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841 THOMISME. MÉTAPHYSIQUE : ESSENCE ET EXISTENCE

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L’essence finie et l’existence s’opposent comme le déterminable perfectible et le déterminant qui actualise, comme la limite et le limité, comme le participant et le participé. Avant la considération de notre esprit, cette proposition est vraie : l’essence finie n’est pas son existence. Or, si le verbe est dans le jugement affirme l’identité réelle du sujet et du prédicat (I », q. xiii, a. 12), la négation n’est pas nie cette identité réelle ou affirme la distinction réelle. Cette distinction réelle ne peut être perçue par les sens, ni saisie par l’imagination, mais seulement par l’intelligence qui pénètre plus profondément, intus legit, et qui voit que l’essence unie ne contient pas le prédicat non essentiel, mais tout contingent, de l’existence.

Il y a là une grande différence entre la doctrine de saint Thomas et celle qui dit : l’être est la notion la plus simple, et donc tout ce qui existe de quelque façon que ce soit est être en acte quoiqu’il soit souvent en puissance à autre chose ; ainsi la matière première est déjà en acte imparfaitement, et l’essence finie est aussi être en acte et n’est pas réellement distincte de son existence. Ainsi parle Suarez, Disp. Met., XV, sect. 9 ; XXX, XXXI.

Un suarézien, le P. Descoqs, S. J., au sujet de la première des xxiv propositions thomistes a même soutenu ce qui suit : « l.a première des xxiv thèses thomistes est ainsi libellée : Potenlia et aclus ita dioidunl ens, ut quidquid est, vel sit actus punis, vel ex potentia et actu tanquam primis atque inlrinsecis principiis necesscu-io coalescat… Or, que cette thèse reproduise lldèlement la doctrine de Cajétan et de ceux qui, dans la suite, se sont inspirés de lui, je n’y contredirai certes pas. Mais on aura beau faire, on ne montrera pas, et les principaux commentateurs des xxiv thèses ont eu beau faire, ils n’ont pas pu montrer que la dite doctrine se trouve chez le Maître. » Revue de philosophie, 1938, p. 412 ; cf. p. 410-411 ; 429.

La Congrégation des Études s’est-elle donc trompée quand, en 11)14, elle a approuvé eu ces termes cette première des xxiv thèses et celles qui en dérivent comme une juste expression de la doctrine île saint Thomas ? Est-il vrai comme on l’a prétendu, art. cit., p. 410 sq., que saint Thomas n’a jamais dit qu’en toute substance créée il y a, non seulement une composition logique, mais une composition réelle de deux principes intrinsèques réellement distincts dont l’un serait puissance subjective (son essence), par rapport à l’autre qui serait son acte (l’existence) ? — Saint Thomas dit au contraire expressément, De verilate, q. xxvii, a. 1, ad 8 am :

Omne quod est in génère substantiie est compositum rrali composilione ; eo quod id quod est in pnedicamento siihitnnt i ; c est in suo esse subsistons, et oportet quod esse suum sit aliud quam ipsuiu ; alias non possel dillerre secundum esse ab illis cuin quibus convenit in rutione su* qulddltatli ; quod requiiltur in omnibus qui sunt directe in pnedicaincnto ; et ideo omne quod est directe in pnedicamento substantlæ compositum est saltem ex esse

ET QUOI) EST.

Le début de ce texte montre qu’il s’agit de composition non pas seulement logique, mais réelle ; c’est exactement ce que veut dire la première des xxiv thèses.

De même le saint Docteur a dit dans son commentaire sur les Sentences, t. I, dist. XIX, q. ii, a. 2 :

Slcut se liabet quilibet actus ad id cujus es t actus, ita se habet qualibet duratio ad suum mine. Actus nutem illo qui BMBluratur tempore, did.-rt ab eo cujus est actus secundum rem, quia mobila non est motus, et secundum rationem successinnis, quia mobile non babel lubstantiam de numéro tucccsslvorurn led permanentium… Actus autem qui momuratur irvo, icllicel Ipsum rsse eniilcrnt, ttlfjrrt ab en ru/us rit actu* rr qaidem, si’I non vriincliiin nilioncm ls, quia utrumque est sine successions. El sic

etiam intelligenda est differentia aevi ad nunc ejus. Esse autem quod mensuratur aeternitate est idem re cum eo cujus est actus, sed diflert tantum ralione.

Dans le texte précédent, saint Thomas disait : en tout être qui est dans le prédicament substance, il y a composition réelle de puissance et d’acte ; il dit ici : dans les êtres mesurés par Vseoum (les anges), il y a distinction réelle entre l’esse et ce dont il est l’acte. C’est à la lettre ce qu’exprime la première des xxiv thèses thomistes.

Voir aussi dans les œuvres de saint Thomas le Quodlibet iii, a. 20, écrit vers 1270 : Sic ergo omnis substantia creata est composita ex potentia et actu, id est ex eo quod est et esse, ut Boetius dicit in libro de Hebd., sicut album componitur ex eo quod est album et albedine ; or il est certain que, pour saint Thomas, il y a distinction réelle entre le sujet blanc et sa blancheur, entre la substance et l’accident, que souvent elle peut perdre. Il y a là une distinction, non pas seulement logique ou postérieure à la considération de notre esprit, mais réelle.

Antérieurement à la considération de notre esprit dans un composé matériel, la matière n’est pas la forme substantielle, Aristote le dit nettement, et il parle de la matière et de la forme comme de deux causes intrinsèques distinctes. Saint Thomas ajoute à Aristote : de même en tout être créé il y a composition réelle de puissance et acte : essence et existence, sallem ex esse et quod est. S’il en était autrement l’argument de Parménide contre la multiplicité des êtres resterait insoluble. De même que la forme est multipliée par diverses portions de matière où elle est reçue, ainsi l’existence (esse) est multipliée par les diverses essences ou mieux encore par les divers, sujets (supposilum, id quod est) où elle est reçue.

Qu’on relise pour s’en convaincre le Contra Génies, t. II, c. i.in : Quod in substantiis intelleclualibus creatis est actus et potentia. Il ne s’agit nullement de la composition logique de genre et de différence spécifique incluse dans la définition (ou essence) des esprits purs, mais d’une composition réelle ; l’essence n’est réellement pas l’existence qui ne lui convient que de façon contingente.

Hn toutes ses œuvres, saint Thomas alfirme que Dieu seul est Acte pur, qu’en lui seul l’essence et l’existence sont identiques : Solus Deus est suum esse, non solum habet esse, sed est suum esse. Cette proposa ion revient constamment sous sa plume, et c’est en cela qu’il voit la raison propre et profonde de la distinction de l’être divin et de l’être créé : Ex hoc ipso quod esse Dei est per se subsistens, non receptum in aliquo, prout dicitur infinitum, nis-TiNGuiTim ab omnibus aliis et alia removentur ab eo ; sicut si effet albedo subsistens, ex hoc ipso quod non esset in alio difjerrct ab omni albedine existente in subjecto. I », q. vii, a. 1, ad 3um.

Ces textes pourraient être multipliés ; on peut se reporter au De verilate fundamentali philosophiæ christianæ du P. Norbert del Prado, O. P., Fribourgen-Suissc, 1911, p. 23 sq., où ils sont cités en abondance. Voir aussi P. Cornelio Fabro, C. P. S., Neotomismo e Suarezismo, dans Divus Thomas, Plaisance, 1941, fasc. 2, 3, 5, 6.

La première des xxiv thèses thomistes est donc bii’ii de saint Thomas. Nous ne sommes pas engagés par elle dans une fausse direction intellectuelle sur un dis points les plus importants de la philosophie et de li théologie, sur celui qui touche immédiatement à la distinction réelle et essentielle de Dieu et de la créature, île Dieu, Aile pur, souverainement simple cl

Immuable ci de la créature, toujours composée et changeante. Cf. l’.-X. Muquart, ktctiicnta philosophai’, 1938, t. m b, Ontologia, p. 54-60. Il y a là. on le voit.