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THOMAS D’AQUIN : LA SCIENCE DIVINE


formule d’opposition (non solum… sed) dans In 7um Sent., dist. XXXVIII, q. u., a. 5, où cette thèse de la présence physique des futurs dans le médium éternel de la connaissance divine est attribuée à Boèce (sur ce point, cf. J. Groblicki, De scientia Dei futurorum contingentium secundum S. Thomam ejusque primos sequaces, Cracovie, 1938, p. 40-44) ; dans le Cont. Gent., t. I, c. lxvi ; enfin, au cours du second enseignement parisien, dans le Commentaire du Péri Hermeneias, I, lect. 14, n. 20, où saint Thomas prend soin de préciser que l’intuition par Dieu de la présence des futurs in seipsis, n’exclut point la connaissance de l’ordre des causes. Sur les antécédents de cette thèse fameuse, voir quelques indications dans Groblicki, op. cit., p. 45-58. Albert le Grand et saint Bonaventure n’ont recours pour expliquer la connaissance des futurs contingents qu’aux seules idées divines, quia habet raliones rerum apud se présentes, comme s’exprime saint Thomas. Sur la pensée de saint Albert, consulter également J. Goergen, Des hl. Albertus Magnus Lehre von der gôttlichen Vorsehung und Fatum, Vechta, 1932, p. 89-93.

On a vu plus haut que Jean Pecham, dans la lettre du 1 er juin 1285 (cf. col. 657) signalait l’opposition des deux écoles au sujet des idées divines, des œternse régulée. À cette date Guillaume de la Mare s’était déjà chargé de codifier en quelque sorte cette opposition. Si, observe-t-il, chacune des différences du temps est présente réellement dans l’éternité, les choses contingentes se trouvent elles aussi transportées dans la durée éternelle, realiter et actualiter per suas naturas. Une telle affirmation revient à soutenir l’éternité des choses et par conséquent l’éternité du monde. Édit. Glorieux, Le Correctorium corruptorii…, p. 18. En outre, la présence physique des futurs, telle que saint Thomas la conçoit, rendrait inutile les raisons ou « règles » des choses dans l’intellect divin. Ibid., p. 19. Du même coup, la science divine ne serait plus cause des choses. Ne les connaissant point par ses idées, mais seulement par le regard intuitif qu’il porte sur elles, Dieu devrait recevoir de ses créatures et leur mendier en quelque sorte la certitude de son acte de connaissance. Si enim (Deus) cognoscit aliter quam per rationes quas habet apud se… ferendo inluilum super ipsas res, hoc non potest intelligi vel saltem fingi nisi per receptionem. Deum autem cognoscere aliquid per receptionem, est impossibile. Ibid., p. 20. On voit que Guillaume a compris la pensée de saint Thomas, comme la comprendront les disciples de Scot et à leur suite un certain nombre d’historiens modernes, pour lesquels la scolastique avant Scot n’a pas eu une claire conscience du problème de la prescience des futurs contingents. Sous l’influence de saint Augustin et de Boèce, saint Thomas est conduit à considérer la science des futurs en Dieu comme un regard exercé du sommet de l’éternité divine, regard qui renferme et enveloppe tous les temps dans son absolue simplicité. C’était laisser échapper le nœud du problème : comment expliquer la vérité intrinsèque du futur contingent en lui-même ? comment en d’autres termes se résoud son indifférence ad ulrumlibel ? Telle est l’opinion exposée dans ses différents ouvrages par le Dr Schwamm. Cf. H. Schwamm, lias gOttliche Vorherii’issen bei Duns Scotus und seinen ersten Anhângern, botpruck, 1934 ; voir la bibliographie du sujet dam liull. thomiste, t. iii, p. 976-982. Pour saint Thomas, selon le Dr Schwamm, ni la saisir des futurs dans leurs causes prochaines, ni même leur saisie dans l’essence divine comme cause

pn mi ère, ne suffisent à fonder la connaissance infaillible et certaine que Dieu en possède. D’où la nécessité de recourir a l’intuition de ces futurs in srifisis,

dani l’étemel présent de la connaissance divine ; cf. Schwamm, op. cit., p. 94-99.

Au contraire avec Duns Scot, le problème se trouve résolu pour la première fois par la détermination volontaire de Dieu. C’est le décret de la volonté divine qui détermine la vérité du futur contingent et qui le rend connaissable par Dieu. Dieu, écrit Scot, ne peut prévoir que tel sujet fera un bon usage du libre arbitre que parce qu’il veut et préordonne ce bon usage ex determinalione suse voluntatis. Voir des textes caractéristiques de Scot, empruntés pour la plupart aux inédits, dans Schwamm, op. cit., p. 27, 34, 41-42, 82. Il résulte de ceci que Scot est le véritable créateur (Urheber) de la théorie dite thomiste des décrets prédéterminants, théorie en elle-même tout à fait étrangère à saint Thomas, qui, s’il l’eût admise, n’aurait eu nul besoin de recourir à l’intuition physique des futurs dans leur existence présentielle au sein de l’éternité. Cette manière de voir avait été soutenue déjà en 1913 par J. Klein ; cf. Schwamm, op. cit., p. 91. Reste seulement à expliquer comment l’école thomiste est passée au scotisme avec armes et bagages tandis que les scotistes tardifs se ralliaient au molinisme. On a voulu attribuer à Capréolus l’introduction dans le thomisme de « l’idéalisme volontariste » de Scot. Cf. F. Stegmuller, Francisco de Vitoria y la doctrina de la gracia en la Escuela salmantica, Barcelone, 1934, p. 9-10. Il est donc établi (ou du moins supposé) que l’ancien thomisme a ignoré ou même combattu les décrets prédéterminants. C’est surtout Thomas de Sutton, identifié ou non avec Thomas Anglicus, qui a fait sur ce point les frais de la démonstration. Cf. Fr. Pelster, Thomas v. Sutton, ein Oxforder Verteidiger der thomistischen Lehre, dans Zeilschrift f. kathol. Théologie, t. xlvi, 1922, p. 379-381 (prémotion) ; p. 383-386 (prescience divine, textes du Liber propugnatorius) ; R. Martin, Pro tutela doctrinæ Sancti Thomie Aq. de influxii causæ primx in causas secundas, dans Div. Thomas, Fribourg, 1923, p. 356-372 ; O. Lottin, Thomas de Sutton et le libre arbitre, dans Hech. de théol. anc. et médiévale, t. ix, 1937, p. 282-283.

Il est exact que saint Thomas, quand il veut établir la connaissance des futurs contingents en Dieu, insiste sur l’argument de la présence physique des futurs, argument qui lui fournissait une réponse particulièrement frappante. Mais le saint Docteur possédait dans son propre système tous les éléments qui lui eussent permis de faire intervenir la causalité première. Pourquoi tels futurs plutôt que d’autres sont-ils éternellement présents devant, le regard de Dieu ? Parce que la science divine, répondait saint Thomas, est cause des choses conjuncla voluntate. I », q. xiv, a. 8. C’est donc à la volonté divine que revient la détermination des futurs : voluntati divinee non solum subjacet expletio effectus, sed etiam omnium causarum prucedentium ordo secundum ///as conditiones quibus dclcrniiiuintur ad e/Jectum. In //""’Sent., dist. XI. VU, q. i, a. 2, ad 3um. Dans la Somme, saint Thomas exclura en termes formels la thèse des décrets indifférents qui tireraient des causes secondes le principe de leur détermination. 1*, q. xix, a. 8. Les etTets contingents sont tels non pas à raison de leur seule cause immédiate, mais parce que Dieu a adapté telle cause contingente à tel effet qu’il voulait voir se produire selon le mode de la contingence : qttia rotuit ros contingenter evenisse, contingentes causas ad eos præparavit. Cf. aussi Péri Ilcrm.. I, lect. 14, n. 22 (éd. léonine).

Quelle fut, sur ces questions, la position de l’ancienne école thomiste ? Sur la réponse de lîambert de Bologne, dans son Apologvliriis. cf. Groblicki, op. cit., p. 1 15-1 25. I.’auteur du correct oire « Quare », à la différence de Hambert, a abandonné la thèse thomiste de la présence physique des futurs dans le médium de la connaissance éternelle. Il paraît en cllct réduire la connaissance des futurs par Dieu à une simple près, n. (