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SUICIDE


deux effets, l’un bon, celui qui recherche l’agent, l’autre mauvais, sa propre mort, que l’agent ni ne désire, ni ne recherche.

Cela posé, le principe général qui règle la licéité ou

l’illicéité du suicide indirect est facile à formuler :

Il n’est licite à personne de se tuer indirectement, c’est-à-dire de faire ou d’omettre quelque chose dont on prévoit que la mort s’ensuivra, si ce n’est en raison d’une cause proportionnellement grave. On pose un acte en soi indifférent, dont résulte un double effet : on ne recherche que l’effet bon, on permet simplement l’effet mauvais, la mort. Il faut donc que l’effet bon soit d’une importance telle qu’il puisse justifier la permission d’un mal aussi considérable que la mort. Plus le péril de mort est proche et certain, et plus la raison de le permettre doit être grave. Sur ce principe général, pas de controverse. Les cas concrets présentent plus de difficultés.

Applications.

1. Le bien public est la première

et indiscutable raison qui peut permettre à quelqu’un de s’exposer au péril, même prochain et certain, de mort. Ainsi, il est permis, en temps de guerre, au militaire, de porter l’incendie à un navire ou de l’aire sauter un pont, pour nuire aux ennemis, bien qu’il prévoie que sa propre mort s’ensuivra presque infailliblement. A bien réfléchir, c’est le cas de Samson et d'Éléazar. Voir ci-dessus, col. 2744. Au bien public se rattache l’accomplissement d’une (barge ou d’un Office publics : prêtres, médecins, magistrats doivent, même au péril de leur vie, remplir leurs fonctions parce qu’elles assurent la vie (naturelle ou surnaturelle) et la sécurité de leurs concitoyens.

2. Un bien, même privé, mais d’ordre supérieur à celui de la vie du corps — tel l’exercice des vertus chrétiennes, charité, foi, chasteté, justice, etc. — est une raison suffisante pour aller au-devant d’un péril de mort même certain. Ainsi, par raison de charité. on peut s’exposer au péril de mort pour sauver la vie d’un parent, d’une épouse, d’un ami et même en général du prochain. Le dévouement de ceux qui exposent leur vie aux soins de pestiférés est un acte pleinement louable. Saint Thomas appelle perfectissimus actus chariiatis l’acte du naufragé qui abandonne à un autre la planche à laquelle il avait pu se raccrocher. In III am Sent., dist. XXIX, a. 15, ad 3 om. Pour une raison de foi, il est permis non seulement de supporter courageusement la mort, comme les martyrs, mais même de ne pas la fuir et au besoin de se présenter devant le juge, si on estime ce geste nécessaire pour fortifier les autres dans leur foi. Par amour de la justice, un malfaiteur peut se dénoncer lui-même et se présenter spontanément à la barre du juge, bien qu’il soit certain d’y subir une sentence capitale. Le cas de la vierge, dont on menace l’intégrité corporelle, est plus délicat. Il est certain qu’elle peut fuir, même si cette fuite constitue pour elle un péril immédiat de mort ; qu’elle peut même se jeter par une fenêtre, afin d'éviter hic et mine le déshonneur. Mais les théologiens discutent pour savoir si elle le doit. La question débor dant sensiblement le cadre de noire article, on voudra bien se reporter ad probatos auc tores.

.'5. Lu bien » rii>é, île même ordre « pie celui de la vie corporelle, peut parfois être une raison légitimant le suicide indirect. Il s’agit d'éviter un péril de mort plus certain ou un genre de mort plus cruel. De toute évidence, le suicide direct demeure interdit. Cf. S. Alphonse, Theol. mai-., I. III, n. : iliV. Les auteurs admettent généralement que, pour fuir un incendie, il est permis de se jeter par la fenêtre, surtout s’il y a quelque espoir d'éviter la mort. On peut en dire autant du malheureux à qui un tyran cruel sent Infliger hic cl mine une mort atroce, et qui se précipite du haut d’une tour pour éviter une telle mort. Cf. l 'ruminer.

op. cit., n. 114, qui cite Husenbaum, Lugo, Lessius, le continuateur de Tournély, Sporer et Elbel. Le cas de la i grève de la faim i est particulièrement intéressant, l’aire la grève de la faim pour obtenir la cessation de sa captivité peut être licite si l’espoir de la libération est fondé et si cette libération est utile au bien public. Cf. Ami du clergé, 1920, p. 399-400 ; 529531, à propos du cas du maire de Cork.

4. Par contre, celui qui, par simple témérité ou vaine gloire s’exposerait gravement à la mort, n’aurait pas une excuse suffisante : par exemple le malade qui entreprendrait un voyage difficile. C’est en vertu de ce principe que les courses de taureaux sont interdites par la morale catholique, en raison de la futilité du motif qui pousse le torréador à s’exposer. Il n’en est pas de même des aviateurs qui risquent leur vie pour permettre un incessant perfectionnement dans la construction des appareils. Le bien général est ici en jeu, d’une manière tout au moins médiate, Et, comme le danger de mort n’est pas lui-même immédiat, la raison de s’exposer est sullisante.

5. Si le danger de mort est éloigné, une cause plus légère est sullisante pour permettre de s’y exposer. C’est le cas des ouvriers qui s’adonnent à des métiers dangereux pour la santé. Le motif d’assurer leur pain et celui de leur famille est suffisant ; mais la société aura le souci constant de réduire leurs heures de travail et de leur procurer une retraite anticipée. Un motif d’ordre surnaturel peut également autoriser l’homme pieux à se livrer à des mortifications et à des macérations susceptibles de diminuer sa vigueur et d’accélérer sa mort. A condition toutefois que ces macérations soient sagement réglées, en fonction des devoirs d'état qui lui incombent.

Par contre, pèchent toujours contre la charité qu’ils doivent porter à leur corps, ceux qui se livrent à des passions dont l’effet, peu à peu, sera d’abréger la durée de leur existence : il suffit de nommer l’impureté, l’ivrognerie, la morphinomanie, etc. Sont également coupables ceux qui, le pouvant, refusent de se soigner pendant leurs maladies ou ceux qui, trop faibles, s’adonnent à des travaux trop pénibles pour eux. Il reste toujours entendu néanmoins que nul n’est obligé de prendre des remèdes extraordinaires.

Conclusion. — Ces principes sont suffisants pour indiquer la solution à apporter aux cas d’espèce. En terminant, il sera bon d’indiquer ce qu’il faut penser du désir de la mort. Le désir de la mort n’est pas nécessairement le désir du suicide. Autre chose, en effet, est désirer se donner la mort, et désirer que la mort vienne nous délivrer de cette vie. Il est permis, comme saint Paul l’exprime lui-même, Pbil., i, 23, de désirer la mort pour être réuni au Christ dans le bonheur éternel. Un tel désir est tout à fait compatible avec une parfaite soumission à la volonté divine quant à l’heure et au mode de la mort. Un Ici sentiment est même extrêmement louable. Il est également permis de désirer la mort pour être délivré de peines et de evalions très graves : melior est mors quant vita amara, Eccli., xxx, 17. Sentiment moins louable sans doute que le précédent, mais néanmoins compatible avec les strictes exigences de la vie chrétienne. Il serait moins parfait de désirer la mort, uniquement par lâcheté devant les peines et les difficultés ordinaires de la vie : un tel sentiment, à moins d'être excusé par un mouvement de colère ou un trouble passager de l’esprit, constituerait facilement une faute grave.

Ouvrages générai. Les traités de morale à la question du cinquième commandement. Nous avons spécialement consulté Tanquerey, Synopsis Ouologue nwralis et pastoralis, t. iii, Paris, i ! t2'.( ; Prummer, Manuale theologiee moralis, i. ii, Fribourg-en-B., 1928 ; Noldin-Schmitt, De præceptis lui et Ecclesiee, [nspruck, 1930 ; Génicot-Sals-