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d’ailleurs à identifier la composition de quo est et de quod est avec celle de matière et de forme. Lottin, p. 2426. Même distinction chez Philippe le Chancelier, qui interprète cette distinction dans le sens du couple puissance active et passive. Texte dans Lottin, p. 2730. Même position chez Jean de la Rochelle et dans les Gloses sur les Sentences du ms. Vat. lat. 691, ꝟ. 57 v° b, qui rejettent toute composition quantitative ou de matière et forme dans les substances spirituelles. Dans sa Summa de creaturis, saint Albert le Grand interprète le quod est et le quo est dans le sens de la distinction entre nature et suppôt. La simplicité des substances spirituelles ira chez lui toujours en s’accentuant. Voir le texte du cours inédit sur l’Éthique à Nicomaque dans Lottin, p. 35. Odon Rigaud qui connaît la Summa de creaturis, se montre sévère pour la théorie de la matière universelle : opinio philosophantium, dit-il. Après avoir semblé n’admettre qu’une composition de quo est et de quod est, Odon se décide pour une matière « spirituelle », non sujette à la corruption et substrat de la forme substantielle. Texte dans Lottin, p. 36-38. Sur saint Bonaventure, voir Gilson, La philosophie de saint Bonaventure, p. 235-236. Pour lui le changement, la passivité, la multiplicité numérique, la composition de genre et de différence impliquent dans les natures angéliqucs une composition de matière et de forme. In II am Sent., dist. III, i, a. 1, q. i. L’argument tiré de l’action du feu de l’enfer sur les démons, argument sur lequel on insistera dix ans plus tard, se trouve déjà indiqué toc. cit., fund. b, Quaracchi, éd. minore, p. 79 b. D’autre part (et saint Bonaventure distingue soigneusement cette thèse de la précédente), il existe une matière commune aux corps et aux esprits, matière qui ne tombe que sous le regard du métaphysicien. Loc. cit., q. n. Dans le monde des corps comme dans celui des esprits, on retrouve en effet, à côté de l’acte d’être conféré par la forme, la « stabilité » d’une existence par soi, stabilité qui provient non de la forme, mais du substratum de celle-ci, c’est-à-dire de la matière. Bonaventure a-t-il conscience de suivre Avicébron ? Il n’ignore pas sans doute la materia suslentatrix du philosophe juif, Fons vitfe, v, 23, Baumker, p. 299. Mais il pense être également d’accord avec Valtissimus metaphysicus que fut Augustin et, par ailleurs, l’apocryphe De mirabilibus sacræ Scripliirx (cité fund. a, Quaracchi, éd. minore, p. 82) a sans doute exercé sur sa pensée une influence décisive. Dans Gauthier de Bruges, vers 1261-1265, sera mise en valeur l’autorité du De Genesi ad litt., vu, 6, P. L., t. xxxiv, col. 359 ; cf. Longpré, Questions inédites du Comm. sur les Sent, du Bx Gauthier de Bruges, dans Archives d’hist. doct. litt. du M.-A., t. ii, 1932, p. 266 ; voir aussi le Correctoire de Guillaume de la Mare, Glorieux, Le correclorium…, p. 50.

Comme saint Iionaventure, saint Thomas, dès son Commentaire de / Sent., dist. III, q. v, a. 2 (antérieur au De ente, selon Roland-Gosselin, cf. Le De ente et essentia de Saint Thomas d’Aquin, dans Bibliothèque thomiste, t. viii, p. xxvi), distingue la simple affirmation d’une matière spirituelle de celle de la matière universelle. Mais il rejette l’une et l’autre au moyen des doux arguments qu’il considérera toujours comme décisifs : a) la séparation de la matière qu’implique la connaissance intellectuelle, oblige à penser que les natures capables d’une telle connaissance sont exempte de matière (sur le terme immuncs a materin, voir Kleineidam, op. cit., p. 59-60). — b) D’autre part la matière première ne comporte comme telle aucune diversité, Il faut donc qu’à cette indifférence primordiale réponde une détermination première dont la matière ne sera Jamais dépouillée (uni fterfechlnli debetur unn prrfrrtio). Cette détermination première, i ra la corporelle. Parler dès lors d’une matière

DICT. DF. THIvOI.. r.ATHOL.

incorporelle, c’est employer ce terme dans un sens équivoque. L’ange et l’âme humaine sont donc des formes « simples ». Ils ne peuvent cependant jouir de l’absolue simplicité de Dieu. On doit reconnaître en eux une certaine composition, celle de quiddité et d’être. Il s’agit seulement de rapprocher cette distinction, fournie par Avicenne, de l’opposition entre quod est et quo est, utilisée depuis longtemps par tous les adversaires de l’hylémorphisme angélique. Dans tous les êtres composés de matière et de forme, le quod est est identique au composé, ce qui est. Le quo est peut être entendu de trois manières : de la forme, partie du tout ; de l’acte d’être (esse) ; de la nature ou quiddité complète, constituée par l’union de la matière et de la forme. Dans le texte In II am Sent., dist. XVII, q. i, a. 2, ad 5um, saint Thomas indique un quatrième sens du quo est : l’action créatrice de Dieu qui confère l’être à la créature. Dans les substances séparées, les sens 1 et 3 se trouvent éliminés, puisque l’absence de matière invite à identifier la nature et le quod est (ipsa quiditas est hoc quod est). On sait en effet, que saint Thomas ne prendra clairement position sur la distinction entre le suppôt et la quiddité chez les anges que tout à la fin de sa carrière, Quodl. ii, a. 4, cf. Roland-Gosselin, op. cit., p. 192. Même chez l’ange cependant, la quiddité n’est point l’être (quo est) et se distingue de celui-ci comme la puissance se distingue de l’acte, l’action de courir du coureur. Il y a donc place dans les substances simples pour une composition véritable, celle de quiddité et à’être. Tel est le point d’insertion de la célèbre discussion sur la distinction réelle. Voir un aperçu des plus récents travaux au point de vue historique dans J. Paulus, Henri de Gand, essai sur les tendances de sa métaphysique, Paris, 1938, p. 260-284 et surtout Roland-Gosselin, Le « De ente », p. 135-205. Voir également E. Hocedez, JEgidii Romani theoremala « De esse et essentia », Louvain, 1930, p. 83, où l’on trouvera la liste de l’abondante littérature quodlibétique consacrée au sujet entre 1276 et 1323. Hocedez reconnaît que « pour le fond », Gilles est d’accord avec saint Thomas, ibid, introd., p. 52. Mais, sous l’influence de Proclus, il aurait réifié à l’excès la distinction. Il a eu d’ailleurs conscience très nette d’innover. Cependant, les trois voies suivies par Gilles (Theor., v, Hocedez, p. 24-25) sont empruntées à saint Thomas et chez ce dernier la formule esse est a forma, loin de contredire la distinction réelle, la suppose au contraire. Hocedez, op. cit., p. 45, n. 1. C’est bien Gilles pourtant et non pas saint Thomas, que viserait Henri de Gand dans son Quodl. i (1276). Sur la manière dont les anciens thomistes ont compris saint Thomas, cf. Hocedez, loc. cit., introd. p. 110-116 et surtout M. Grabmann, De doctrina sancti Thomæ de distinctione reali inler essenliam et esse ex documentis inedilis illustrata, dans Acla hebd. thomist., Rome, 1924, p. 131-190 ; Neuaufgefundene Quæstionen Sigcrs v. lirabant…, dans Miscellanea Ehrle, t. i, p. 125 ; Circa historiam distinctionis essentiæ et esse. Quomodo pliilosophi artistæ et averroisix… doctrinam sanrti Thomæ intellexerunt, dans Acta Ac. S. Thomæ Aquin. Rome, 1934, p. 60-76, Hubert de Polliaco… quæstio de esse et essentia…, dans Angelicum, t. xvii, 1940, p. 352369.

Pour revenir à la composition de quod est et de quo est, nous savons par Jean de Naples (dans sa fameuse question : Utrum licite doceri possit Parisius doctrina fr. ihomæ quantum ad oinnes conclusiones ? éd. Jellouschflk, Xenia thomistica, Rome, 1925, t. iii, p. 89) que saint Thomas fut accusé de nier la composition de quo est et de quod est chez les anges et de tomber ainsi sous le coup de la prop. 79 de la condamnation de 1277. Accusation étrange, pour qui a lu (.uni. Gent., t. ii, c. mi et I », q. l, a. 2, ad 3, , iii, mais qui

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