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SUAREZ. THÉOLOGIE PRATIQUE, LA POLITIQ1 I.


17. TBÈOLoais politique. — Cette dernière partie de la théologie pratique soarésienne est sans doute. avons-nous dit, la plus originale et la plus personnelle. Mais, il Faut aussi le répéter, Suarez y reste, comme partout ailleurs, même quand il y fait œuvre de philosophe et de juriste, théologien et disciple de saint Thomas ; il emprunte à ee dernier ses thèses fondamentales et ses directions principales.

Seulement, depuis le xiir’siècle, le monde avait marché ; îles situations nouvelles et des problèmes inconnus axaient surgi ; la féodalité était morte : dans la chrétienté, déchirée par l’hérésie, eu proie aux dis cordes intestines, les nationalités s’affirmaient ; le pouvoir civil, parfois en pleine révolte contre l’autorité spirituelle, ou réclamait son autonomie, ou même prétendait à la suprématie ; au milieu de tumultueux et sanglants conflits et d’une éclosion sans précédent de théories politiques, se formaient nos temps modernes. En toute sérénité, avec la tranquille assurance du théologien, qui domine la mêlée des peuples et dis systèmes, Suarez examine et s’efforce de résoudre ces problèmes nouveaux en partant de saint Thomas, mais en profitant des travaux accomplis depuis le xine siècle, en particulier de ceux de ses contemporains, Yitoria et ses disciples.

La synthèse qu’il travaille à édifier et qui, au jugement de tel historien des idées politiques, est la plus vaste et la plus fouillée du temps, a nécessairement, non pas un esprit absolument nouveau, mais tout au moins des éléments et des vues vraiment personnelles.

Cette synthèse n’est pas. de nos jours, comprise et exposée de la même manière par tous ceux qui l’ont examinée : sans parler de ceux qui l’estiment incohérente (par exemple Paul Janet, Histoire de la philosophie morale et politique, t. ii, I. III, p. 106-107), des juristes et des philosophes ont fait d’elle un contractualisme apparenté à celui de Rousseau (ainsi les Allemands Gierke et Windelband, cités dans Mesnard L’essor de la philosophie politique au XVIe siècle, p. (127, ou le Français de La Ligne de Villeneuve, Traité général de l’Etat, p. 298 sq.) ; des théologiens, plus habitués aux analyses scolastiques, mais, nous semble-t-il, l’abordant avec des idées préconçues, ont cru reconnaître là encore un volontarisme subjectiviste et arbitraire, qui rompait avec l’intellectualisme objectiviste et réaliste de saint Thomas (cf. Th. Delos, O. P.. La société internationale et les principes du droit public, 1929, p. 227 sq.). Nous ne pouvons présenter ici un examen critique de ces diverses interprétations. Voir sur les deux premières l’ouvrage cité de I’. Mesnard, p. 627, et sur la dernière, l’étude du P. J. de Llic, Le volontarisme juridique chez Suarez ? dans la Revue de philosophie, mai-juin 1930, p. 213 sq. Nous nous contenterons, après avoir signalé les ouvrages où Suarez a exposé sa théologie politique, d’en résumer quelques points principaux, en accord au moins substantiel avec deux ouvrages récents, qui exposent fort objectivement, il nous semble, la synthèse suarésienne : Dr IL Rommen, Die Slaatslehre des F. Suarez, 1926, et Pierre Mesnard, L’essor de la philosophie politique au S VIe siècle, 1936, p. iH7 660 ; on pourra y recourir pour des détails plus abondants.

Les sources.

Suarez a surtout présenté sa théologie

politique dans deux grands ouvrages : le De legibus et la Dejensio fidei.

Le De legibus et législature beo. dont la matière avait été enseignée pendant deux ans a Colmbre i 1602-1603) parut en 1612. Les dix-neuf questions de la Somme théologique, 1 II. q. ki cix, où le sujet est condensé, deviennent chez Suarez un énorme volume de 1 200 pages a deux colonnes, dans lesquelles il examine toutes sortes de problèmes politiques, en partant de Lieu, suprême législateur. Dieu gouverne les hommes,

créatures libres, par des lois ; sa volonté créatrice s’adapte à leur nature volontaire et libre ; quelles sont donc les conditions selon lesquelles si 1 fera le gouvernement divin, snit que Dieu l’exerce directement : loi naturelle, loi divine mosaïque et chrétienne, soit qu’il le délègue à des autorités responsables, ses représentants humains : dans l’ordre spirituel, loi canonique ; dans l’ordre temporel, lois civiles, droit international, chacun de ces ordres contenant des variétés importantes, lois proprement dites, lois pénales, privilèges, coutumes, etc. ?

L’ouvrage comprend deux tomes de l’édition Vives, t. v et vi ; il est divisé en dix livres ; les trois premiers surtout intéressent notre matière : 1. De natura legis in commun ie jusque cousis et effectibus ; 2. De lege seterna, naturali et jure gentium ; 3. De lege positiva humana secunilum se et proul in pura hominis natura spectari potest, quæ lex etiam civilis dicitur.

Quant à la Dejensio Jidei, dont il a déjà été question ci-dessus, col. 26 19, on trouvera dans le F. de Scorraille, t. ii, p. 165-221, tout le détail des circonstances complexes où l’ouvrage parut, et des incidents auxquels il donna lieu. Il nous suffira de rappeler que, composé à la demande du pape Paul V, il combattait deux écrits du roi d’Angleterre, Jacques I er, et qu’il fut publié en 1613 (Vives, t. xxiv). Des six livres qui le composent, c’est surtout le 1. III (30 chapitres, p. 203-353) qui nous intéresse ici ; il y est traité, sous le titre : De summi pontificis supra temporales reges excellent ia et potestate, du pouvoir civil, de sa nature, de son origine, de ses limites et de ses rapports avec le pouvoir pontifical ; le c. x.xiii soulève la question alors particulièrement brûlante de la déposition des rois par le pape et même du tyrnnnicidc. Le t. VI, De juramento fîdelitalis régis Angliæ, complète cette doctrine en l’appliquant à un cas d’espèce.

Outre ces deux ouvrages, les suivants nous apportent des éléments doctrinaux : 1. Le De opère sex dierum, œuvre posthume publiée en 1621 (Vives, t. iii) avec un traité De anima ; c’est un commentaire, le plus souvent fort littéral, des trois premiers chapitres de la Genèse ; au t. Ve et dernier, Suarez, avec la curiosité quelque peu imaginative que les scolastiques ne dédaignaient pas de manifester parfois, recherchait l’état qu’auraient eu les hommes en ce monde, si nos premiers parents n’avaient pas péché, et examinait quelle eût été leur situation politique ; quelques précisions nous sont données à cette occasion sur les caractères de la société et de l’autorité civiles.

2. Le De triplai virtute théologien ; dans cette œuvre également posthume (1621), la disp. XVIII du De fuie, t. xii, p. 136-159, sur les moyens de convertir les fidèles, nous ofïre des vues sur la colonisation, et la disp. XXII, p. 556-586, sur le pouvoir coercitif de l’Église ; surtout la disp. XIII et dernière du De carilate, p. 737-763, est d’importance, puisqu’elle traite avec ampleur la question de la guerre.

3. Enfin le recueil Varia opuscula Iheologica (Vives, t. xi), publié par Suarez lui-même en 1599, a l’occasion des controverses De aux/lus ; on v rencontre, un peu inattendues, étant donné le caractère du livre, des pa^es qui se rapportent a la matière sociale : ce sont celles du dernier des six traites que contient l’ouvrage, Dr jiistitui Dei, p. 565, ou il est question des trois justices, commutative, distributive et légale ; ce qui y est dit de cette dernière complète quelque peu les rares

passages du De legibus, ou Suarez parlait lies sommairement d’elle.

l’oints principaux de la doctrine.

1. Sociabilité

naturelle île l’Iioninie ; la société civile, organisme moral naturel. a) Comme pour Alîstote et saint Thomas, le point de départ, c’est, pour Suarez, la sociabilité naturelle de l’homme : l’iiinum est’homme m esse ani-