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THÉOLOGIE. L’APPORT RATIONNEL


sentée par lui comme étant « de l’autre monde » et obéissant à des lois bien différentes de celles que suivent les rois terrestres. Or, dans la mineure (ou majeure, si l’on remet l’argument en forme) philosophique, la royauté est prise dans sa notion philosophique humaine. Et l’on cherche à progresser dans la connaissance de la royauté du Christ et de ses « propriétés », grâce à la connaissance, apportée par la mineure philosophique, d’une des propriétés de toute royauté et donc également de la royauté du Christ. On voit la difficulté : ou bien il n’y a aucun apport philosophique, et alors ce raisonnement ne signifie rien ; ou bien il y a un tel apport, mais alors on raisonne sur deux notions de la royauté, l’une révélée et spéciale, l’autre philosophique et générale, et l’on syllogise à quatre termes ; ou enfin on ramène la royauté surnaturelle et révélée du Christ dans le cadre de la royauté en général, telle que la réalisent les hommes et que la définit la sociologie rationnelle. Si l’on met notre raisonnement en forme, le principe philosophique y joue le rôle de majeure ; il se subordonne la vérité révélée et la royauté du Christ n’y est traitée que comme un cas de la royauté humaine en général, c’est-à-dire qu’elle perd sa spécificité surnaturelle, que Dieu devient pour nous un roi parmi les autres, alors que toute la Révélation cherche à nous faire savoir qu’il est le seul… C’est bien à cela, diront certains, qu’aboutit en effet la théologie » scolastique », c’est-à-dire celle qui s’est construite en assumant des données philosophiques. Pour avoir construit rationnellement la morale, on y a perdu de vue l’anthropologie biblique, où l’homme est essentiellement chair et esprit, pour prendre une anthropologie philosophique, où l’homme est matière et forme ; on a fait de l’Eglise une société de même type que les autres, différente simplement par son but et ses pouvoirs ; on a fait des sacrements de simples cas de causalité instrumentale, etc.

Une comparaison très heureuse que donne Scheeben peut nous permettre de réaliser encore mieux la difficulté du problème. Dogmatique, n. 862 ; Mysterien des Christentums, § 107, n. 3. Soit un voyageur faisant le récit de ce que sont, dans une montrée lointaine, un climat, une tlorc et une faune tout à fait différents de ceux que nous connaissons. Le simple fidèle est semblable à celui qui se contenterait d’écouter, d’admettre ce qu’on lui rapporte et d’agir en conséquence ; mais le théologien est l’homme qui, ayant écouté et admis, s’efforcerait de comprendre en recourant au monde qu’il connaît, à la connaissance qu’il a du climat, de la flore et de la faune du pays qui est te sien.

Réponse.

En face du problème que nous venons

de poser, il y aurait une autre hypothèse : que les notions rationnelles introduites en théologie spéculative ne soient ni vaines, ni parallèles et étrangères aux vérités de foi, ni dominatrices et assimilatrices de celles i i. mais soient assimilées par celles-ci et ramenées à leur sens. (Ici le hypothèse est en réalité la vraie, comme nous allons le montrer.

Il n’y a, pour notre esprit, qu’une manière de progresser intellectuellement dans la connaissance des n : y stères, c’est d’analyser le contenu des concepts dans lesquels ils nous ont été révélés pur Dieu, de déduire des essences les propriétés, fie rattacher les effets aux ii, bref d’analyser, d’expliquer et d’organiser rationnellement. La théologie consiste en cela. C’est pour cela qu’elle applique aux concepts choisis par Dieu dans notre monde pour se révéler les élabora*’ions des concepts correspondants auxquelles notre esprit ; i pu parvenir d : ms les différentes sciences qui les concernent, (/est ainsi que, si Dieu se dévoile comme personne, nous révèle qu’il y a en lui l’ère et etc., la voie d’une perce pi ion intellectuelle de i es vérités sera pour nous celle d’une application à ce

donné révélé, formulé en notions de notre monde, des élaborations que ces mêmes notions auront pu recevoir dans les disciplines humaines qui les étudient.

Mais il faut bien voir la condition nouvelle de ces notions désormais empruntées aux sciences par la théologie. Certes, les élaborations dont on fait maintenant profiter la théologie ont été obtenues par une étude des choses créées et sensibles qui constituent nos objets de connaissance ; mais leur validité et leur efficacité au regard de la représentation des mystères font l’objet d’une garantie, dont l’initiative et la responsabilité reviennent à Dieu lui-même : leur application aux mystères pour les représenter authentiquement est autorisée par Dieu lui-même qui, en se révélant comme personne, comme Père et comme Fils, détermine lui-même quels sont les concepts et les réalités créés qui ont une valeur de similitudo suse sapientiæ. Ces concepts ne sont plus, dès lors, des analogies philosophiques appliquées par l’homme sous sa seule responsabilité en vertu du principe transcendant de causalité ; ce sont des analogies révélées, reçues dans la foi et dont l’homme connaît dans la foi la valeur de représentation. Sur les analogies de la foi ainsi entendues : J. Maritain, Distinguer pour unir ou les degrés du savoir, Paris, 1932 ; cf. M. T.-L. Penido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931 ; G. Sôhngen, Analogia fidei : Gottâhnlichkeit allein aus Glauben ? dans Calholica, t. iii, 1934.

Nous commençons donc à entrevoir la solution de nos difficultés. Les notions de raison employées en théologie pour exprimer renseignement de la foi selon un mode rationnel et scientifique ne sont plus de pures notions de raison philosophique ; elles sont en efïet soumises aux analogies de la foi, jugées, corrigées, mesurées, approuvées par elles et, par là, amenées à la dignité d’une analogie théologique, objet de raison théologique, de cette ratio fide iltuslrala dont parle le concile du Vatican, sess. iii, c. iv, Denz., n. 1799. Le raisonnement théologique n’est nullement une application de notions philosophiques à un donné qu’on recevrait d’ailleurs sans l’avoir démontré. Certaines manières de procéder, qui reposent plus sur l’appareil rationnel que sur la vérité révélée, pourraient tomber sous ce reproche ; cf. L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 154-155. Quand les Salmanticenses, par exemple, reprenant le procédé du raisonnement de potentia absoluta, cher à la critique théologique des xive et xve siècles, avancent que, même si Dieu n’était point Père, non plus que Trinité, notre adoption par lui en qualité de fils serait encore possible, In ///- iii, q. xxiii, a. 2, éd. Palmé, t. xvi, p. 393 sq., on peut dire qu’une telle manière de raisonner d’après les seuls concepts naturels et en dehors des affirmations effectives et de l’économie réelle de la Révélation est de mauvaise méthode théologique. Car la théologie n’est pas la philosophie qui raisonne sur la foi, c’est, comme l’a dit le P. Chenu, la foi qui cherche à s’cmniembrer de raison », le donné qui « s’invertèbre par l’intérieur et sous s ; i propre pression ». Position de la théologie. d ; ms Revue des sciences philos, et théol., t. xxiv, 1935, p. 232-257 (p. 232 et 242).

Au point de vue du contenu objectif, c’est d’un bout à l’autre la foi qui commande en théologie. C’est uniquement pour prendre son développement dans

une intelligence humaine selon le mode connut urcl à cette intelligence, qu’elle s’annexe et se subordonne des notions philosophiques. Elle n’en reçoit aucun

apport objectif propre, mais seulement une explii t.

tion plus complète en assumant les ressources et les Voles « le cette raison. Aussi, dans Cette assomplion,

les notions philosophiques sont elles vérifiées, amenuisées, purifiées pu la foi de manière à repondre au sel

vice que celle ci réclame d’elles. <.. travail est évident