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SUPERSTITION. CULTE SUPERFLU DE Dll'.l

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d’une Église, se défendirent difficilement contre la superstition de culte superflu. Lactance prétend même nue la démarcation est impossible. Divin, instit., I. 1Y. e. xxviii, /'. /… t. vi. col. 537. l.a raison a pourtant dit son mot en la matière, mais ce n’est pas notre raison de civilises ; ainsi les danses rituelles, qui nous semblent presque grotesques, ont fait partie de l’héritage religieux de tous les anciens peuples : c’est dire que les exigences de la raison ont varié avec les époques et les civilisations. Lactance lui-même. /oc. cit., pensait que les religions primitives étaient plus pures que les nouvelles ; Arnobe soutenait le contraire. Ad ». nationes, 1. I. c. xuii et lu. P. L., t. v, col. 773 et 791.

Sans parler des autres formes mal connues du paganisme, on ne peut pas dire de l’ancienne religion romaine, qu’elle ait favorisé le culte superflu : c’est le latin qui a créé le mot superstitio avec son sens péjoratif. C’est que tous les rapports avec les dieux y revêtaient la forme d’un contrat légal : violer le contrat était, sans doute, une im/iietas : mais l’outrepasser était une $iil>er$titio. une exagération. Ce que nous appelons dévotion, qui excuse partiellement certaines pratiques spontanées, restait en dehors de l’idéal romain ; l’enthousiasme mystique l’eût choqué. Mais ce formalisme même engendrait une pratique cultuelle méticuleuse, qu’avec nos idées chrétiennes nous appellerions superstitieuse. Les gens religieux, dit Cieéron, sont appelés ainsi parce qu’ils étudient soigneusement et relisent tout ce qui concerne le culte des dieux. » De natura deorum, 1. II. c. xxviii, 72. l.a pratique romaine de la religion mettait donc l’accent exagérément sur les rites.

Pour de meilleures raisons, la religion mosaïque s’est défendue assez efficacement sur ce point. Disons ici que sa doctrine est très nette en l’espèce : c’est le même livre, le Deutéronome, qui proclamait que le peuple ne devait pas « ajouter au précepte », Deut., iv, 2, et que « ce précepte n'était pas hors de sa portée, mais dans son cœur ». Deut., xxx, 11-14 ; cf. Rom., x, 8. Les prophètes devaient insister sur ce point. Le Christ, lui aussi, combat les superfétations cultuelles des rabbins. Matth., xv, 3-6 ; xxiii, 2-9 ; Marc, vii, 1-13 ; xii. 40 ; Luc. xi, 40-46. Qu’il y ait eu dans le pharisaïsme de l’orgueil et du mépris pour les grands commandements de la Loi, c’est indiscutable ; mais Notre-Seigneur ne laisse-t-il pas entendre, par l’allégorie de la coupe, etc. que ces péchés sont les suites du culte superflu ? Ces gens qui font pour l’apparence de longues prières, subiront une plus forte condamnation. ' Marc, xii, 40 ; Luc, xx. 47. Par contre, « une fois en règle avec les points les plus essentiels, il est bon de ne pas négliger les autres », Matth., xxiii, 23 ; preuve que le culte superflu n’est pas une question de quantité, mais de « proportion » et de sincérité. Saint Paul dénonce exactement les trois travers signalés aussi par le Docteur angélique : Toutes ces superfluités ont une apparence de sagesse : c’est un culte (du vrai Lieu, mais) capricieux, une soumission (de l'âme, mais affectée), un mépris (mais immodéré) pour le corps ; et tout cela est sans valeur réelle et ne sert qu'à la satisfaction de la chair. » Col., ii, 23. On voit comment la systématisation philosophique de saint Thomas se tient, sans le dire, très près de l'Écriture.

2. Dans l'Église ancienne. — Cette systématisation tient aussi compte de l’attitude générale de l'Église, qui a toujours gardé le souci essentiel d’adapter son culte aux besoins raisonnables des tideles, sans les surcharger de pratiques extérieures. Tertullien est le premier qui ait donné le nom de superstition aux expressions excentriques de la piété chrétienne :  ! » < pareilles extravagances - prier en déposant son manteau ! — sont à mettre au compte, non de la religion, mais de la superstition : affectations de piété

qu’on réprime, et qui doivent l'être, ne serait-ce que parce qu’elles font ressembler aux Gentils. » De oratione, c xii. 1'. L.. t. i. col. 1175.

Avec plus de nuances, saint ugustin, eu 307, qualifie de « superstitiosa figmenta l’usage indu delà sainte Écriture chez les bons et vrais chrétiens ». De doclr. christ., 1. IL c. xviii, P. L., t. xxxiv, col. 49. Trois ans plus tard, dans sa lettre à Januarius, Epist., liv, 1'. I… t. xxxiii, col. 200 sq., il trouvait une distinction plus explicite entre le culte sagement compris et sa contrefaçon superstitieuse. « Le Christ nous a soumis à un joug très doux et à un fardeau bien léger ; aussi est-ce par des særamenta très peu nombreux, d’observation très facile et de signification très haute qu’il a rassemblé en société le peuple nouveau : de ce nombre, le baptême, la communion et quelques autres sacramenta recommandés dans les Écritures canoniques, à l’exclusion de tous ces rites des livres de Moïse, qui grevaient la servitude de l’ancien peuple, pour se conformer au cœur des Juifs. » Op. cit., c. i, n. 1, col. 200. Tout en restant fidèle à cette consigne de liberté, il ne faut pas, par un conservatisme étroit, faire fi de la tradition vivante de l'Église : les éléments qui se sont ajoutés à la simplicité primitive ne sont pas pour cela des superstitions, il faut retenir encore les usages ecclésiastiques généraux ou locaux. Parmi ces surcharges devenues universelles, il y a le jeûne eucharistique. Op. cit., c. v et vi, n. 7 et 8, col. 203. Quant aux usages locaux, il faut bonnement s’en tenir à la coutume quee pro lege habenda est. Epist. xxxvi ad Casulanum ; mais il y aurait « timidité superstitieuse » à se quereller à leur sujet. On remarquera d’ailleurs que les usages des Églises gardent une discrétion remarquable. L’excès superstitieux commence, en effet, dès que l’individu se soustrait aux consignes de l'Église. Enchirid., c. lxxix, P. L., t. xl, col. 269. L’autre caractère commun à toutes ces exagérations, c’est « de donner son principal souci à l’extérieur de la religion ». De vera religione, c. iii, P. L., t. xxxiv, col. 124.

3. Le Moyen Age.

On n’entendra plus, de longtemps, une voix aussi nette que celle de l'évêque d’Hippone, en faveur de la liberté chrétienne ; et il faudra arriver à la fin du xii c siècle pour trouver, dans le Verbum abbreviatum de Pierre le Chantre, une protestation d’ailleurs tumultueuse « contre la multiplication et le poids des observances ». P. L., t. cev, col. 233 sq. Ses exemples ne sont pas toujours très bien choisis ; il n’y avait pourtant que l’embarras du choix parmi les abus tolérés par les évêques du xiie siècle dans le culte. Jean de Chartres avait dit au IIIe concile du Latran (1179) : « Dieu nous garde d’instituer du nouveau ou de restaurer d’anciennes observances ! Nous sommes déjà accablés sous les institutions, alors que « l’autorité » dit qu’il faut en laisser tomber quelques-unes, ne multiiudine utilium gravemur. P. L., t. cev, col. 235. Nous avouons n’avoir pu identifier cette « autorité » ; mais il est certain que le pouvoir central de l'Église n’a jamais pris de ces mesures énergiques qui auraient été indispensables pour rétablir alors l'équilibre entre la religion intérieure et le fardeau des rites utiles, mais accessoires. A cette époque, qu’on a appelée sacramentaire et qui le fut même dans le domaine civil, elle se montra d’une extrême condescendance pour les besoins qu’avaient les foules d’extérioriser leur culte sans pourtant glisser dans la superstition. Elle exerça plutôt à leur endroit un rôle modérateur, comme ses ennemis ont parfois la coquetterie de le reconnaître : « L'Église a imposé une religion relativement simple, sans trop de fêtes, sans interdictions alimentaires. S. Reinach, Orpheus, >. 393.

D’où vient qu’au Moyen-Age, la religion fut pour-