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SYNOPTIQUES. SOLUTIONS DIVERSES


notre second évangile et une source écrite constituant déjà un évangile, car elle semble bien ne lui assigner d’autre source que la prédication du chef des Apôtres.

Faut-il donc en conclure que Matthieu dépende littérairement de Marc" ? Il y a lieu ici de distinguer entre l’évangile araméen de saint Matthieu dont l’existence repose sur le témoignage de Papias, et notre premier évangile actuel, qui serait la traduction grecque de cet original araméen. A vrai dire, la plupart des critiques indépendants n’acceptent pas cette distinction : pour eux, notre [* évangile n’est pas une traduction, mais un ouvrage original basé sur Marc d’une part, et un recueil de discours du Seigneur (théorie des deux sources). On discutera plus loin cette théorie, surtout au point de vue de l’étendue et du caractère de la seconde source qu’elle suppose. Mais, si l’on s’en tient à l’ancienne tradition ecclésiastique qui attribue à saint Matthieu la composition d’un premier évangile en araméen, on doit se demander si cet évangile dépendait de Marc, ou si du moins Marc a été utilisé par le traducteur grec. La première question n’a pas lieu de se poser, si l’on tient que le Matthieu araméen a été le premier de nos évangiles. Mais alors, comment expliquer la ressemblance de fond et d’ordre constatée entre Matthieu et Marc ? C’est ici qu’on peut faire appel à la tradition orale, qui suffirait peut-être à expliquer cette ressemblance. Si en effet l’on admet, comme c’est vraisemblable, que saint Pierre a eu un rôle particulièrement important dans la fixation de la catéchèse primitive, en ce qui concerne le fond et le cadre des récits, Matthieu, qui s’appuie naturellement sur cette catéchèse, et Marc, qui reproduit la prédication de saint Pierre, peuvent s’être rencontrés sur le choix et l’ordre général des récits, sans que l’un ait connu et utilisé l’autre. Mais les ressemblances verbales ne peuvent s’expliquer de cette façon. Il faut supposer, pour en rendre compte, que le traducteur grec du premier évangile a eu sous les yeux le texte de Marc, et qu’il s’en est inspiré dans le choix des mots qu’il employait pour rendre en grec les expressions du texte araméen. Si l’on estime de plus que, comme les Septante l’ont fait pour certaines traductions de l’Ancien Testament, il a pu faire quelques additions et modifications à l’original qu’il traduisait et qu’il a pu pour cela puiser également dans Marc, on rendra compte de façon satisfaisante, semble-t-il, des relations qui apparaissent entre les deux premiers évangiles. — Sur les raisons qu’on tire des doublets, et des citations de l’Ancien Testament dans Matthieu pour établir une dépendance entre celui-ci et Marc, cf. art. Matthieu, t. x. col. 363-364.

Hypothèse des documents.

Les difficultés que

soulève l’hypothèse de la dépendance mutuelle des évangiles et, d’autre part, la nécessité qui s’impose de maintenir entre eux des relations proprement littéraires ont conduit à l’hypothèse documentaire, qui explique les ressemblances des Synoptiques par l’emploi de sources communes.

1. La théorie des deux sources.

La forme la plus répandue de cette hypothèse est la théorie des deux sources, déjà signalée, d’après laquelle Luc et Matthieu auraient utilisé deux sources communes : l’une, qui serait notre Marc canonique ou une forme peu différente de cet évangile, l’autre qui serait un recueil de discours du Seigneur, comprenant peut-être aussi quelques récits. La dépendance par rapport à Marc de Luc et de Matthieu, tout au moins du texte grec actuel du I’r évangile, étant assez généralement reconnue, c’est sur l’existence et le caractère de la seconde source (Q) que porte surtout la discussion. Certains identifient ce document hypothétique avec les Logia dont parle Papias comme étant l’œuvre de saint Matthieu

et expliquent l’attribution de notre premier évangile à cet apôtre précisément par le fait que son rédacteur aurait inséré dans son récit, à côté des parties empruntées à Marc, tout le contenu, traduit de l’araméen, des Logia de Matthieu. D’autres, par contre, n’accordent aucune valeur au témoignage de Papias et n’admettent aucune relation entre la source Q et l’apôtre Matthieu. Ils concluent à l’existence de ce document, du fait de l’existence, dans les passages parallèles de Matthieu et de Lue qui ne figurent pas dans Marc, de fréquentes ressemblances de fond et de forme, ressemblances telles, qu’elles semblent exiger, à défaut de la dépendance directe d’un évangile par rapport à l’autre, l’utilisation d’une source commune.

Cette théorie, même dans le cas où l’on identifie Q avec les Logia de saint Matthieu, a l’inconvénient de ne pas s’accorder avec l’ancienne tradition. — -Cette tradition est-elle, d’ailleurs, aussi solide qu’on le prétend ? — Mais, en dehors de cette raison, et sans entrer dans les difficultés de détail que cette hypothèse soulève, on peut faire valoir contre elle quelques objections d’ordre général. Invraisemblance, souligne le P. Lagrange (Comm. de saint Luc, p. lxxxv), de ces deux évangiles, Matthieu et Luc, composés d’après les deux mêmes sources, et cependant si différents ! Et, si notre premier évangile est le résultat de la fusion de deux documents par un rédacteur, qui aurait fait simplement œuvre de compilateur, comment en expliquer l’unité profonde, la méthode de composition si particulière, avec des groupements fondés, à la manière juive, sur des combinaisons de nombres ? Cf. art. Matthieu, t. x, col. 365-366 ? D’autre part, la source Q, au cas où, comme on le suppose généralement, elle n’était pas un simple recueil de sentences, mais comprenait aussi quelques récits, n’aurait-elle pas été quelque chose d’informe, une sorte de monstre, a-t-on dit, si elle n’avait déjà constitué un véritable évangile comprenant tout l’ensemble de la prédication de Jésus, avec sa mort et sa résurrection ? Mais, si c’était déjà un évangile, pourquoi ne pas y voir tout simplement l’évangile araméen de saint Matthieu, qui pourrait avoir été retouché en quelque mesure et complété par le traducteur grec, sans que le texte définitif du premier évangile cessât d’être substantiellement identique à l’écrit original de l’apôtre Matthieu ?

2. La théorie des « écrits fragmentaires ». — Une autre forme de la théorie documentaire est celle qui, reprenant l’hypothèse des diégèses de Schleiermacher, suppose à la base de nos évangiles un nombre plus ou moins considérable d’écrits fragmentaires, dans lesquels aurait commencé à se fixer la tradition orale. Cette hypothèse contient certainement une large part de vérité. Il est très vraisemblable, en effet, que, pour les besoins de la catéchèse, on ait commencé par rédiger de petits livrets, recueil de paroles de Jésus, recueil de miracles, peut-être recueil de prophéties messianiques appliquées au Christ, qui auront disparu quand on eut à sa disposition des récits complets de la vie et de la prédication du Sauveur, mais dont l’usage par les évangélistes permet d’expliquer certaines données du problème synoptique.

L’hypothèse a d’ailleurs un fondement traditionnel dans l’assertion de saint Luc qui fait allusion, dans le prologue de son évangile, à des écrits de ce genre. La faiblesse de la théorie, c’est que ces sources fragmentaires, si on en peut supposer l’existence avec grande probabilité, on n’a aucun moyen de les reconstituer, de sorte que cette hypothèse ne peut aider beaucoup à préciser les particularités de composition et les relations des Synoptiques et qu’elle ne peut être, comme l’utilisation de la tradition orale elle-même,