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THÉANDRIQUE (OPÉRATION
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de l’opération humaine dans le Christ amène saint Thomas à élucider d’abord la question de l’extension de l’acte proprement humain dans l’humanité du Sauveur. Tout en admettant la multiplicité des fonctions et des opérations vitales dans le Christ, saint Thomas fait observer qu’ « en Jésus-Christ, comme homme, il n’y avait aucun mouvement de la partie scnsitive qui ne fut réglé par la raison ». Bien plus, « les opérations naturelles et corporelles appartenaient aussi d’une certaine manière à sa volonté, en ce sens qu’il dépendait de cette faculté que son corps fît et souffrît les choses qui lui sont propres. Aussi, dans le Christ, il y a eu une opération humaine beaucoup plus tôt que dans tout autre homme ». A. 2. Cette incursion sur la puissance instrumentale de l’âme du Christ relativement aux opérations du corps, voir ici Jésus-Christ, col. 1316, complète heureusement la mise au point touchant l’action théandrique et prépare les articles suivants touchant le mérite de l’opération humaine du Christ, d’abord pour lui-même (a. 3), ensuite pour les autres (a. 4).

2. Les commentateurs.

À la suite de Cajétan, les commentateurs de saint Thomas font remarquer que le problème de l’opération unique ou multiple dans le Christ est facile à résoudre quand on l’envisage par rapport au principe actif agissant par sa vertu propre. Il s’agit, pour employer un terme scolastique, non du principe premier d’action dans un sujet, principe qui se confond avec le sujet lui-même, principium quod, mais du principe humain et immédiat de l’opération, principium quo. Ainsi l’homme est le principe premier agissant et son action se manifeste par l’opération de ses facultés intellectuelles, sensitives, motrices, etc. En s’en tenant à cette considération, se demander si dans le Christ il n’y a qu’une seule opération commune à la divinité et a l’humanité, c’est équivalemment demander si, dans le Christ, il n’y a qu’un seul principe immédiat de l’opération soit divine soit humaine. Et, puisque dans le Verbe incarné il y a les deux natures, et une humanité intègre et parfaite, jouissant de son activité propre, il est évident que, conformément à la définition du VIe concile, il faut affirmer dans le Christ deux opérations, l’opération divine et l’opération humaine.

Mais les commentateurs font ensuite observer que ces deux opérations appartiennent à un unique sujet, le Verbe fait homme : il faut donc, selon la célèbre formule de saint Léon, qu’elles soient coordonnées entre elles. Or, si l’on considère de près les raisons de coordination invoquées par les Pères, on en relève trois. La première se tient uniquement dans un ordre de perfectionnement moral, l’opération humaine étant toujours dirigée par la divinité de telle sorte qu’elle s’est montrée toujours conforme aux exigences de l’ordre : « Je vous ai donné l’exemple, dit le Christ, afin que vous agissiez comme moi-même j’ai agi. » Joa., xin, 15. La seconde considère l’ordre de l’efficience instrumentale par rapport aux œuvres surnaturelles, miracles et prodiges de toute sorte, que l’humanité était appelée à accomplir en tant qu’instrument de la divinité. La troisième, enfin, se rattache à la communauté d’action de la divinité unie à l’humanité dans l’ordre du mérite et de la satisfaction, en tant que la divinité du Verbe, par le fait de l’union hypostatique, communiquait à l’humanité sainte du Sauveur la valeur infinie attachée aux actions d’un sujet divin. Tous ces aspects de l’action théandrique se trouvent indiqués par saint Jean Damascène, voir ci-dessus, col. 210.

Les commentateurs en concluent que n’importe laquelle des actions du Christ considéré dans son humanité peut être dite théandrique, sous l’un des trois aspects précités, puisqu’il n’existe aucune action humaine du Christ qui n’ait été au moins dirigée par la

divinité. Mais la réciproque n’est pas vraie : les opérations proprement divines ne sont théandriques que si elles utilisent de quelque manière l’humanité. Les commentateurs ajoutent que l’opération théandrique est surtout celle qui a pour objet de conférer à l’opération humaine du Christ un mérite et une valeur de satisfaction infinis comme l’exige la dignité infinie du Verbe incarné. Le cardinal Billot a exposé fort lucidement ces trois degrés, de plus en plus parfaits, de l’action théandrique, pour s’arrêter avec plus de complaisance sur le dernier qui a trait à la satisfaction et au mérite du Sauveur : « On peut donc considérer l’opération théandrique dans un ordre triple : dans l’ordre de la perfection morale, dans l’ordre des mutations sur les choses extérieures, dans l’ordre de la satisfaction et du mérite auprès de Dieu. « Sous le premier aspect, l’opération théandrique présente cet exemplaire suprême de sainteté qui, pour tout le genre humain, a resplendi dans le Christ. Sous le second aspect, l’opération théandrique se rapporte aux miracles accomplis par le Sauveur. Sous le troisième aspect, elle implique la satisfaction qui a ôté le péché de ce monde et le mérite infini qui a rendu la grâce aux hommes. « À ne considérer que l’extérieur des choses, ce qui frappe notre esprit, il faudrait donner la première place aux deux premiers aspects de l’opération théandrique. Car, sous ces deux aspects, l’opération théandrique manifeste très particulièrement le mystère de l’incarnation ; elle en est un signe qui le rend croyable et qui nous incite à le croire. Si donc on affirme ici que l’opération théandrique se rapporte principalement aux œuvres du Christ concernant son mérite et sa satisfaction, c’est parce que ces sortes d’œuvres n’ont pu être accomplies, de quelque façon qu’on les envisage, que par un Homme-Dieu, tandis que le modèle de sainteté, les miracles, ne réclament pas aussi impérieusement l’union personnelle de la nature créée à Dieu. En effet, Dieu, de puissance absolue, aurait pu orner un homme de tant de grâce et régler et modérer ses actions en toutes choses de telle façon que cet homme, dépassant toutes les catégories particulières de la nature humaine, aurait été pour tout le genre humain un modèle parfait de sainteté, proposé à l’imitation de tous et de chacun, modèle que nul n’aurait pu égaler, dont tous auraient participé et qui aurait présenté une mesure de sainteté au moins égale à la mesure de l’imitation, comme la chose fut réalisée en fait dans le Christ. Pareillement Dieu, de puissance absolue, aurait pu, par l’instrument d’une simple créature humaine, opérer tous les prodiges qu’il opéra par son humanité unie à sa divinité : ressusciter les morts, guérir les malades, commander aux éléments terrestres, chasser les démons, accomplir les autres merveilles que nous lisons dans l’Évangile. Mais, pour offrir une satisfaction suffisante à la réparation du péché, était absolument requise l’humanité comme instrument conjoint à la divinité, puisque d’une part il fallait une œuvre satisfactoire offerte par une créature humaine, et d’autre part la valeur infinie que la divine hypostase communiquait à cette œuvre. Une telle satisfaction est donc bien l’opération théandrique par excellence. » De Verbo incarnato, 7e éd., Rome, 1927, th. xxxi, corollaire, p. 333-334.

S. Thomas, Summa thcol., III", q. xix, a. 1, et les commentateurs. Cf. Cont. Gent., t. IV, c. lvi ; Compendium theologise, c. ccxi ; Petau, De incarnatione, t. VIII, c. vii-xiii ; Noël Alexandre, Hist. eccl., sxc. vii, dissert, ix ; Franzelin, De Verbo incarnato, th. xl ; Stentrup, Christologia, th. LI-I.UI ; L. Billot, De Verbo incarnato, th. xxxi ; A. d’Alès, De Verbo incarnato, th. xiii.

A. Michel.