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THOMAS D’AQUIN : L’UNITÉ DE FORME

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ment philosophique de la thèse de l’unité de forme substantielle que sur ses conséquences théologiques, surtout sur celles qui concerne l’identité du corps du Christ mort et de son corps vivant. Dans le IIIe livre des Sent., la question n’est pas traitée. Saint Thomas se borne à affirmer que le Christ mort n’est pas purement et simplement homme. In III am Sent., dist. XXII, q. i, a. 2. Même affirmation de prædicatione simpliciter actuali chez saint Bonaventure. In III am Sent., dist. XXII, a. u., q. i. Saint Thomas aura l’occasion de traiter plusieurs fois le problème au cours de son second séjour à Paris. Cf. Quodl. ii, a. 1 (Noël 1269) ; Quodl. iii, a. 4 (Pâques 1270) ; Quodl. iv, a. 8 (Pâques 1271) ; enfin III", q. l, a. 5 (Naples). Le Quodl. il, a. 1, marque la transition entre la question traditionnelle : L’trum in triduo fuerit homo ? et la question nouvelle, telle qu’elle sera posée par exemple dans la III » : l’trum fuerit idem numéro corpus Christi viventis et morlui ? L’objectant demandait en effet si le Christ in triduo fut le même homme ? La mort du Christ répond le maître, entraîne la séparation de l’âme et du corps, mais l’union hypostatique demeure pour l’une et pour l’autre. Quant à la personne, le Christ est donc numériquement le même ; quant à la nature, puisque le Christ mort n’est plus purement et simplement homme, il n’est pas non plus le même homme. Néanmoins, si on considère non plus la nature totale, mais les parties de celle-ci, on devra dire que l’âme du Christ est numériquement la même tandis que son corps, identique quant à la matière, n’est pas identique quant à la forme : car il n’est plus informé par l’âme raisonnable. En définitive, il est donc impossible de dire que le Christ soit purement et simplement le même homme, toute différence substantielle excluant l’identité absolue. On ne peut dire non plus que le Christ soit purement et simplement autre. On conclura donc qu’il est le même sous certains aspects et qu’il ne l’est point sous d’autres : Secundum quid idem, secundum quid non idem.

Aristote a enseigné que l’œil du cadavre n’est tel que de nom, œquivoce, De anima, B, 1, 412 b, 21, car la vision est de l’essence de l’œil. On demande donc à saint Thomas si l’œil du Christ mort n’est un œil que de nom. Quodl. iii, a. 4. La réponse de saint Thomas est affirmative. Car l’univoque et l’équivoque se disent par rapport à l’essence qu’exprime la définition. Or, la cessation de la vie s’oppose à l’identité spécifique aussi bien pour les parties que pour le corps entier. Jean Pecham devait traiter la même question dans son Quodl. Rom., éd. Delorme, p. 29. Lui aussi admet que la chair morte n’est une chair que de nom, sequiooee, parce qu’elle a perdu sa forme spécifique qu’était la vie organique. On doit en dire autant de l’œil du Christ : Oculus dicit esse naturalr. et organicum, ideo oculus Christi vivi et mortui fuit oculus eequivoce. Delorme, p. 33. En revanche, Pecham se sépare absolument de saint Thomas en ce qu’il maintient l’identité numérique du corps du Christ vivant et de son corps mort, grâce à la forme de corporéité. Ibid., p. 29.

Le Quodl. iv, a. 8, marquerait pour saint Thomas un certain recul dans l’expression » de sa pensée. Théry, L’auqustinisme médiéval…, p. 181. Désormais, saint Thomas concède purement et simplement l’identité du corps du Christ sur la croix et mis dans le tombeau. Le P. Théry pense que « dans le Quodl. iii, a. 4, tenu quelques mois avant la condamnation de 1270, saint Thomas raisonne en philosophe… Dans le Quodl. iv (Pâques 1271), par contre, il raisonne en théologien et donne comme conclusion : Est idem numéro corpus Christi… Ce n’est pas la condamnation du 10 décembre 1270 qui a occasionné ce changement d’orientation. Théry, art. cit., p. 181, note. Car dans son Quodl.xii, a. 9 (Noël 1270), saint Thomas maintient son point de

vue sur la forme substantielle unique du composé humain (il n’est pas question dans cette très brève réponse du problème christologique ici examiné). Peut-être, pense le P. Théry, pourrait-on expliquer ce changement par l’influence d’Albert le Grand. La condamnation de 1270 ne dit rien de la pluralité des formes. Mais, à la veille de cette condamnation, Gilles de Lessines consulte Albert le Grand sur la proposition : Quod corpus Christi jacens in sepulchro et positum in cruce non est vel non idem fuit numéro simpliciter. Il est impossible de savoir si cette proposition et la suivante, sur la composition des anges, faisaient primitivement partie de la liste que les maîtres parisiens se proposaient de condamner ou bien si Gilles les a ajoutées de son propre mouvement. Toujours est-il que la thèse thomiste ne fut pas condamnée, pas plus qu’elle ne le sera en 1277, à Paris. Dans le De quindecim problematibus, saint Albert répond d’ailleurs avec prudence à la question qui lui est posée : De corpore Christi loqui per philosophiam iemerarium est. Mandonnet, Siger, t. ii, p. 51. — En réalité, la doctrine de saint Thomas, dans le Quodl. iv ne diffère point de celle du Quodl. il. Il y a identité numérique du corps du Christ si l’on se place au point de vue du suppôt, non identité si on considère la nature. Mais au lieu de juxtaposer deux affirmations partielles, secundum quid idem, secundum quid non idem, saint Thomas, par la logique de son propre système, est conduit à se demander laquelle des deux doit avoir le pas sur l’autre. Prima unitas — celle du suppôt — major est quam secunda. Il faut donc dire — simpliciter, comme le précisera III », q. l, a. 5 — que le corps du Christ sur la croix et dans le tombeau est numériquement le même. Dire d’une chose qu’elle est telle purement et simplement ne signifie d’ailleurs pas qu’elle soit telle sous tous les aspects possibles ; cf. Top., B, 11, 115 b, 29. A partir du Quodl. iii, saint Thomas utilise également la distinction damascénienne entre un double sens de la ?60pdc. De fide orthod., t. III, 28, P. G., t. xciv, col. 1099. Sur ce que saint Thomas dit de Julien d’Halicarnasse, des gaïanites et du « sixième synode », voir quelques informations dans Backes, i, Die Christologie des hl. Thomas und die griechischen Kirchenvâter, Paderborn, 1931, p. 31-32, 236.

Épargnée à Paris, la thèse de l’unité de forme substantielle était frappée à Oxford par Robert Kihvardby le 18 mars 1277 (prop. 26, 27), Denifle-Chatclain, Charlularium, t. i, p. 588 ; Laurent, Documenta, p. 616-617. Dix ans plus tard, la simple prohibition de Kilwardby devenait, sous l’episcopat de Pecham, l’objet des condamnations les plus graves, lancées le 30 avril 1286 contre Richard Klapwell. Texte dans Mansi, Concil., t. xxiv, col. 647 ; Hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, t. vi, p. 299-300. Toutes les conséquences théologiques de la thèse thomiste (christologie, eucharistie, culte des reliques) sont relevées et frappées. Cependant cette activité de l’episcopat anglais resta sans effet sur le continent ; cf. E. Hoccdez, La condamnation de Gilles de Rome, dans Rech. théol. anc. et médiévale, t. iv, 1932, p. 39-40, témoignages de Henri de Gand et de Godefroid de Fontaines. U ne semble point que la thèse de l’unité de forme substantielle soit la cause de l’exclusion de la maîtrise pour Gilles de Rome. Jamais cette thèse ne fut prohibée à Paris. Toujours elle a pu être enseignée à titre d’opinion, pro opinione. Peut-être cependant Gilles fut-il atteint parce qu’il prétendait censurer théologiqucment la thèse opposée.

Dès Pâques 1270, alors que saint Thomas soutenait son Quodl. iii, Gérard d’Abbeville avait pris position dans le débat. Quodl. xv, q. iv (Glorieux), cf. ms. Val. Int., K)15, ꝟ. 18 v° 6-19 r° a. L’âme intellectuelle ne peut être la forme du corps organisé parce qu’elle ne