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THOMISME. MÉTAPHYSIQUE : PUISSANCE ET ACTE


mortel ? Parce qu’il est un composé matériel et corruptible. La raison d’être, répondant à la question propler quid, est ainsi multiple ; elle se prend en des sens divers, mais proportionnellement semblables, ou analogiques. Ceci est capital ; c’est ainsi que la notion de cause efficiente suppose la notion très universelle de cause qui s’applique aussi à la fin, à l’agent, et à la cause formelle. Cf. aussi In Metaph., t. V, c. ii, lect. 2. De ce point de vue, le principe de raison d’être a été formulé bien avant Leibniz.

Le principe de substance se formule : « tout ce qui existe comme sujet de l’existence (id quod est) est substance, et se distingue de ses accidents ou de ses modes (id quo aliquid est, v. g. album, calidum). » On dit ainsi communément que l’or et l’argent sont des substances. Ce principe est un dérivé du principe d’identité, car tout ce qui existe comme sujet de l’existence est un et le même sous ses phénomènes multiples, soit permanents, soit successifs. La notion de substance apparaît ainsi comme une simple détermination de la première notion d’être (l’être est maintenant conçu explicitement comme substantiel), et le principe de substance est une simple détermination du principe d’identité. Dès lors les accidents ont leur raison d’être dans la substance. Cf. S. Thomas, In Metaph., t. V, lect. 10 et 11.

Le principe de causalité efficiente se formule aussi en fonction de l’être, non pas « tout phénomène suppose un phénomène antécédent », mais « tout ce qui arrive à l’existence a une cause efficiente » ou encore « tout être contingent, même s’il existait ab œlerno, a besoin d’une cause efficiente, et en dernière analyse d’une Cause incausée ». Bref l’être par participation (dans lequel se distingue le sujet participant et l’existence participée) dépend de l’Être par essence, cf. S. Thomas, I », q. ii, a. 2.

Le principe de finalité est exprimé par Aristole et saint Thomas en ces termes : « tout agent agit pour une fin » c’est-à-dire tend vers un bien qui lui convient ; mais cola de façons très différentes : ou bien cette tendance est simplement naturelle et inconsciente (comme la pierre tend vers le centre de la terre et tous les corps vers le centre de l’univers pour la cohésion de celui-ci) ; ou bien cette tendance s’accompagne de connaissance sensible (comme chez l’animal qui recherche sa nourriture) ; ou bien cette tendance est dirigée par l’intelligence, qui seule connaît la fin comme fin, sub rationc finis, c’est-à-dire la raison d’être des moyens. Cf. S. Thomas, In Ptujsicain, t. ii, c. iii, lect. 5, 12-14 ; 1*, q. xliv, a. 4 ; I » -IIe, q. i, a. 2 ; Cont. Genl., t. III, c. n.

Du principe de finalité dépend le premier principe de la raison pratique ci de la morale : « Il faut faire le bien et éviter le mal » ; il est fondé sur la notion de bien, comme le principe de contradiction ou d’identité sur la notion d’être. En d’autres termes : l’être raisonnable doit vouloir le bien raisonnable, auquel ses facultés sont ordonnées par l’auteur de sa nature. Cf. S. Thomas, I’-II », q. xciv, a. 2.

Ces principes sont ceux de l’intelligence naturelle, qui se manifeste d’abord sous la forme spontanée,

qu’on appelle souvent le sens commun, ou L’aptitude fie (’intelligence a juger tain< tnent des choses, avant toute culture philosophique. 1-e sens commun ou la raison naturelle saisit ces principes évidents de, soi dans l’être intelligible, premier objet connu par notre

intelligence dans le sensible ; mais il ne. saUTBil encore les formuler d’une manière exacte et universelle.

Nous avons exposé plus longuement.., fondemi ni s du réalisme thomiste dans deux ouvrage* : Ptêtu

commun. In philosophie de l’être et les formula

  • <im<itiqurs, 1909, I" éd., 1936, et lUni. sali rrisleme il —, i nature, 1915, tV éd. 1986, p. 108 2 : >j ;. Voir aussi J. Ma DICT. DE TIIÉOL. CATHOL. ritain, Éléments de philosophie, t. i, 6e éd., 1921, p. 8794 ; Sept leçons sur l’être, s. d. Comme le remarque Et. Gilson, Réalisme thomiste et critique de la connaissance, 1939, p. 213-239, le réalisme thomiste ne se fonde pas sur un postulat, mais sur l’appréhension intellectuelle de l’être intelligible des choses senties, sur l’évidence de cette proposition fondamentale : Illud quod primo intellcctus concipil quasi nulissimum et in quo omnes conceptiones resolvii est ens, S. Thomas, De veritale, q. i, a. 1. Ce réalisme se fonde aussi sur l’évidence intellectuelle des premiers principes comme lois de l’être, en particulier sur l’évidence du principe de contradiction ou d’identité : « ce qui est, est ; ce qui n’est pas, n’est pas. » Si l’intelligence humaine met en doute la valeur réelle de ce principe, le cogilo ergo sum de Descarles s’évanouit, comme l’ont dit les thomistes depuis le xvii 9 siècle ; car, si le principe de contradiction n’est pas certain, il se pourrait que j’existe et que je n’existe pas, que ma pensée personnelle ne se distingue pas véritablement d’une pensée impersonnelle, et que celle-ci ne se distingue pas non plus du subconscient ou même de l’inconscient. La proposition universelle : aliquid non potest simul esse et non esse est antérieure à cette proposition particulière : ego sum, et non possum simul esse et non esse ; cf. I a, q. lxxxv, a. 3 : cognitio magis communis est prior quam cognitio minus commuais. Jusqu’ici cette synthèse métaphysique ne semble pas dépasser notablement l’intelligence naturelle, ; en réalité pourtant elle la dépasse déjà beaucoup, en la justifiant. Elle la dépasse davantage lorsqu’elle se précise dans la doctrine de l’acte et de la puissance. Il importe de rappeler ici brièvement comment elle y est parvenue. 2° La doctrine de l’acte et de la puissance et ses conséquences. — La doctrine-de l’acte et de la puissance est, comme l’âme de toute la philosophie aristotélicienne, approfondie et développée par saint Thomas (cf. art. Acte et puissance, t. i, col. 334 ; Aristotélisme), ibid., col. 1870. Selon cette philosophie, tout être matériel ou corporel et même tout être fini est composé de puissance et d’acte, au moins d’essence et d’existence, d’une essence qui peut exister, qui limite l’existence, et d’une existence qui actualise cette essence ; Dieu seul est Acte pur, car son essence est identique à son existence, lui seul est l’Être même éternellement subsistant. Les grands commentateurs de saint Thomas ont souvent noté que cette synthèse est fort différente suivant que la puissance est conçue soit comme un principe réel distinct de l’acte si imparfait qu’on le suppose, soit comme un acte imparfait. La première position est celle des thomistes, la seconde est celle de quelques seolastiques, en particulier, de Saurez, et appui ait ensuite davantage chez I.eibnitz, pour qui la puissance est la force ou un acte virtuel, dont l’activité est cmpéchée, celle d’un ressort par exemple. Si cette division de l’être réel en puissance et acte est une division primordiale qui se retrouve partout dans l’ordre créé, on conçoit que la divergence que nous venons d’indiquer et que nous allons expliquer soit fondamentale et se retrouve elle-même partout. Plusieurs auteurs de manuels de philosophie font abstraction de cette divergence et se contentent de donnci des définitions quasi nominales de l’acte et de la puissance ; ils indiquent leurs relations et les axiomes communément reçus, mais ils ne déterminent pas assez pourquoi, selon Aristote. ri est mrrssaire d’admettre la réalité de la puissance entre le néant absolu et l’être déterminé ; Us ne montrent pas <i comment et en muai la puissance réelle se dis tingue de la privation, de la simple possibilité, mi au contraire de l’acte imparfait si pauvri "ii il. T. — XV. 27.