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SURÉROGATOIRES (ŒUVRES)


commençants et les progressants. » Id., ibid., a. 2 (trad. Lemonnyer). Voir aussi opusc. xviii, De perfcctione vitce spiritualis, c. m et iv. Cf. Tanquerey, op. cit., n. 340-343.

2. Comment les œuvres obligatoires et les œuvres surérogatoires, de simple conseil, sont ordonnées à la perfection. — Il serait inexact de concevoir la vie chrétienne comme la simple observation des préceptes et la vie parfaite comme l’observation des conseils. En réalité, la perfection exige essentiellement l’observation des préceptes et secondairement celle des conseils. S. Thomas, II a -II ffi, q. clxxxiv, a. 3 ; Tanquerey, n. 335-339. Il ne saurait en être autrement puisque les deux grands préceptes de la vie chrétienne, cf. Matth., xxii, 40, concernent la charité à l'égard de Dieu et du prochain. La différence qui se présente naturellement à l’esprit en raison des conseils est résolue par une distinction entre l'élément essentiel et l'élément accidentel de la perfection :

L’amour de Dieu et du prochain ne tombe pas sous le précepte suivant une mesure limitée seulement, le surplus étant simplement de conseil… Quand il s’agit de la fui, il ne saurait y avoir de mesure à garder. Riais secondairement et à titre de moyens, la perfection consiste dans les conseils.

De même que les préceptes, les conseils sont tous ordonnés à la perfection, mais d’une manière différente. Les préceptes autres que celui de la charité sont ordonnés à l'éloignement des choses qui sont contraires à la charité et dont la présence rend la charité impossible. Les conseils, eux, sont ordonnes à éloigner ce qui entraverait l’acte de charité, tout en n'étant pas contraire à la charité elle-même. S. Thomas, toc. cit. (trad. Lemonnyer). Cf. opusc. xviii, De perfectione vitie spiritualis, c. 1 et n ; opusc. xvii, Contra pestiferam doctrinam relralientium Immines a religionis ingressu, c. VI.

3. Comment l'œuvre, en elle-même surérogatoire, peut devenir subjectivemerd obligatoire. — Cette question a déjà été traitée à l’art. Imperfection, t. vii, col. 1289-1296. Elle a été reprise, avec plus de nuances peut-être, par le P. Lemonnyer, op. cit., appendice ii, p. 550-556.

Sans doute le bien meilleur, l'œuvre surérogatoire ne se présente, par elle-même, à la conscience, avec aucun caractère obligatoire. Mais : 1. on transgresserait le précepte de la charité si, possédant la perfection essentielle de la charité, on en méprisait les degrés supérieurs et la perfection totale ; cf. IIa-IIæ, q. clxxxvi, a. 2, ad 2um ; 2. on manquerait également à l’ordre de la perfection intérieure en ne désirant pas le progrès dans l’amoui même de Dieu et du prochain ; cf. S. Thomas, In epist. ad Heb., c. vi, lect. i ; 3. il faut encore aimer et désirer le mieux faire, l'œuvre meilleure : c’est ce qu’on appelle le « perfectiorisme » de saint Thomas. Cf. In lll* m Sent., dist. XXIX, q. i, a. 8 ; In evang. Matth., xix, 12 ; Quodl., i, a. 14, ad 2um.

Mais ce perfectiorisme doit-il passer à l’action ? La réponse aflirmative se trouve chez saint Thomas ; non pas certes d’une manière absolue et universelle, mais par rapport « au bien compris dans la sphère normale d’action de chacun ». Th. Richard, O. P., Le perfectiorisme de saint Thomas, dans Revue thomiste, 1928, p. 21. Le perfectiorisme qui rend subjectivement obligatoire ce qui est objectivement surérogatoire a donc pour matière le bien ressortissant à la condition de chacun. Si l’idée d’accomplir tel bien surérogatoire représente une détermination initiale qui inspire l’amour et le désir de ce bien, elle n’entraîne l’action qu'à la condition d’une nouvelle détermination qui s’y ajoute : le sujet devra confronter l’idée de ce bien meilleur avec les exigences de son état. Si cette confrontation donne un résultat favorable à l’accomplissement, l’obligation passe du plan virtuel du désir au plan de l’action. Cette formule semble assez large pour éviter de prendre position dans la question con troversée de l’identité de l’imperfection morale et du péché véniel. Pour les partisans d’une distinction réelle, il y aura imperfection et non péché véniel, chaque fois que l'œuvre surérogatoire, qui cependant apparaît un bien meilleur selon les exigences du sujet, sera laissée de côté par celui-ci sans mépris de sa part. C’est, semble-t-il, la position adoptée par Th. Richard dans l’article précité, tandis que Lemonnyer paraît se rapprocher davantage de la thèse exposée ici-même par E. Hugueny. De part et d’autre on peut invoquer des textes de saint Thomas. Cf. Billuart, De actibus humanis, diss. IV, a. 6, obj. 3.

Au point de vue ascétique, l’accord est facile à réaliser : « Former les âmes à ne pas s’arrêter à ce qui est strictement d’obligation dans la voie du bien, mais à le dépasser ; leur apprendre à s’inspirer moins de la nécessité morale du précepte que de la grande loi de la charité divine, voilà ce que la prédication ne doit pas oublier de faire… Les actes de vertu qui ne tombent pas sous le commandement sont un appel à notre générosité. » Th. Richard, art. cité, p. 26.

Quoiqu’il en soit théoriquement, le perfectiorisme pratique de l’ascèse thomiste montre comment, du point de vue strictement théologique, il est difficile de séparer la cause des œuvres bonnes surérogatoires de celle des œuvres bonnes obligatoires.

3° L'œuvre surérogatoire et le vœu. — On sait que le vœu est de bono meliori. Ce « bien meilleur » est-il nécessairement une œuvre surérogatoire ? Se reporter à l’art. Vœu.

IL Controverse. — 1° Fondement des attaques protestantes contre les œuvres surérogatoires : négation de l’utilité des bonnes œuvres. — 1. Négations radicales de Luther. — On a vu à l’art. Luther, t. ix, col. 1184, l’influence exercée sur le novateur par la théologie nominaliste et augustinienne. Mais c’est cette dernière qu’il faut interroger si l’on veut trouver un des fondements du mépris affiché par Luther à l'égard des bonnes œuvres en général. Ce fondement est l’idée augustinienne d’une infection de la nature humaine par le péché originel et, par voie de conséquence, de l’insuffisance de cette nature à faire des œuvres vraiment bonnes. Voir, en particulier, certains textes de Pierre Lombard, ibid., col. 1192 ; et surtout de saint Bernard, ibid., col. 1194-1195. La théorie de la justification par la foi sans les bonnes œuvres devait sortir des tendances augustiniennes que Luther avait héritées des maîtres étudiés par lui, et, comme corollaires, l’impossibilité d’accomplir la loi, ibid., col. 1211-1212 ; la corruption radicale de la nature déchue, col. 12121214, que son expérience personnelle et ses tendances incitaient Luther à reconnaître en lui-même. Ibid., col. 1217.

Ces tendances et ces erreurs devaient amener le réformateur à prêcher l’impossibilité, pour l’homme déchu, même après la rédemption apportée par le Christ, d’accomplir de bonnes œuvres : d’où l’inutilité des bonnes œuvres, col. 1218, 1221 ; cf. col. 1241-1243. Même les œuvres qu’inspire et dirige la charité ne répondent pas à l’idéal proposé par l'Évangile : « Le véritable Évangile, c’est que ni les œuvres ni la charité ne sont l’ornement ou la perfection de la foi… La foi qui justifie, c’est celle qui s’attache au Christ, Fils de Dieu, celle qui est ornée du Christ et non celle qui renferme la charité… Loi et promesse, foi et œuvres sont aux antipodes les unes des autres. » Voir les références, col. 1242-1243. Cf. l’art. Mérite, t. x, col. 711713. Sur l’attitude de Luther en face des œuvres prescrites par la morale et par l’autorité sociale, voir l’art. Luther, t. ix, col. 1243-1251 ; 1310-1316. Les conclusions qui se dégagent de ces études montrent avec quelle défiance il faut accueillir certains passages où le réformateur, surtout au moment de la controverse