Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/362

Cette page n’a pas encore été corrigée
709
710
THOMAS D’AQUIN : CRITIQUE TEXTUELLE


rent l’abondante littérature de correctoires du xiir 3 siècle. De fait, l’un d’eux s’autorise explicitement de la sentence de saint Jérôme pour justifier son travail critique. Gilbert de la Porrée, Pierre Lombard, Etienne Langton, etc., reproduisirent fidèlement les notes de critique textuelle de la Glose et entreprirent même parfois une critique personnelle du texte.

Au contraire saint Thomas se contente de reproduire les observations traditionnelles et de la façon la plus sommaire. Que l’on compare, par exemple, sa simple observation sur Rom., v, 14 : In eos qui [non] peccaverunt. .. Dicit enim Ambrosius in libris antiquis non inveniri hanc negationem : non ; unde crédit a corruptoribus appositam, Ad Rom., p. 76, au commentaire de ce verset par Gilbert de la Porrée qui précise que presque tous les manuscrits grecs ont la négation alors que la plupart des latins l’omettent ; cf. A. Landgraf, dans Biblica, 1929, p. 456. D’ailleurs, cette remarque n’est pas d’Ambroise, mais de l’Ambrosiaster, et elle était répétée par Raban Maur, Aimon d’Auxerre, Pierre Lombard, etc. Le plus souvent saint Thomas mentionne les variantes sans les apprécier, secundum aliam litteram. Ad Rom., c. v, lect. 5, ꝟ. 15, p. 77 ; ut habetur in græco, In Joa., c. viii, lect. 8, ꝟ. 52, 54, p. 259 ; attende quod in græcis codicibus habetur, ibid., c. xx, lect. 1, ꝟ. 2, p. 488. Commentant le fldelis sermo de I Tim., i, 15, il signale à la fin la variante de la Vctus Itala et de l’Ambrosiaster, sans la juger : Alia littera habet : * Humanus sermo », p. 189 ; cf. ibid., c. iv, lect. 3, p. 217. C’est que parfois ces leçons n’ont pas d’importance pour le sens : « Posui te » : littera alia habet « constitué te », quod sensum non variât, Ad Rom., c. iv, lect. 3, t. 17, p. 64 ; sciendum est quod in græco non habetur t sic », sed « si eum volo manere »…, sed non multum referl. In Joa., c. xx, lect. 5, ꝟ. 23. p. 515.

Mais, lorsqu’il choisit, le jugement ou plutôt l’instinct de saint Thomas est remarquablement sûr, au moins par comparaison avec les exégètes de l’époque, notamment Etienne Langton dont les préférences en faveur du texte de la liturgie aboutissent à des résultats faux. C’est ainsi que la discussion sur Béthanie de Joa., i, 28 est excellente : L’évangéliste la situe au delà du Jourdain, mais ce village se trouve sur le mont des Oliviers d’après Joa., xi et Matth., xvi. Aussi bien Origène et Chrysostome corrigent : Rethabora, attribuant l’erreur aux scribes. Mais cette solution facile ne peut prévaloir contre l’unanimité de la tradition manuscrite : Sed quia tam libri græci quam latini habent Rethania, ideo dicendum est aliter quod est duplex Rethania, una quæ est prope Jérusalem in latere montis Olioeti, alia trans Jordanem, ubi erat Joannes baptizans. P. 58.

Saint Thomas n’ose donc se prononcer contre l’unanimité diplomatique. Après un long commentaire de preedestinatus, traduisant mal dans la Vulgate ôpio-0évtoç, Rom., i, 4, il cite la leçon d’Origène : Dicit quod littera non débet esse : « qui preedestinatus est », sed : « qui destinatus est filius Dei in uirtute », ut nulla antecessio designetur. Et secundum hoc planus est sensns… sed quia communiter omnes libri latini habent : « qui preedestinatus », aliter alii hoc exponere voluerunt secundum consuetudinem Scripturæ, p. 10 ; ainsi la lexicographie biblique mieux connue prévaut contre les restitutions faciles et le goût du texte clair.

Saint Thomas vérifie soigneusement les citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau, et il semble bien avoir remarqué que Paul citait l’Ancien Testament d’après les Septante. Il observe que Is., vi, 10, dans Joa., xii, 40, ne correspond pal mot a mot à l’original, mnis l’idée est la même, p. 343 ; de même Ex., ix, 16 dans Rom., ix, 17, p. 136. Sur Rom., 1, 17, il précise : .lutins anlem mkiis ex flde vivit, quod quidrm accipitur secundum litteram I.XX. Nam in littera nostra, quæ est

secundum hebraicam veritatem, dicitur : « Justus ex fide sua vivit. » P. 19 ; cf. Rom., ix, 25, 27, p. 141, 144. Rien de plus juste, en effet ; les Septante avaient supprimé |zou après 7uaTewç, et Jérôme a traduit : in flde sua vivet. Le temps des verbes hébreux de Ex., xxxiii, 19 est modifié dans la citation de la Vulgate, Rom., ix, 15 : 176/ dixit Dominus Moysi, secundum litteram nostram : « Miserebor cui voluero et clemens ero in quem mihi placuero », sed Apostolus inducit eam secundum litteram LXX. P. 134.

Avec la plupart des latins, saint Thomas lit : Sine ipso factum est nihil, quod factum est, Joa., 1, 3, 4, ce qui est aussi la leçon d’Origène dans l’homélie Vox spirilualis ; mais, dans son commentaire, Augustin ponctue : Quod factum est, in ipso vita erat, et Hilaire, comme Origène dans son commentaire de saint Jean, ont : Quod factum est in ipso, Vita erat. À la fin de ce bel apparat critique, saint Thomas semble bien préférer la leçon de saint Jean Chrysostome : Quia apud grœcos, Chrysostomus est tanlie auctoritatis in suis expositionibus, quod ubi ipse aliquid exposuit in sacra Scriptura, nullam aliam expositionem admittant ; ideo in omnibus libris græcis invenitur sic punctatum, sicut punclat Chrysostomus, scilicet hoc modo : « Sine ipso factum est nihil quod factum est. » P. 25. Voici donc déterminée l’origine d’une tradition manuscrite.

Effectivement le Docteur angélique est spécialement soucieux de préciser la coupure exacte des versets ou des sections. Soit le cas célèbre : Qui crédit in me, sicut dixit Scriptura, flumina de ventre ejus fluent aquæ vivæ, Joa., vii, 38, la citation de l’Écriture porte sur ce qui précède, d’après Chrysostome ; de fait la formule suivante n’a pas de parallèle biblique. Au contraire, Jérôme propose la coupure inverse, et cite Prov., v, 15. In Joa., p. 225. Saint Thomas a bien vu l’unité de la péricope de Joa., x, 19-31, p. 289, et la nouveauté du sujet de Joa., x, sq. par rapport aux chapitres précédents. P. 277.

Si saint Thomas est ainsi attentif à la lecture correcte du texte, c’est toujours parce qu’elle est de conséquence pour l’exégèse de la pensée ; aussi relève-t-il sur Joa., xvi, 23 : 176/, secundum quod Augustinus dicit, ubi nos habemus « rogabitis », græci habent quoddam verbum quod duo signifleat, scilicet petere et inlerrogare. P. 432. Alors que la version latine fait venir Jésus, le matin, vers Caïphe, au prétoire, le grec dit qu’il fut conduit de chez Caïphe au prétoire, ce qui aplanit toutes les difficultés soulevées par la première leçon qui contredit les données des Synoptiques. In Joa., c. xviii, lect. 5, ꝟ. 28, p. 466.

En définitive, saint Thomas recherche rarement l’origine des variantes, il ne les connaît que par les correctoires ou les témoignages patristiques, jamais d’après les manuscrits. Ses principes de critique textuelle semblent être ceux-ci : 1. Une leçon qui est en contradiction avec d’autres textes certains de l’Ecriture doit être fausse ; 2. L’unanimité des témoignages manuscrits l’emporte sur la clarté du sens ; 3. L’usage de l’Écriture prévaut sur une correction facilitante ; 4. L’intérêt d’une restitution est fonction de ses conséquences théologiques ; 5. Dans le choix des variantes, on tiendra compte du nombre des témoins et, en premier lieu, de l’autorité de la version latine, puis des anciens qui reproduisent telle leçon. En ce domaine, s ; dnt Jérôme pour les latins, saint Jean Chrysostome pour les grecs ont plus de poids que d’autres, alors qu’Origène est souvent suspect, car sa doctrine n’est pas sûre ; 6. Les corruptions viennent des scribes et sont spécialement fréquentes dans les chiffres et les noms propres : In Scriptura sacra, secundum veritatem nihil est contrarium Sril si aliquid appurrt contrarium, vrl rst quia non intclligitur, vel quia corrupta sunt vitio scriptorum, quod palet spécialités in numrris et genralo-