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SURIN (JEAN-JOSEPH)


fluence du P. Lallemant, mais résultait d’une réflexion personnelle profonde. On trouve souvent sous la plume du P. Surin les noms de Balthazar Alvarez, Louis Du Pont, Alvarez de Paz et Gagliardi ; il n’estimait pas moins les traités de Rodriguez ; cf. Catéchisme, t. i, 4e part., c. ii, édit.Rouix, p. 268, et Guide, 1830, p. 229. Un chapitre, comme celui qu’il intitule dans son Catéchisme : De l’économie de l’âme, suppose une très grande familiarité avec toute la mystique traditionnelle : il y relève les nuances du vocabulaire technique qui décrit la structure de la psychologie surnaturelle.

Les Dialogues, t. ii, t. VIII, c. v, renvoient pour l’étude théorique de la mystique à la Theologia mystica du pseudo-Bonaventure (= Hugues de Balma), au Traité de saint François de Sales et au De conlemplatione divina de Thomas de Jésus. Pour la pratique, le P. Surin se contente de signaler l’Imitation, dont on sait avec quelle ferveur il a commenté de nombreux versets dans des pages qui ont constitué Les fondements de la vie spirituelle. Il s’en inspire encore en bien d’autres endroits. Mais c’est la Guide qui fournit le chapitre le plus instructif, IVe part., c. ni, p. 228, sur ses lectures et sur le jugement qu’il s’en faisait. Relevons-y deux noms qui se trouvent souvent dans ses livres : Blosius (Louis de Blois) et saint Vincent Ferrier, dont le Tractatus de vita spirituali lui paraissait si remarquable. Il connaissait, défendait contre leurs détracteurs, recommandait, quoique avec discrétion, les grands mystiques : Tauler, Ruysbroeck, Harphius et Henri Suso. Avait-il lu Bérulle ? Il ne nomme nulle part, croyons-nous, ses ouvrages, mais c’est bien la doctrine de l’école française qui nous a valu un chapitre du Catéchisme sur la considération des « mystères et des états » du Sauveur. T. i, IIe part., c. v, édit. Bouix, p. 140.

Aux influences littéraires, il faudrait ajouter les expériences vécues du P. Surin. Certaines l’ont profondément impressionné, indépendamment de celle de Loudun. Sa correspondance nous a conservé le souvenir des grandes âmes que la Providence a mises sur son chemin : celle du jeune homme rencontré dans un coche peu après son troisième an (Lettres, i, édit. Michel-Cavallera, t. i. p. 1-15) ; celle de Mme Du Verger dont il a résumé la vie dans une lettre à une carmélite (Lettres, xiii, ibid., p. 38 sq.) ; celle de Madeleine Boinet, qui fut sa correspondante et dont il parle au P. d’Attichy en des termes si émouvants. (Lettres, xxi, ibid., p. 107).

De ces différentes influences, le P. Surin a su profiter avec une remarquable indépendance : sa doctrine se caractérise par sa simplicité, sa valeur pratique et l’importance prépondérante qu’il accorde au mysticisme. L’écrivain a chez lui un don de clarté et, parfois, une éloquence qui ont enrichi notre littérature spirituelle de quelques-unes de ses plus belles pages. La méthode dont il use est essentiellement concrète. Le même procédé catéchétique qui se retrouve dans tous ses ouvrages est direct et lui donne le moyen d’exprimer d’une manière vivante, en face d’un interlocuteur, la doctrine qu’il oppose aux partis pris, aux objections ou aux illusions des mauvais maîtres spirituels.

Il n’est pas de point que le P. Surin ait mieux mis en lumière que le caractère intérieur de la vie spirituelle. Il dénonce avec force, au profit de « la loi intérieure d’amour et de charité », le faux-semblant d’un ordre ou d’une discipline qui s’appuierait sur des contraintes extérieures ou sur des motifs intéressés. Dialogues, t. ii, 1. VI. c. v ; et t. i, t. VI, c. îv. Les Questions sur l’amour de Dieu ne sont, en réalité, que le commentaire de cette « loi intérieure » dont saint Ignace a voulu faire la première consigne de ses Constitutions. Cꝟ. t. I, c. iv, édit. Potlicr, p. 22 ; et Lettres, xiv, édit. Michel-Cavallera, p. 92-93.

Le P. Su’in met donc l’accent sur le rôle de l’inspiration du Saint-Esprit dans la vie spirituelle. Ses controverses avec les « philosophes », avec les « doctes », le préviennent contre le danger d’illuminisme où ses tendances doctrinales mal comprises pouvaient aboutir. Il reprochait à ses adversaires leur mépris pratique pour les « instincts de la grâce » et les « touches du Saint-Esprit », mais il n’en minimisait pas pour autant la nécessité de l’obéissance ni les avantages du contrôle et de la direction. Dial., t. i, t. VI, c. v ; Questions 1. I. c. iv, édit. Pottier, p. 20.

En fait, sa spiritualité reste très active. Elle se résume dans cette formule qu’il emprunte encore à saint Ignace : « Chercher Dieu en tout », leit-motiv des Questions sur l’amour de Dieu. Elle commande une ascèse extrêmement rigoureuse : « Ce que Surin exige sans se lasser de celui qui veut être véritablement un homme intérieur, c’est d’abord le dépouillement le plus complet par rapport à soi-même et au créé. Nudité de l’esprit, détachement du cœur, indifférence totale et effective à tout ce qui pourrait arrêter l’âme sur la voie de la sainteté en charmant notre intelligence ou enchaînant notre volonté. » F. Cavallera, Les fondements de la vie spirituelle, p. 15. Il faut lire les Lettres au P. d’Attichy pour comprendre avec quelle sévérité il mettait lui-même en pratique cette purification active. Lettres, ii, x, xxi.

On s’est demandé si le désintéressement dont il caractérise I’ « amour pur » ne rejoindrait pas celui qu’Innocent XII a condamné chez Fénelon. Les Questions sur l’amour de Dieu montrent assez que l’exclusion de l’intérêt propre ne comporte pour lui ni sousestime de l’espérance, ni suppression de la crainte, ni renoncement aux vertus. L. I, c. viii, ix, x. Ce qu’il exige c’est seulement une absolue sincérité dans le désir de Dieu et dans le don de soi-même. Cf. S. Harent La doctrine du pur amour dans le Traité d°. l’amour de Dieu du P. Surin, dans Rev. d’ascét. et de mysl., 1924, p. 328 sq., et A. Pottier, édit. des Questions…, append. iv, p. 184.

Sa doctrine tend à promouvoir avant tout une très grande générosité surnaturelle. Il combat comme une tentation trop ordinaire celle « de vouloir borner son amour et prendre des idées trop petites et trop basses dans le service de Dieu ». Questions…, t. I, c. x, édit. Pottier, p. 47. Voilà pourquoi il s’en prend à ceux qui mesurent à l’aune de leurs raisonnements ce qui dépend surtout de la magnificence de Dieu.

Il ne doute pas que toutes les âmes ne soient appelées à l’union divine, c’est-à-dire à « un état où l’âme transformée en Dieu devient en quelque sorte par amour une même chose avec lui ». Dial., t.n, t. VIII, c. iii, C’était aussi ce que pensait le jeune homme rencontré dans le coche ; cf. Lettres, i, édit. Michcl-Cavallera, t. i, p. 4.

Le P. Surin a défini avec grand soin ce qu’il appelle la « voie intérieure et mystique » ou encore « la vraie vie mystique », par opposition aux « dons communs » de la grâce et aux manifestations « extraordinaires » que la vie mystique revêt chez certains, mais auxquelles personne ne saurait prétendre ni se disposer. Dial., t. ii, t. III, c. vin ; Cat., t. i, IIIe part., c. iii, édit. Bouix, p. 205.

La « voie intérieure » comporte un régime d’inspirations que connaissent seulement les « disciples du Saint-Esprit », mais auquel prépare l’exercice des vertus solides. Dial., ibid. Le mode d’oraison qui lui correspond est « la contemplation ordinaire », dont le Catéchisme donne cette définition : « un simple repos de l’âme dans lequel elle goûte et connaît les choses divines, sans qu’elle ait peine à se tenir en la présence de Dieu et à considérer avec affection les choses célestes. » T. i, I re part., c. iii, édit. Bouix, p. 10. Le