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SYLLABUS. VALEUR DOGMATIQUE


avait abrogé certains articles du concordat, au mépris de la foi jurée et des droits sacrés de l'Église. « Nous avions établi, dit-il, que cette religion (catholique) continuerait à être la seule religion de la nation espagnole, à l’exclusion de tout autre culte. » L’allocution, on le voit, flétrit la politique d’une nation à une époque déterminée. Le Syllabus donne à la parole du pape un sens beaucoup plus général ; ce n’est plus une simple protestation contre les empiétements d’un gouvernement ; c’est une doctrine qui est repoussée de façon très nette, et la condamnation vaut pour tous les pays et pour tous les temps : A notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l'État, à l’exclusion de tout autre culte. Autre cas : Le gouvernement de la Nouvelle-Grenade, en 1847, avait publié une loi garantissant aux hommes de toute nation qui émigraient en ce pays l’exercice public de leur culte, quel qu’il fût. Le pape avait protesté dans l’allocution Acerbissimum. La proposition 78 du Syllabus dégage de ce cas particulier la doctrine libérale qu’il suppose et elle l’exprime catégoriquement : Aussi, est-ce avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers. De ces exemples et d’autres encore que l’on pourrait multiplier, la conclusion est facile à tirer. Le Syllabus a, par lui-même, une valeur autre que celle des documents dont il est le résumé ; il a une autorité propre. Elle vient non seulement du fait qu’il a été solennellement promulgué, mais aussi de ce qu’il est souvent « une interprétation lumineuse des documents originaux auxquels il se rapporte ». H. Dumas, art. cit., p. 744.

3. Le Syllabus avait à peine paru que, de toute part, les évêques insistaient sur la valeur spéciale du recueil. « Les erreurs pernicieuses qui répandent impunément le ravage et ébranlent la société humaine avaient déjà été proscrites séparément, écrivait, le 14 janvier 1865, Mgr Mercurelli, secrétaire de Pie IX ; elles ont été de nouveau condamnées toutes ensemble. » Une condamnation nouvelle : c’est la formule qu’on retrouverait à maintes reprises dans les conciles nationaux ou provinciaux, dans les lettres des évêques à leurs fidèles, dans leurs adresses de soumission au souverain pontife, dans leurs protestations contre les décisions du pouvoir civil. Cf. Rinaldi, op. cit., analysé par F. Desjacques, art. cit., p. 366. Une telle abondance d’affirmations ne se comprendrait pas, si le Syllabus n’avait pas sa valeur propre, indépendamment des documents dont il est composé.

C’est un acte doctrinal.

É. Ollivier, dans son

livre L'Église et l'État au concile du Vatican, t. i, p. 344, ne veut pas voir dans le Syllabus l’enseignement d’une doctrine. Il est vrai qu’il semble confondre enseignement doctrinal et enseignement infaillible, de sorte que, niant au recueil le second caractère, il est amené à lui refuser le premier. Contrairement à cette opinion, l’ensemble des théologiens catholiques reconnaissent dans le catalogue des propositions une œuvre doctrinale.

A vrai dire le raisonnement est ici simplifié par ce qui vient d'être expliqué et il est à peine besoin de développer les arguments. Le titre général du Syllabus, les titres des différents paragraphes répètent jusqu'à dix fois le mot : erreurs. Erreurs de notre époque ; erreurs relatives à l'Église, à la société civile ; erreurs concernant la morale naturelle et chrétienne, etc. Or, le pape, en qualifiant ainsi les propositions qu’il transcrit est dans son rôle de gardien et de protecteur de la vérité : il met en garde les fidèles contre les dangers qui les menacent, en un mot, il enseigne. Au demeurant, pour qui parcourt, fût-ce même rapidement, le contenu des propositions, il est manifeste que les

matières traitées sont des matières doctrinales : existence et nature de Dieu, droits du Saint-Siège, pouvoir de l'Église, mariage chrétien, etc. Enfin, quand le cardinal Antonelli annonça aux évêques l’envoi du Syllabus, il leur déclara que ce document mettrait sous leurs yeux « les erreurs et les doctrines pernicieuses » condamnées par le pape. Les prélats l’ont bien compris et c’est pourquoi ils ont réagi avec tant de vigueur contre les gouvernements qui prétendaient s’immiscer dans le domaine spirituel et les empêcher de transmettre à leurs fidèles l’enseignement du SaintSiège. Cf. surtout la lettre de l'évêque de Metz au ministre des Cultes, ci-dessus, col. 2884.

II. VALEUR DOGMATIQUE PU SYLLABUS.

Adressé

par le pape à tous les évêques, jouissant d’une autorité qui lui est propre, contenant un enseignement doctrinal, le Syllabus est-il un document infaillible, une définition ex cathedra ? Les théologiens sur ce point sont divisés, et il convient d’exposer les différentes opinions.

1° Opinion de ceux qui soutiennent que le Syllabus contient un enseignement infaillible. — Les partisans de l’infaillibilité du Syllabus n’invoquent pas tous les mêmes raisons. Certains — ce sont les plus nombreux — voient dans le Syllabus un acte de l’infaillibilité personnelle du pape, une définition ex cathedra. Il en est d’autres, qui font du recueil des propositions un document infaillible, parce qu’il est garanti par l’infaillibilité de l'Église. On a même dit que le Syllabus n'était infaillible que parce que les propositions qu’il contient ont été condamnées par le souverain pontife parlant ex cathedra dans les actes pontificaux auxquels ce catalogue renvoie.

1. Le Syllabus est un acte de l’infaillibilité personnelle du pape, une définition « ex cathedra ». — Parmi les théologiens qui soutiennent cette idée, on peut citer Mazzella, De religione et Ecclesia…, Rome, 1885, p. 822, note 1 ; Schrader, De theologia generatim…, Poitiers, 1874, n. 84, p. 136 ; Chr. Pesch, Prælecliones dogmaticæ, t. i, pars 2, De Ecclesia Christi, sect. 4 : De subjecto activo magisterii ecclesiastici, art. 2, n. 520 ; Scheeben, Handbuch der kath. Dogmatik, cf. la traduction de l’abbé Belet, t. i, n. 510, p. 353 sq. ; Franzelin, cité et commenté par le P. Desjacques, dans Études, juillet, 1889, p. 354 sq. ; H. Dumas, dans Études, mai 1875, p. 736 sq.

a) Exposé. — On peut ramener à trois les raisons apportées.

a. — D’abord le Syllabus a été reconnu comme une définition ex cathedra par le consentement moralement unanime de l'épiscopat catholique. La publication du document a été l’occasion de nombreuses déclarations infaillibilistes. L'évêque de Montauban, par exemple, écrivit à ce propos : « La suprématie et l’infaillibilité du pape sont arrivées à un tel degré d'évidence de fait et de droit qu’il n’y a plus à en disputer. » Cf. L’encyclique et les évêques de France, p. 63. Il n’est pas seul à parler de la sorte. De nombreux prélats dans tous les pays, des conciles provinciaux tiennent un langage analogue. Cf. J. Bellamy, La théologie catholique au A"/A'e siècle, Paris, 1904, t. i, p. 62. Les évêques ont reçu la parole du pape comme la parole de Pierre, ils l’ont acceptée comme la règle de la croyance ; ils s’y sont soumis sans réserve, parce qu’ils y ont vu l’expression de l’infaillible vérité.

b. — De plus, le Syllabus n’est pas un document isolé ; il fait un tout avec l’encyclique Quanta cura ; il a été publié avec elle ; les deux écrits sont intimement liés. Or, la déclaration très grave faite par le pape à la fin de l’encyclique vise, à n’en pas douter, le Syllabus lui-même. « Nous réprouvons par notre autorité apostolique, dit Pie IX, nous proscrivons, nous condamnons toutes et chacune des mauvaises