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THOMAS D’AQUIN : DOCUMENTATION PATRISTIQUE

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La différence entre les argumenta propria et les extranea est très nette. Au contraire les formules qui énoncent la différence qui existe entre les deux catégories des argumenta propria ne sont pas aussi claires. Utilisant la terminologie même de saint Thomas on pourrait proposer le schéma suivant :

Argumenta propria ex necessitate = auctoritates Scripturae (lumen r[evel]ationis divinte) ;

— probabiliter = auctoritates doctorum ;

Argumenta probabilia quasi ex propriis = auctoritates doctorum ;

— — extranea = auctoritates philoso phorum (lumen rationis huma nae).

En théologie les textes patristiques participent donc à la fois aux propriétés et aux privilèges des textes canoniques ; ce sont des argumenta propria ; ils souffrent cependant des déficiences propres aux textes des philosophes : ce sont des argumenta probabilia. Évidemment il faut entendre ces mots dans leur sens strictement technique et médiéval. Le sens de la formule lapidaire : ex propriis sed probabiliter, que saint Thomas nous a laissée, mérite d’être étudié de plus près, car dans ses diverses œuvres se rencontrent des dizaines de textes, où l’on rencontre les expressions ex propriis et probabiliter, dans le sens : probabiliter, per hoc quod a sapientibus vel pluribus ita dicitur, I a, q.xii, a. 7 ; per auctoritatem, vel quia ita communiter dicitur, De verit., q. viii, a. 2 ; Cont. Gent., t. III, c. lv. Avec Cicéron et Boèce, le Docteur angélique maintient que l’argument fondé sur l’autorité de la révélation divine est un locus efficacissimus. L’autorité due aux textes des Pères qui se trouvent pour ainsi dire à mi-chemin entre les textes canoniques et ceux des philosophes, s’oriente toutefois et sans aucun doute, vers les premiers ; cela se déduit de la lettre même de saint Thomas, et la pratique constante de son œuvre littéraire en établit le fait d’une façon péremptoire.

Une preuve éclatante pour démontrer que les textes des Pères sont une véritable source de la théologie, nous est donnée dans Sum. theol., II a -II ffi, q. i, a. 9 et 10, où saint Thomas nous expose comment et pourquoi la doctrina du pseudo-Athanase (l’auteur du Quicumque ) doit être considérée comme un symbolum, une régula fidei. Voir plus loin la valeur de l’argument patristique. Évidemment, il est à peine besoin de le noter, les textes patristiques n’avaient pas tous la même valeur du point de vue de leur autorité, et il y a moyen et nécessité même de les classer dans diverses catégories. Voir M.-D. Chenu, Authentica et Magistralia, deux lieux théologiques aux xiie -xiiie siècles, dans Divus Thomas, Plaisance, 1925, p. 257-285.

II. LA DOCUMENTATION PATRISTIQUE.

A CÔté

de l’Écriture canonique, saint Thomas a utilisé une immense quantité de textes patristiques, au cours de tous ses ouvrages théologiques. Seul le Compendium theologiæ pourrait faire ici exception à la règle générale. Les bibliothèques conventuelles médiévales se faisaient une gloire de posséder des recueils de textes. Il y a plus de trente ans déjà, Mgr Grabmann avait promis de consacrer le t. m de la Geschichte der scholastischen Méthode à l’étude des sources patristiques de saint Thomas et de saint Bonaventure ; à défaut d’une étude d’ensemble, nous devons nous contenter de quelques rares monographies ou articles consacrés au sujet. On en trouvera l’énumération à la fin de l’article. En dehors de ces publications nous nous sommes servi de quelques études non publiées jusqu’ici sur les sources patristiques latines de la christologie, sur les sources grecques et latines de la doctrine trinitaire, sur les sources grecques et latines de la doctrine sacramentaire, et d’autres encore. On trouvera éga lement des indications précieuses dans les ouvrages consacrés aux sources doctrinales des contemporains de saint Thomas. Voir la bibliographie. L’étude de ceux-ci est d’une grande utilité pour l’étude de saint Thomas lui-même. Quand les Indices patristiese sui les deux Sommes de saint Thomas auront paru, le travail de recherche, d’identification et de comparaison des textes sera singulièrement facilité. Enfin, il va sans dire qu’il faut entendre l’expression « Pères » ou « texte patristique », dans un sens très large en y incluant les textes des conciles, divers auteurs préscolastiques, des quidam, des anonymes, des Glossæ et avant tout les pratiques et la liturgie des Églises. Il faut y ajouter les communiter dicta, les adagia et tout ce qui pouvait servir à un auteur du milieu du xme siècle pour construire son édifice théologique.

Comme premier résultat, simple affaire de statistique, on doit dire que les écrivains anténicéens n’ont guère été utilisés par saint Thomas, pas même Tertullien ou Irénée, qu’on connaissait cependant encore à l’époque carolingienne. La seule exception qui vaille d’être signalée est Origène ; encore faut-il voir comment Thomas a connu les quelques textes qu’il cite et qui parfois ne sont pas de lui. Cyprien, dont l’Occident connaissait une cinquantaine de manuscrits antérieurs au xiiie siècle, n’est guère utilisé non plus ; et c’est à peine si le nom de l’évêque de Carthage est cité dans le traité du baptême. Mais ces rares exceptions mises à part, les Pères anténicéens ne représentent pas un groupe important dans la documentation patristique de l’Aquinate. Le P. de Ghellinck avait noté le même fait pour Pierre Lombard ; voir ici t.xii, col. 1989. De Pierre Lombard à saint Thomas, le progrès dans l’utilisation des anténicéens n’a donc pas été si grand qu’on eût pu l’attendre. Toutefois pour Origène et Cyprien nous rencontrons chez saint Bonaventure et saint Thomas l’une ou l’autre citation qui leur sont propres et qui semblent témoigner d’un effort personnel pour enrichir leur documentation. Les recherches ultérieures et comparatives en révéleront sans doute l’originalité.

Les conciles et les pratiques liturgiques.

Dans

l’ensemble des œuvres théologiques de saint Thomas, nous trouvons mention d’un assez grand nombre de conciles, spécialement dans les questions De veritate, De potentia, dans quelques chapitres du Contra Génies et dans la Somme théologique. Notons, pour le traité du baptême : le premier concile de Nicée (325), le IVe de Carthage (398), celui d’Agde (506), le IVe de Tolède (633), celui de Mayence (848) ; pour la doctrine trinitaire : les conciles d’Éphèse (431), de Chalcédoine (451), de Beims (1148), le IVe concile du Latran (1215) ; pour la christologie : les conciles d’Éphèse, de Chalcédoine, les IIe et IIIe conciles de Constantinople. Bon nombre de ces textes se trouvent déjà dans les collections canoniques d’Yves de Chartres, de Gratien, et d’autres. L. Baur a noté, art. cit., p. 703-704, que saint Thomas mettait sur le même pied Vauctoritas de-Écritures canoniques et celle des conciles œcuméniques et que, de ce fait, il s’est abstenu de toute critique à leur égard ; ce qu’il n’a pas fait, bien au contraire, à l’égard des Pères, comme on verra plus loin. Ce qui frappe parfois, ce n’est pas tant le nombre, relativement grand, de textes d’un concile déterminé, que la fidélité avec laquelle certains textes, que nous ne lisons pas chez d’autres auteurs du début du xiii c siècle, reviennent régulièrement chez saint Thomas, ce qui laisse supposer à bon droit, que l’auteur a eu en main les actes même du concile en question. Ainsi en est-il par exemple du concile d’Éphèse pour la doctrine trinitaire. Cf. I », q. xlii, a. 2, ad l um ; cf. Catena aurea in Ev. Joan., c. i ; De potent., q. x, a. 4, ad 24um. Textes cités dans Schwartz, A. C. O., i, iii, p. 164,