriment ici dans une épître de saint Paul, ou dans une autre de saint Jean, ou encore dans la générosité de leur vie.

Saint Thomas dit encore : Si ex intentione Dei moventis est, quod homo, cujus cor movet, gratiam (sanctificantem ) consequatur, infallibiliter ipsam consequitur. I » -II K, q. cxii, a. 3. Pourquoi ? parce que, comme il est dit trois lignes plus haut : quia intenlio (efficax) Dei deficere non potest, secundum quod Augustinus dicit (De dono persever., c. xiv) quod per bénéficia Dei certissime liberantur, quicumque liberantur. Saint Thomas a du reste parlé plusieurs fois de la prédétermination divine non nécessitante. Par exemple : Comm. in Joann., ii, 4, sur ces paroles du Christ : nondum venil hora mea, il dit : Intelligitur hora passionis, sibi, non ex necessitate, sed secundum divinam providentiam determinata. Il faut en dire autant des actes librement accomplis par le Christ à cette heure ainsi déterminée : Sic ergo intelligenda est hora ejus, non ex necessitate fatali, sed a tota Trinitate prsefinita. Ibid., vii, 30. Voilà bien le décret divin déterminant et sans aucune allusion à ce que pourrait faire pressentir la théorie de la science moyenne, qui serait dépendante du consentement libre prévu. De même ibid., xii, 1 ; xvii, 1.

En ces textes il est manifestement question d’une prédétermination non nécessitante ; l’expression se trouve bien chez saint Thomas lui-même. Il admet une prédétermination non nécessitante des actes libres et méritoires du Christ impeccable, du consentement libre de Marie à l’incarnation qui devait infailliblement s’accomplir ; de même pour la conversion de saint Paul et celle du bon larron. Et si, dans ces cas, la prédétermination divine non nécessitante n’a pas dé-