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    1. THOMISME##


THOMISME. MÉTAPHYSIQYE : PUISSANCE ET ACTE

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Qu’est la puissance réelle prérequise au mouvement, à la mutation, à la transformation ? C’est une capacité réelle de recevoir une forme déterminée, celle par exemple de la statue, capacité qui n’est pas dans l’air, dans l’eau, mais dans le bois, le marbre, l’argile ; on l’appelle puissance réelle à devenir statue, ou statue en puissance.

Telle est la doctrine développée par Aristote dans tout le 1. I de sa Physique, tandis que Platon parlait seulement d’un « non-être qui est d’une certaine façon » et qu’il paraissait confondre quelquefois avec la privation, ou avec la simple possibilité, et d’autres fois avec un acte imparfait ; la conception platonicienne de la matière et celle du non-être en général restait très obscure en comparaison de la notion aristotélicienne de puissance.

Saint Thomas perfectionne cette notion de la puissance réelle passive ; il l’oppose plus distinctement à la puissance active et la distingue mieux de la simple possibilité, qui est prérequise et qui suffit pour la création ex nihilo, mais qui ne suffit pas à la mutation ou au changement. La mutation suppose en effet un sujet réel délerminable, muable, tandis que la création est une production de tout l’être créé ex nulla prsesupposila potentia reali ; et comme la puissance active doit être d’autant plus parfaite que la puissance passive est plus pauvre ou imparfaite, quand la puissance passive est réduite à zéro, la puissance active doit être infinie ; Dieu seul peut créer quelque chose de rien ; l’effet le plus universel qui est l’être de toutes choses ne peut être produit comme tel que par la cause la plus universelle qui est l’Être suprême. Cf. S. Thomas, I*, q. xlv, a. 1, 2, 5 ; III », q. lxxv, a. 8.

La notion de puissance réelle ne permet pas seulement d’expliquer contre Parménide le devenir, mais aussi la multiplicité des êtres. Elle s’explique par la multiplication de la forme ou de l’acte par la puissance où elle est reçue, comme la figure d’Apollon est multipliée en divers morceaux de bois ou de marbre où elle est reproduite. En effet lorsque ce qui était d’abord en puissance est en acte, la puissance réelle reste au dessous de l’acte ; le bois par exemple, en tant qu’il a reçu la forme de statue, limite cette forme comme une ettpæité réelle qui l’a reçue, et même il peut la perdre et rerevoir une autre forme. Tant que la forme de la statue d’Apollon reste en cette partie de bois, clic est reçue, limitée, individuée par lui et elle n’est plus participable, quoique une forme toute semblable puisse être reproduite en une autre portion de matière et cela Indéfiniment.

2. Le principe de la limitation de l’acte par la puissance. — Tout cela montre, au moins dans l’ordre des choses sensibles, la vérité de ce principe : l’acte, étant une perfectlon ( n’est pas la puissance, qui est une capacité réelle de perfection, et l’acte n’est limité et multiplié que par la puissance réellement distincte de lui. en laquelle il est reçu.

Saint Thomas dit clairement, Dr spiritualibus creaturis, a. H : Quæcumquc forma, quantumeumque, materialis ri inflma, si ponatur abstracta vel secundum esse,

W tecundum intellectum, non rcmancl nisi una in

specir una. Si enim intelligatur albedo absque omni subjecto subsistais, non rrit possibile poncre plurcs ulhedinrs… : ri si militer si essrl humanitiis abstracta in maleria), non rssrl nisi una. Voir aussi I », q. L, l : a i/u ; r conveniunt sprrir et differunt numéro, mtœeniunt in forma, ted dUtinguuntur matérialité. Si rrqo angell non surit composlti ex maleria et forma, ul ilirlmn al. scqiiitur quod impossibile sit esse duos angelos r.jusdrm sprrici.

D’OÙ la 2* dei KXIV thèses thomistes approuvées par la S. Congrégation îles Etudes en 1014 : Aclus, utpote perfectio, non limitatur nisi per potentium quæ

est capacilas perfectionis. Proinde in quo ordine actus est purus, in eodem nonnisi illimitatus et unicus existit ; ubi vero est flnitus ac multiplex, in veram incidit cum potentia compositionem. On sait que Suarez s’éloigne de cet enseignement, Disp. Met., XXX, sect. 2, n. 18 ; XXXI, sect. 13, n. 14 sq. ; De angelis, t. I, c. xii et xv.

De ce principe admis par saint Thomas et par toute son école dérivent de très nombreuses conséquences soit dans l’ordre de l’être, soit dans celui de l’opération ou de l’action, dont le mode est proportionné au mode d’être de l’agent.

3. Applications principales du principe : « l’acte est limité par la puissance. » — Nous indiquons ces applications d’abord dans l’ordre de l’être et en suivant une voie ascendante.

a) La matière n’est pas la forme, elle en est réellement distincte. — Le principe « l’acte est limité par la puissance » est mieux connu par la considération attentive de la mutation substantielle, par exemple de la corruption d’un lion dont il ne reste que des cendres, ou par l’assimilation nutritive d’un aliment non vivant qui devient chair humaine. Ces mutations substantielles exigent un sujet déterminable, mais nullement déterminé, car s’il avait déjà une détermination ce serait déjà une substance comme l’air ou l’eau, et les mutations susdites ne seraient plus substantielles, mais accidentelles.

Le sujet de ces mutations est donc purement potentiel, il est une pure puissance. La matière première n’est pas du combustible, du ciselable, du respirable, c’est pourtant du réel déterminable et toujours transformable. Cette pure puissance ou simple capacité réelle d’une forme substantielle n’est pas le néant (ex nihilo nihil fit) ; ce n’est pas la simple privation de la forme qui va venir ; ce n’est pas quelque chose de substantiel déjà déterminé, non est quid, nec quale nec quantum, nec aliquid hujusmodi, Melaph., 1. VII (VI), comment, de saint Thomas, lect. 2, 6. Ce n’est pas non plus le commencement, l’inchoatio de la forme qui va venir ou un acte imparfait, de même que le bois qui peut être sculpté n’est pas encore, comme tel, le commencement de la forme de la statue. L’acte imparfait est le mouvement lui-même et non pas la puissance prérequise par le mouvement.

Cette capacité de recevoir une forme substantielle est donc une certaine réalité, une puissance réelle, qui n’est pas une actualité ; elle n’est pas la forme substantielle, car elle s’oppose à elle comme le déterminable au déterminant, comme le participant au participé ; et si antérieurement à la considération de notre esprit, la matière, pure puissance, n’est pas la forme substantielle, elle en est réellement distincte. Bien plus elle en est séparablc, car elle peut perdre la forme reçue, pour en recevoir une autre, mais clic, ne peut pas exister sans aucune forme, corruptio unius est generatio allerius.

Ainsi de la distinction entre puissance et acte dérive la distinction réelle entre la matière première et la forme, exigées pour expliquer la mutation suhstau tiellc. Il suit de là que la matière première n’a pas d’existence propre, comme elle n’a pas d’actualité propre., elle n’existe que par l’existence du composé ; cf. S. Thomas, I », q. xv, a. 3, ad 3um : materia secundum se ncque esse habet, neque mgnoscibilis est. On sait <[uc Suarez s’est éloigné de cette doctrine, cf. Disp. Met., XIII, sect. 5 ; iftirf., XXXIII. Met. 1 ; ibid., XV, MCt. 6, n..’!, et sect. 9.

De la même manière, saint Thomas, après Aristote. explique la multiplication de la forme substantielle, parce que la matière reste sous la forme reçue, qu’elle limite et qu’elle peut perdre, exemple : la foi me tique du lion, qui est indéfiniment participable, est dans la matière, par laquelle elle est limitée pour c nus