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THOMAS D’AQUIN : PHILOLOGIE BIBLIQUE


traditionnelles et des éléments de solution. Quand on admire la façon dont notre auteur, sur chaque verset important cite une liste d’autorités discordantes ou de textes anciens et « typiques », c’est à la Glose qu’il doit cette érudition et cette « position de la question ». Il ne lui reste plus qu’à « déterminer » et à apporter son jugement personnel.

Très certainement saint Thomas dispose encore de la Major glossatura de Pierre Lombard sur le Psautier et les épîtres de saint Paul, et de quelques glossaires ; sinon le fameux Ansileube du viiie siècle, déjà vieilli (cf. Glossaria latina jussu Academiæ Britannicæ édita, Paris, Les Belles Lettres, 1926 ; G. Goetz, Glossæ latinogrœcæ et græco-latinæ, Leipzig, 1888), du moins le Rudimentum de Papias (xie s.), les Derivationes majores d’Huguccio (xiie s.) et le Liber inlerpretationis hebraïcorum nominum de Jérôme (P. L., t. xxiii, col. 671), mais qui lui aussi était connaissable par la Glose. Peut-être a-t-il consulté pour ses commentaires d’Isaïe, de Job et des Psaumes, le glossaire hébreufrançais écrit en 1240 par Joseph ben Simon, très dépendant des gloses de Raschi, qui « ordinairement… donne le mot biblique suivi du mot français qui lui correspond écrit en caractères hébreux… Quelquefois il explique le mot hébreu à l’aide d’une remarque grammaticale, d’un synonyme hébreu, d’une citation du Targum ou d’un autre verset. La glose précède ou suit l’explication ; ces notes exégétiques… sont assez rares dans le Pentateuque, mais elles deviennent très nombreuses dans les Hagiographes et les prophètes ». M. Lambert-L. Brandin, Glossaires hébreux-français du xiue siècle, Paris, 1905, p. ni. Il faut ajouter quelqu’une des nombreuses concordances que l’on éditait alors, soit une concordance réelle ou par parenté d’idées, reproduisant, sous un mot qui sert de titre, tous les passages scripturaircs qui ont trait au sujet déterminé par ce titre, soit une concordance verbale, sorte de dictionnaire de toutes les expressions bibliques permettant de préciser la signification d’un mot par la comparaison avec tous les autres emplois de ce mot dans l’Écriture. Dans le premier genre on peut émettre l’hypothèse que saint Thomas possédait le Benjamin minor de Richard de Saint-Victor ou les Concordantiæ morales S. S. Bibliæ faussement attribuées à saint Antoine de Padoue, voire celles de Robert Grosselête qui s’étendaient même aux textes patristiques ; cf. S. -H. Thomson, Grosseteste topical Concordance of the Bible and the Falhers, dans Spéculum, 1934, p. 139-144 ; mais il est plus probable qu’il eut sous la main la première concordance verbale de la Bible composée par Hugues de Saint-Cher, durant son provincialat, de 1238 à 1240, avec le concours de nombreux religieux, les Concordantise Sancti Jacobi, qu’Albert le Grand avait déjà utilisées pendant son premier professorat à Paris (1245-1248). Les mots y sont rangés par ordre alphabétique. Au dessous de chacun est donné la liste de tous les endroits où ce mot est employé avec indication du livre et du chapitre, selon la numérotation d’Etienne Langton. Il est encore plus sûr qu’il se servit des Concordantiæ majores qui ajoutèrent à chaque indication de livre, de chapitre et de subdivision, le libellé de la phrase entière où chaque mot est employé, et qui sont le type définitif de nos concordances modernes. Ces grandes concordances furent achevées vers 1250 par trois dominicains anglais de Saint-Jacques : Jean de Berlington, Richard de Stavenestey, Hugues de Croydon, d’où encore leur nom de Concordantiæ anglicanæ.

Dans la bibliothèque de saint Thomas exégète, on doit encore placer l’une ou l’autre des nombreuses Distinctiones ou Jléperloires alphabétiques, expliquant les termes équivoques de la Bible ; cf. P. Lehmann, Mittellatcinische Verse in Distinctiones monasticæ et

morales vom Anfang des 7.3. Jahrhunderls, dans Silzungsberichte der bayer. Académie der Wissensch., philos. -philolog. und hist. Klasse, 1922 ; A. Wilmart, Un répertoire d’exégèse composé en Angleterre vers le début du xiiie siècle, dans Mémorial Lagrange, Paris, 1940, p. 307-346. La première en date fut la « distinction » de Pierre le Chantre, la Summa Abel, répertoire long et sec dont la nomenclature habituellement alphabétique comprend plus de 600 articles ; puis celle d’Alain de Lille, P. L., t. ccx, col. 685-1012 ; V Angélus attribué faussement à Raban Maur, P. L., t. cxii, col. 849-1088, et qui serait peut-être de Garnier de Rochefort (t après 1216, cf. A. Wilmart, dans Revue bénéd., 1920, p. 47-56) ; le plus volumineux de ces ouvrages est Y Alphabetum de Pierre de Capoue, docteur à Paris jusqu’en 1218. Mais le meilleur et l’un des plus répandus est la Summa dictionum du franciscain Guillaume le Breton, composé au milieu du siècle, et qui sera taxé par l’université de Paris en 1304, sous le titre à’Exposilio Bibliæ. Ce n’est pins précisément un recueil de distinctions, mais plutôt, selon le titre lui-même : Vocabularium ou De vocabulis Bibliæ, un dictionnaire des termes de l’Écriture. A. Wilmart, dans Mémorial Lagrange, p. 335-336. Il faut en effet compter parmi les ressources lexicographiques de saint Thomas quelque dictionnaire d’étymologies hébraïques, grecques et latines, soigneusement compulsé, notre docteur ne manquant jamais de recourir à la philologie pour préciser la pensée et la doctrine des auteurs inspirés.

IV. SAINT THOMAS ET LA PHILOLOGIE BIBLIQUE. —

Saint Thomas n’a su aucune des langues originales des écrivains sacrés, donc ni l’hébreu ni le grec ; ignorance à peine excusable, car s’il n’a pu prendre utilement connaissance de la grammaire grecque composée par Roger Bacon, et si celle que donnait Robert Grossetête dans son commentaire du pseudo-Denys lui était inaccessible, il aurait pu aisément s’instruire de cette langue à Paris et à Naples où il y avait de bons hellénistes, notamment près de Guillaume de Moerbecke, O. P., le futur archevêque de Corinthe, avec qui il fut en relations personnelles. « Avouons que si saint Thomas n’a pas su le grec, c’est qu’il n’a pas voulu le savoir. » A. Gardeil, Les procédés exégétiques de saint Thomas, dans Revue thomiste, 1903, p. 428-457. Le même reproche peut être adressé, et plus vivement encore, au Docteur angélique pour son ignorance de l’hébreu, car, à l’inverse du grec, dont la connaissance était toute nouvelle au xiiie siècle, celle de l’hébreu était assez répandue parmi les théologiens depuis un siècle, comme l’Ysagoge in theologiam, composée vers 1150, en fournit un excellent exemple. Cf. A. Landgraf, Écrits théologiques de l’école d Abélard, Louvain, 1934 ; J. Fischer, Die hebraischen Bibelzitate des scholastikers Odo, dans Biblica, 1934, p. 50-93 ; S. Berger, Quam notitiam linguæ hebraicæ habueruni christiani medii œvi temporibus in Gallia, Nancꝟ. 1893 ; H. Steinschneider, Christliche Hebraislen des Miltelalters bis 1500, dans Zeitschr. fur hebraische Bibliographie, 1896, p. 51 sq., 1901, p. 86 sq. ; B. Altaner, Zur Kenntnis des hebraischen im M. A., dans Biblische Zeitschrifl, 1933, p. 288-308. En 1240, le rabbin de Paris, Jechiel, remarque encore que beaucoup de prêtres chrétiens sont forts en langue hébraïque ; cf. S. Dubnow, Weltgeschichle des jùdischen Volkes, trad. A. Steinberg, Berlin, 1926, t. v, p. 43, et, quelques années plus tard, Roger Bacon publiait ses éléments de grammaire hébraïque pour débutants ; cf. Ed. Nolan, S. -A. Hirsch. The greek Grammar of Roger Bacon and a fragment of his hebrew grammar, Cambridge, 1902. Toutefois, dès le xiie siècle, ce mouvement linguistique avait une orientation exclusivement apologétique, et tendait moins à l’intelligence du texte biblique qu’à répon-