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SUPERSTITION ET THÉOLOGIE MnHAI.F.
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reçus dans l'Église, parce que leur antiquité même leur a toujours fait attribuer une vertu divine

Q. xcvi. a. 4.

Mais le principal inconvénient du culte excessif est dans le manque a gagner qu’il représente à la longue, dans cette religion toute en façade et en démonstra> lions dont on prend l’habitude. L’autre, non moins grave, réside dans les conséquences de cette habitude : se complaisant dans des dévotions de leur choix, les fidèles sont portes à s’en forcer de nouvelles, analogues dans la forme peut-être, mais dépourvues d’autorité. Si l'Église admet le trentain de messes, pourquoi n’observeraient-ils pas des séries de trente trois ? Puisque l'Église a institue des bénédictions pour telle nécessité, pourquoi ne lui trouveraient-ils pas des utilisations nouvelles ? Il y aurait alors danger de superstition. Estius, Sent., 1. III. dist. XXXI. a. 9. Où s’arrèteront-ils ? Pas avant d’avoir versé dans la superstition formelle : on prêtera aux pratiques traditionnelles une efficacité ex opère operato, ou l’on fera servir les objets bénits à des buts profanes de guérison ou de divination. Ecce quantum errant qui cum rébus naiuralibus miscent res sacratas ! Denys le Chartreux, Contra vitia superslilionum. Opéra oninia. t. xxxvi, p. 22H-221.

Sauf ces conséquences aggravantes, qui d’ailleurs ne sont pas aperçues de prime abord, on doit maintenir que le péché de culte indiscret est de soi véniel, parce qu’il témoigne de plus de faiblesse d’esprit que de mauvaise volonté. Il ne deviendrait mortel que de propos délibéré et en matière suffisamment importante, propier conlemptum, vel præceptum. Cajétan, in h. loc. Des fidèles pourraient à tel point mépriser les bons usages de leur Église qu’ils se feraient une religion d’exception : des laïcs ignorants multiplient sur ce point les errements ; ce ne sont pas des idolâtres, mais ils se trompent gravement dans leur façon d’honorer Dieu », Denys. loc. cit.. p. 213. Propier præceptum, sacerdotes enormius peccanl, quand ils passent outre à une loi de l'Église faite pour eux. Loc. cit., p. 218.

Superstitions de la vie pratique.

Les plus graves

sont la magie et la divination, dont la malice a été exposée dans les articles correspondants de ce dictionnaire. Quant aux vaines observances :

1. Elles sont assez bénignes tant qu’elles comptent indûment sur le secours divin. — Il est à souhaiter qu’on se tourne de ce côté plutôt que de s’adresser aux démons, disait saint Augustin. Mais c’est une coutume qui me déplaît de faire servir les Évangiles aux affaires de ce monde. » Epist., lv, c. xx. Saint Thomas y voyait un geste qui frise la tentation de Dieu, péché moins grave que la superstition, qui n’a aucune confiance en Dieu ». IIMI*, q. xcvii, a. 4. (l’est donc un péché léger que de trop compter sur Dieu et les saints. A vrai dire, il faut distinguer l’appel formel et l’appel implicite à la Providence.

2. Si ces observances font appel seulement à des forces inconnues d’ordre naturel, ce sont seulement des vanités, comme nous l’avons vu dans l'étude objective ; ce ne sont pas des superstitions. Si saint Thomas leur donne parfois ce nom. c’est que, pour lui, tout acte vain, attendant des causes naturelles plus qu’elles ne peuvent manifestement donner i permet au démon d’intervenir. II'-ID', q. xcvi. a. 2. ad l um. lit plus il est vain, plus il est superstitieux, a..'i, parce que « ces observances, une fois qu’on en a cru vérifier l’exactitude, deviennent de plus en plus tvranniques, par la tromperie des démons. Ibid., a. 3, ad 2° n. C’est justement « la malice des démons d’embarrasser les esprits des hommes dans des vanités de ce genre ». Ibid., Corp. « Doctrine et jugements sévères, a-ton dit, que la plupart des moralistes tendent a adoucir et quelque

peu tempérer, li. Brouillard, Présages superstitieux, dans Nouo. ici', théol., 1934, p. 72'. ». lai fait, la doctrine est fort plausible ; mais de jugements précis sur ces vanités mêmes, il n’y en a point dans les passages incriminés.

Voici la solution. Ou bien ces actes vains sont considérés connue tels : on dépose des billets dans une boite et l’on se les partage ; on tire à la courte paille », q. XCV, a. 3. on prend un billet de loterie, etc… ; le jeu nous amuse, niais, comme l’acte humain est laissé au hasard, on sait que le résultat peut être bon ou mauvais. « Si l’on abandonne son sort au pur hasard, il n’y a d’autre mal, semble-t-il, que d’avoir agi en vain. Ibid.. a. S. lai tous cas. l’acte n’a rien de diabolique, ni en lui-même, ni dans l’intention expresse ou tacite de celui qui se borne à ce jeu ». Cajétan, Summa, à l’art. Divinalio. Il peut bien n’y avoir aucun péché du tout. Ou bien l’acte » dépasse l’acception commune du sort », et de cette cause impuissante on attend un résultat, par erreur ou fausse opinion : alors les règles générales de l’acte humain trouvent en cette matière plus qu’en toute autre des applications indéfinies. Les préjugés des esprits ne sont-ils pas communs et insurmontables ? L’attachement des volontés n’est-il pas fait surtout d’instinct, d'émotivité ou simplement de routine ? Les gens les plus libérés n’ont-ils pas de bonnes raisons de tolérer autour d’eux ces faiblesses ?

a) L’erreur est souvent invincible ; saint Thomas en fait la remarque à propos des songes : « Il est bien inutile de vouloir nier devant les gens l’influence des songes. Ils vous diront que tout le monde l’a éprouvée, et qu’il serait déraisonnable de s’inscrire en faux. » II^-II 35, q. xcv, a. 6, ad 3um. « L’ignorance a vite fait, observe Cajétan, de prêter une vertu naturelle à des remèdes de bonnes femmes, ou à des usages des siècles passés. » Q. xevi, a. 2. L'Église admet ici l’erreur invincible, et collective : la Congrégation de la Propagande ne vient-elle pas de déclarer « exempte de superstition la coutume des Chinois » — combien ridicule pourtant, mais admise, comme l'écrivait P. Morand, même par les savants du pays — « de faire du bruit durant les éclipses de lune, pour empêcher le dragon de dévorer celle-ci >, parce que ce peuple a toujours cru que le bruit lui faisait peurl

b) Ce qui diminue encore la malice, c’est le degré de confiance actuelle des superstitieux. Il faut exclure le cas où la superstition est accueillie par plaisanterie, par politesse ou même par charité condescendante pour des esprits faibles. « Nous comprenons qu’une maîtresse de maison fasse attention à ne pas réunir autour d’elle douze convives, ou qu’un mari, ami de la paix, remette au samedi un voyage projeté avec son épouse. H. Brouillard, loc. cit. On peut excuser aussi par la bonne foi les esprits prudents qui se disent : au fond il y a peut-être une vertu cachée dans ce nombre, dans ce jour, dans ces rencontres. Nos pères le croyaient. Tant de choses extraordinaires ont été découvertes de nos jours. Quelle nécessité avons-nous du reste de demeurer treize à table ? Pourquoi dès lors ne pas prendre ces assurances ? Il y a ici une crainte vague qui ne va pas jusqu'à la croyance ferme, et qui n’est rattachée à aucun être surnaturel, au démon pas plus qu'à Dieu. Il pourrait y avoir plus aisément une réelle superstition, un recours implicite à une puissance supérieure, si la vaine observance consistait, non pas a éviter une rencontre, mais a employer un moyen déterminé pour assurer un événement heureux ou pour conjurer un mauvais sort. Mais, en lait, ce yeste positif est un simple effet de la crainte susdite : c’est une précaution qu’on juge utile de prendre pour se mettre à l’abri de remets futurs. Cf. Ami 'lu clergé, 1891, p. 246.

c) Mais quand il y a créance ferme, il faut, parmi ces